Lucie Basch : "Il faut créer un mouvement mondial de lutte contre le gaspillage alimentaire"

par Sylvia AMICONE
Publié le 2 mars 2021 à 13h29, mis à jour le 2 mars 2021 à 14h12
Lucie Basch, créatrice de l'application Too Good To Go
Lucie Basch, créatrice de l'application Too Good To Go - Source : DR

INTERVIEW - Comment emmener les foyers et les commerçants à limiter le gaspillage alimentaire ? Pour Lucie Basch, la créatrice de l'appli Too Good To Go, cela passe non seulement par la récupération des invendus mais aussi par un changement majeur d'habitudes dans toute la société.

Elle n’a pas encore 30 ans, et elle part déjà à la conquête du monde. Il y a quatre ans à peine, Lucie Basch a créé l’application Too Good To Go pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Aujourd’hui, 60 millions de repas ont été sauvés à travers le monde. L’application est présente dans 15 pays avec 31 millions d’utilisateurs et 60.000 commerçants partenaires. Avec Too Good To Go, Lucie Basch vient de lever plus de 25 millions d’euros pour poursuivre son développement. En ligne de mire : les États-Unis. Rencontre.

Lorsque vous avez lancé Too Good To Go, vous n’étiez pas du tout les premiers sur le créneau du gaspillage alimentaire. Qu’est-ce qui a fait la différence selon vous ? 

Avant tout, nous pensons que notre plus gros concurrent, c'est la poubelle. Du gaspillage alimentaire, aujourd'hui, il y en a malheureusement pour tout le monde. Plus il y a de solutions qui se lancent, plus on fait naître un écosystème qui va nous permettre de mettre fin au problème. Aujourd'hui, chez To Good To Go, on ne prétend absolument pas être la seule solution au gaspillage alimentaire. En revanche, on va être une solution simple qui permettra à tous de s'engager. Je pense que la grosse différence avec Too Good To Go, c'est vraiment ce concept de simplicité, à la fois du côté commerçant avec ce panier surprise et du côté utilisateur avec un concept qu'on peut tous se pitcher les uns les autres parce que c'est très simple. Nous avons aussi des valeurs passionnées à la fois de l'équipe, mais aussi de nos communautés de commerçants et de consommateurs qui savent pourquoi ils s'engagent avec Too Good To Go, avec une vraie volonté de réduire le gaspillage et d'avoir un impact positif sur la planète. 

Est-ce que vous aviez imaginé en arriver là quand vous vous êtes lancée il y a 4 ans ? Je crois que vous n’avez pas encore 30 ans !

Non, pas du tout. Quand je me suis lancée dans le projet, j'avais vraiment envie de faire quelque chose qui avait du sens pour moi, dans mon quotidien. Je n'avais pas la prétention de pouvoir un jour créer des emplois. J'imaginais à peine pouvoir me rémunérer. L’aventure Too Good To Go s'est développée très rapidement. Très vite, les journalistes nous ont soutenus. Ils ont apprécié cette idée car  tout le monde sort gagnant de la réduction du gaspillage alimentaire. Aujourd'hui,  on a plus de 750 Waste Warriors qui se lèvent tous les matins en sachant pourquoi ils se lèvent et qui peuvent être rémunérés pleinement grâce à l'application. 

"Waste Warrior", c’est un autre nom pour "collaborateur" ? 

Les mots que l’on utilise dans le développement d'un projet entrepreneurial ont toute leur importance. Typiquement, la mesure de notre succès, de notre impact au quotidien, c'est le nombre de repas sauvés. Pour moi, c'est très important de parler du nombre de repas qu'on sauve plutôt que du chiffre d'affaires, du bénéfice, de toutes ces mesures qui qualifient plutôt les entreprises de l'ancien monde. Au contraire, aujourd’hui, quand on crée une entreprise, on a vraiment envie d'avoir un impact positif. La façon dont on mesure son succès au quotidien est très importante et elle doit être alignée avec la cause qu'on défend. Et c'est essentiel d'avoir un vrai modèle économique dès le début. Important aussi de montrer qu’on n’est plus dans cet ancien monde où les associations font le bien et les entreprises font le mal pour se faire un maximum d'argent. 

Aujourd'hui, on a vraiment envie de créer une nouvelle génération d'entreprises qui visent un impact positif sur la société et qui a un modèle économique pour permettre de faire grandir cet impact le plus vite possible. J'en suis persuadée : la façon la plus efficace de maximiser notre impact, c'est d'avoir ce modèle économique qui nous permette de créer de bons emplois et de continuer à se développer dans le monde entier. Aujourd'hui, on est présents dans 15 pays et cela montre qu'on a une ambition de créer un mouvement mondial de lutte contre le gaspillage. 

À chaque fois que je me heurte à un mur, je me dis : "C’est intéressant !"
Lucie Basch, créatrice de Too Good To Go

Votre entreprise est certifiée BCorp (un label réservé aux sociétés commerciales répondant notamment à des exigences sociétales et environnementales) mais vous ne vous arrêtez pas là, vous êtes également très impliquée dans des missions de sensibilisation et d’éducation au gaspillage alimentaire. Qu’en retirez-vous ?

Toutes ces activités, nous les appelons l'impact indirect de l'application. Ces 150.000 paniers sauvés chaque jour grâce à l’application ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport à l'ampleur du gaspillage. Il faut aller plus loin. Il faut changer les mentalités de toute la société pour avoir un impact dans la lutte contre le gaspillage. C’est pourquoi nous avons ajouté ces quatre piliers d'impact indirect qui sont : comment est-ce que l’on emmène les foyers qui sont responsables aujourd'hui de 30% du gaspillage alimentaire ; les entreprises de l'alimentaire pour aller plus loin que de faire des paniers sur Too Good To Go ; et également la politique et l'éducation pour vraiment emmener toute la société dans un changement majeur d'habitudes. Ce sont des activités qui sont essentielles à notre cause, et c'est un cercle vertueux : plus on réalise des actions, plus on va parler de Too Good To Go, plus l'application va pouvoir continuer à se développer, et donc on va pouvoir continuer à faire grandir l'entreprise et le mouvement conjointement. 

Lucie Basch, quel est votre plus bel échec ?

C'est une bonne question. J'ai du mal à appeler un quelconque moment un échec… Pour moi, ce sont vraiment des apprentissages. C'est comme cela que je fonctionne. À chaque fois que je me heurte à un mur, je me dis : "C’est intéressant !  Je ne l’avais pas vu…  Comment est-ce que je peux le contourner ? Comment est ce que je peux ne pas le rencontrer la prochaine fois ?" Et donc, finalement, c'est vrai que j'ai du mal à avoir des souvenirs négatifs de toute cette aventure. Personnellement, je pense que mon plus gros échec, c'est peut-être d'avoir attendu pour me poser la question de savoir ce que j'avais vraiment envie de faire, moi, Lucie, et comment est-ce que j'avais envie de contribuer à cette société. Je pense que pendant trop longtemps, j'ai fait ce qu'on attendait de moi plutôt que ce que j'avais vraiment envie de faire. 

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Bienvenue dans le podcast "Impact positif", dédié à celles et ceux qui veulent changer la société et le monde. Devant l'urgence climatique, la crise démocratique, une société aux inégalités croissantes, certains ont décidé de ne pas rester les bras croisés, ils ont un coup d'avance, l'audace de croire qu'ils peuvent apporter leur pierre à l'édifice. Ils sont ce que l'on appelle des Changemakers.


Sylvia AMICONE

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