Naufrage à l'Île Maurice : "Les conséquences vont se ressentir pendant plusieurs décennies"

par Pauline BLANC
Publié le 18 août 2020 à 14h00

Source : JT 20h WE

INTERVIEW - Après le naufrage d'un vraquier japonais, fin juillet, sur un récif de l'île Maurice, près de 1000 tonnes de fioul se sont déversées dans l'océan Indien. À quoi faut-il s'attendre désormais ? Comment nettoyer le pétrole et éviter que le scénario ne se répète ? Éléments de réponse avec Vassen Kauppaymuthoo, océanographe à l'Île Maurice.

Entre 800 et 1000 tonnes de fioul dans les eaux turquoise de l'île Maurice. Telles sont les quantités d'hydrocarbures qui se sont déversées dans l'océan Indien depuis le naufrage d'un vraquier japonais, le 25 juillet, sur un récif de la Pointe d'Esny, faisant craindre un désastre écologique. Il faut dire que la zone affectée représente environ 9.500 hectares, dont 4.000 hectares considérés comme "sensibles" d'un point de vue environnemental, coraux, herbiers marins, mangrove, plages et îlots faisant face à la menace. 

Si la situation aurait sans doute pu être "pire" - le navire contenait 3.800 tonnes de fioul -, les risques pour la faune et la flore sont d'ores et déjà indéniables, sans parler des effets économiques et sociaux dans un pays grandement dépendant du tourisme. 

C'est pourquoi l'heure est désormais au nettoyage. Une opération à réaliser avec "d'énormes précautions", prévient Vassen Kauppaymuthoo, océanographe vivant à l'Île Maurice, avec qui LCI a pu s'entretenir ce dimanche.

Si on s’y prend mal, on ne va pas réanimer le malade, on va le tuer
Vassen Kauppaymuthoo, océanographe vivant à l'Île Maurice

LCI : Combien de temps faudra-t-il pour tout nettoyer ? 

Vassen Kauppaymuthoo : Je pense que le nettoyage va prendre au minimum une année. Il s'agit de nettoyer les mangroves une à une, racine par la racine, et de bien nettoyer dans la mer, car certains éléments ont coulé au fond. Ensuite, le plan de réhabilitation va prendre au moins plusieurs dizaines d’années. C’est catastrophique ! 

Comment ces opérations vont-elles se dérouler ? 

Les groupes d’intervention vont proposer des méthodes qui n’ont pas encore été finalisées. Il faut faire très attention et prendre beaucoup de précautions. Le milieu marin a énormément souffert et, si on s’y prend mal, on ne va pas réanimer le malade, on va le tuer. Prenons l'exemple des dispersants chimiques, qui peuvent paraître séduisants puisque, lorsque vous en mettez sur le pétrole, celui-ci se casse en petites particules. Mais bien qu'on ne la voie plus, la marée noire est toujours là et reste nocive. Les dispersants peuvent d'ailleurs causer encore plus de dégâts. Quant aux pelles utilisées pour enlever le pétrole des plages, là-aussi, il faut se montrer prudent. On peut gratter la partie supérieure du sable et rendre la zone perméable pour le pétrole. Il faut donc attendre qu'il sèche avant de l'enlever. Certains, enfin, ont proposé d'utiliser des cheveux, mais, personnellement, je ne pense pas que la méthode soit bonne idée. C'est de la matière organique qui a subi des teintures, des shampoings, donc beaucoup de produits.

Que préconisez-vous ? 

Pour moi, il vaut mieux utiliser des méthodes plus douces. Par exemple avec des Skimmers, des bateaux qui écrèment la surface de la mer et permettent de récupérer une partie des produits pétroliers qui flottent en surface. 

D'un point de vue sanitaire, je crains aussi une recrudescence de cancer
Vassen Kauppaymuthoo, océanographe vivant à l'Île Maurice

Y a-t-il déjà des effets que l'on ne mesure pas ? 

Il y a un impact écologique, mais aussi économique et social ! Beaucoup de famille habite dans les environs. 400 pêcheurs sont enregistrés dans cette zone-là et ne pourront plus travailler, car la consommation de fruits de mer doit, à mon avis, être proscrite. Il y a des hôtels, des restaurants… On ne pourra pas se baigner dans le lagon de si tôt. Le volet social va donc être durement touché. Mais ce n'est pas tout. À certains endroits, en enlevant du pétrole en surface, on en a vu qui ressortait du sable, ce qui pourrait vouloir dire que la nappe phréatique est elle aussi été affectée par ce déversement pétrolier. D'un point de vue sanitaire, je crains aussi une recrudescence de cancer. Il est important de mettre en place un suivi épidémiologique de la population et de l'accompagner. Les conséquences vont se ressentir pendant plusieurs décennies. Selon moi, les pertes frôlent déjà les 100 millions de dollars. 

D’autant plus que le bateau, brisé en deux depuis quelques jours, laisse encore s’échapper du fioul...

L'arrière du bateau est toujours posé sur les récifs, avec environ 50 tonnes de produits pétroliers resté à l’intérieur. Mais en plus, d’autres produits toxiques s'y trouvent : des batteries, des peintures, des partitions toxiques...

Doit-on s'inquiéter que le fioul s'étende jusqu'à La Réunion ?

Non, je ne le pense plus. En fait, le risque était avéré quand il y restait encore 3.800 tonnes de fioul dans le bateau. Mais heureusement, les autorités mauriciennes, avec l'aide des autorités françaises, ont pu pomper ce qu'il restait des réservoirs, laissant seulement les fonds de cuve qui se déversent encore, même si je ne crois pas qu’elles continuent à ce stade.  

La marée noire aurait-elle pu être évitée selon vous ? 

Si le MV Wakoshio avait jeté l’ancre avant d’arriver sur le récif, on n'aurait pas eu ce type de désastre. Ça remet en question la sécurité maritime et la sécurité du territoire. Le fait est que Maurice et La Réunion sont situées dans une zone de trafic maritime important. Mais il n’est pas normal que les bateaux puissent s’approcher à moins de 12 milles nautiques (environ 22 kilomètres, ndlr) de nos côtes. Tous les jours, on a des pétroliers de 200.000 ou 300.000 tonnes qui passent sur nos barrages. Rien que pour le mois de juillet, 2.000 gros bateaux se sont croisés dans nos eaux. On a vu les dégâts des 800 et quelques tonnes qui se sont déversées dans le lagon... Imaginez un pétrolier de 200.000 ou 300.000 tonnes, ce serait désastreux ! Je crois donc que tout cela doit nous amener à réfléchir à mettre en place un système bien plus coordonné dans la région, peut-être à travers la Commission de l'océan Indien ou par d'autres formes de collaboration régionale.


Pauline BLANC

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