Malgré ses engagements, l'Union européenne va poursuivre la surpêche en 2020

par Charlotte ANGLADE
Publié le 19 décembre 2019 à 17h46, mis à jour le 19 décembre 2019 à 18h13

Source : TF1 Info

BIODIVERSITÉ - Réunis du 16 au 17 décembre pour définir les quotas de pêche pour 2020, les ministres de la pêche de l'Union européenne ont choisi de ne pas systématiquement écouter les recommandations des scientifiques, favorisant ainsi la surpêche pour certaines espèces. Les ONG dénoncent le poids des lobbies, mais aussi un manque de transparence dans ces négociations.

Depuis les années 1970, les stocks de poissons ont diminué de moitié dans les océans. Principale raison de cette chute de population : la surpêche. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), un tiers des stocks de poissons en seraient victimes. Et cela n'est pas près de cesser. Réunis dans la nuit du 16 au 17 décembre, les ministres européens de la pêche se sont, comme chaque année, réunis à Bruxelles afin de négocier, pour les douze mois suivants, les possibilités de pêche dans les eaux européennes de l'Atlantique et de la mer du Nord.

Mais alors que la réforme de la Politique commune de la pêche en 2013 avait fixé comme objectif que tous les stocks européens soient exploités à des niveaux durables "d’ici 2015 lorsque cela est possible et, pour tous les stocks, progressivement et par paliers, en 2020 au plus tard", les ministres ont choisi de continuer à surexploiter certains stocks de poissons, comme le cabillaud dont la population a atteint un niveau critique.

Des captures en hausse de 33% pour la morue

Dans un document publié par l'Union européenne, il apparaît ainsi que si le conseil des ministres a pris des mesures fortes, notamment pour le cabillaud, un certain nombre de "totaux admissibles de capture" (TAC) ont malgré tout été fixés au-dessus des recommandations. Ces dernières sont émises par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), qui réunit des scientifiques du monde entier chargés d'évaluer tous les ans les quantités de poissons. 

Cela est notamment et largement le cas plusieurs stocks vulnérables de morues, situés dans l'ouest de l'Écosse et la mer du Nord. Alors que le Conseil préconisait de ne pas pêcher en 2020 plus de 2,4 tonnes de morue, le conseil des ministres a finalement obtenu un TAC de 3,2 tonnes. Ce sera 1,3 tonnes de plus que recommandé pour le merlu, même si les TAC pour 2020 ont tous été revus à la baisse comparé à ce qui avait été fixé pour 2019. Des TAC supérieurs de 129% pour la plie, de 59% pour le colin et de 71% pour la sole dans les eaux ibériques ont également été établis au-dessus du conseil de précaution scientifique, dénonce l'ONG espagnole Ecologistas en Acción.

Le poids des lobbies ?

"Depuis la réforme de la Politique commune de la pêche, nous observons un jeu des Etats membres qui poussent chaque année pour avoir des quotas plus hauts que les recommandations scientifiques et retarder la mise en place du Rendement Maximal Durable (RMD), mis en place pour éviter la surpêche", nous explique Mathieu Colléter, responsable des relations institutionnelles pour l'association Bloom, qui lutte pour la préservation des océans. "Cette année encore, et malgré l'échéance de 2020, cela a continué."

Pour le militant, les lobbies de la pêche auraient une grande part de responsabilité dans les décisions prises chaque année. Jean-Christophe Vandevelde, chargé de mission pour l'ONG Pew Charitable Trusts, est du même avis. Il se rend chaque année à ces négociations. "Non seulement l'industrie de la pêche participe en amont aux propositions soumises aux ministres et qui définiront les positions à défendre, mais elle est aussi tous les ans présente en masse à Bruxelles", explique-t-il à LCI. "Cette année, il devait y avoir entre 40 et 50 représentants français du secteur sur place", indique-t-il. Tous sont rassemblés à l'hôtel Thon - ça ne s'invente pas - qui jouxte le bâtiment du Conseil des ministres. Parmi eux, des représentants de gros chalutiers, des délégations régionales ou encore des organisations de producteurs. "Ce sont elles qui distribuent les quotas obtenus par le pays. Elles ont vraiment une influence très forte", assure Jean-Christophe Vandevelde.

Traditionnellement, nous explique le membre de Pew Charitable Trusts, le ministre de la Pêche vient débriefer chaque journée de négociations aux représentants du secteur. "Le ministre de la pêche est clairement là pour défendre son industrie, pour grappiller du quota. Il n’en fait pas mystère", regrette le défenseur de l'environnement. "Ce n’est en réalité pas le ministre de la Pêche, mais des pêcheurs. Il ne défend pas la ressource mais, en quelque sorte, ses électeurs."

Une enquête ouverte pour manque de transparence

Au-delà de cette influence, les ONG dénoncent également un manque de transparence dans ces négociations. Aucune retransmission en direct ni compte-rendu ne sont en effet proposés. "Nous demandons à ce que les avis scientifiques soient respectés et qu’au moins, lorsque l’on y déroge, il y ait des arguments clairs et chiffrés sur les raisons", insiste Mathieu Colléter. Suite à la plainte de l'ONG Clients Earth déposée en avril, la médiatrice européenne Emily O'Reilly a d'ailleurs ouvert une enquête concernant l'opacité entretenue par l'Union européenne au sujet du fondement des décisions annuelles des ministres nationaux pour les quotas de pêche. "Les fameuses réunions des ministres à Bruxelles, qui durent toute la nuit, se tiennent à huis clos malgré l’importance des décisions prises pour la pérennité des stocks de poissons et des emplois dans les communautés de pêcheurs en Europe", a-t-elle regretté dans un communiqué

Suite à ces négociations, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation assure, également dans un communiqué publié ce jeudi, que "le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume, a défendu la préservation de la viabilité économique et sociale de toute la filière pêche française, dans un contexte de forte tension sur certains stocks, et toujours dans le respect de l’exploitation durable des ressources halieutiques". Il se félicite par ailleurs des résultats obtenus qui "illustrent l’investissement du gouvernement et des acteurs du secteur pour défendre une pêche française forte et durable".


Charlotte ANGLADE

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