Littoraux : entre fatalisme et acharnement, ces Français sous la menace de la montée des eaux

par La rédaction de TF1info | Reportage TF1 Marine Brossard et Stefan Iorgulescu
Publié le 20 février 2022 à 22h08, mis à jour le 20 février 2022 à 22h13

Source : JT 20h WE

D'ici la fin du siècle, le niveau des océans devrait s'élever d'un mètre.
Les habitants de nombreuses communes du littoral sont démunis.
Une équipe du 20H de TF1 est partie à la rencontre de Français contraints de quitter la terre qu'ils habitent depuis toujours, et ceux prêts à tout pour ne pas reculer.

Chaque année, la menace s'accentue : de l'Aquitaine au Pas-de-Calais, comment lutter contre les flots, et jusqu'à quand ? Le niveau des océans a augmenté d'environ 20 cm depuis 1900, et le rythme de cette hausse a triplé ces dix dernières années. Notamment à cause de la fonte des calottes glaciaires, notait le groupe international d'experts sur le climat, le GIEC, dans un rapport remis en août dernier. 

Même si tous les États tiennent leurs engagements, la hausse du niveau de la mer pourrait atteindre un mètre d'ici 2100. Et au rythme des politiques actuelles, les eaux pourraient même grimper de deux mètres d'ici la fin du siècle, relèvent les experts. En France, 1,4 million de personnes sont déjà exposées au risque de submersion marine, selon le ministère de l'Écologie. Face au changement climatique, la côte Atlantique est la plus vulnérable : la Nouvelle-Aquitaine, les Pays de la Loire, la Bretagne, la Normandie et ainsi que les Hauts-de-France pourraient voir une partie de leur littoral submergé à l'horizon 2050, selon les cartes interactives de l'organisation indépendante américaine Climate Central.

Au Cap-Ferret, sur cette bande de terre prise en étau entre le bassin d'Arcachon et l'océan Atlantique, l'érosion est jusqu'à 15 fois plus forte que sur le reste de la côte. Selon les prédictions de l'État, ce bras de dunes et de forêts aurait dû disparaître il y a plusieurs années déjà, mais un homme a fait mentir les prévisions. 

Depuis trente ans, Benoît Bartherotte déverse sa fortune au bord de l'océan : des camions acheminent des tonnes de pierres chaque jour au bord de l'eau pour créer une digue et amortir l'assaut des vagues. "Cette année, la pointe s'est allongée de 60 mètres, pendant que partout ailleurs, on recule", se félicite cet habitant, homme d'affaires et ancien directeur d'une maison de couture, dans le reportage du 20H de TF1 en tête d'article. 

Des factures chiffrées en millions d'euros

Tant qu'il continuera à entretenir cette digue, sa maison et celles de ses riches voisins, parmi lesquels de nombreuses stars comme Guillaume Canet, qui y a tourné son film à succès Les Petits Mouchoirs en 2010, seront hors de danger, alors qu'elles étaient menacées d'érosion il y a trente ans. Cet ouvrage de toute une vie, de 450 de mètres de long, a permis de stopper le phénomène et de retenir des tonnes de sable, grâce au courant marin. On compte désormais 120 mètres de sable en plus aujourd'hui, contre 60 mètres il y a un an. "La digue est comme une voile, elle capte un courant : la nature travaille pour moi", assure Benoît Bartherotte. Il refuse de compter, mais ses dépenses se chiffrent déjà en millions d'euros pour sauver la Pointe. 

Mais cette solution coûteuse ne peut pas être adoptée partout. Dans le Nord de la France, Calais est l'une des villes les plus menacées par la montée des eaux : la quasi-totalité de la ville est située sous le niveau de la mer. Si la commune n'est pas submergée pour l'heure, c'est grâce à d'immenses pompes dessinées comme des turbines, qui rejettent l'eau vers la mer. En tout, Calais compte 13 ouvrages de la sorte, qui tournent 10% du temps, quand l'eau monte dangereusement. 

Sans eux, 150.000 habitants seraient inondés, mais le système coûte de plus en plus cher à la collectivité. "Le nouveau contrat, qui vient d'être passé avec EDF, va conduire à une augmentation de 150% de nos factures, ce qui va représenter environ 500.000 à 600.000 euros supplémentaires sur notre budget", déplore Philippe Parent, le directeur de l'Institution interdépartementale des wateringues, qui gère ce dispositif. "On est évidemment en train de réfléchir à comment on va pouvoir continuer à assurer ces missions", poursuit-il. 

Pour faire face à l'augmentation de ces coûts, la municipalité sollicite ses habitants : une taxe de onze euros en moyenne par an leur est demandée actuellement pour financer leur protection. "S'il le faut, dans cinq ou six ans, il y aura une autre augmentation", explique Natacha Bouchart, maire LR de Calais. D'autant plus qu'une autre dépense entre en jeu, et qu'elle risque de grimper inévitablement : l'entretien des digues. 

"Le terme déménager, pour l'instant, je ne l'entends pas"

À Calais, comme partout en France, elles ne sont pas dimensionnées pour l'avenir.  À long terme, les vagues creusent le bas de l'ouvrage à force de le percuter et accentuent l'érosion. Il faut donc en permanence le consolider pour qu'il puisse tenir, sans manquer non plus de le rehausser pour s'adapter à la montée des eaux qui, elle, n'est pas prête de s'arrêter

Sur la côte normande, certains ont donc décidé d'arrêter les frais. "Tout de suite, il faut protéger, mais par rapport au changement climatique, à la montée des eaux, on ne pourra pas indéfiniment toujours remonter de l'enrochement", regrette Jacky Bidot, président de la communauté de communes Coutances Mer et bocage. "On ne peut pas toujours lutter contre la mer." Ce territoire du département de la Manche, avec son immense bassin ostréicole, fait partie des trois premiers sites français à enclencher un plan de relocalisation, c'est-à-dire le déménagement des constructions les plus sensibles, pour laisser rentrer la mer. 

Car pour l'heure, 500 habitations sont déjà exposées au risque de submersion, mais si rien n'est fait d'ici 2100, il y en aura huit fois plus, comme le révèle la carte ci-dessous. Mais même avec ces chiffres en tête, il est difficile de convaincre les habitants, attachés à leurs terres. Pour Jean Lafosse, ostréiculteur qui travaille dans la zone concernée par la relocalisation, hors de question de songer à cette perspective dès aujourd'hui. "Partir où ? Comment ? Je ne sais pas. Le terme déménager, pour l'instant, je ne l'entends pas", s'obstine-t-il, estimant qu'"il faut d'abord protéger l'existant".

Capture TF1

Des habitants d'autant plus réticents que pour abandonner ses terres, il faut savoir où aller. C'est la question que se pose David Lecordier, éleveur de moutons pré-salés à la "Ferme des Marais", à Montmartin-sur-Mer, qui n'est qu'à quelques kilomètres de la mer et qui risque d'être submergée par les eaux dans les décennies à venir. "C'est toute une vie qui s'est faite ici, et puis on est quand même dans un cadre un peu idyllique", regrette-t-il. "C'était un peu difficile à encaisser au départ, mais de toute façon la mer approche, on s'est un peu fait à l'idée qu'il faudra peut-être partir."

C'est la collectivité qui doit racheter son habitation, mais pour l'heure, le prix qui lui est proposé ne permet pas selon lui de se réinstaller ailleurs.  Une situation délicate à laquelle de plus en plus de Français vivant sur le littoral pourraient être prochainement confrontés. 


La rédaction de TF1info | Reportage TF1 Marine Brossard et Stefan Iorgulescu

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