ENVIRONNEMENT - L'Etat a été condamné à prouver - sous trois mois - son engagement climatique pris lors de la COP21. Pour l'élue européenne et juriste du droit de l'environnement Marie Toussaint, cette décision est inédite car elle oblige les gouvernements à tenir leurs engagements.
C'est une première "historique", et commentée comme telle. Jeudi 19 novembre, le Conseil d'État a enjoint l'État de prouver son engagement climatique dans un délai de trois mois. Il était poursuivi pour "inaction climatique" par Grande-Synthe, une commune du Nord, exposée à des risques de submersion due au réchauffement climatique et à la montée des eaux.
Sans se prononcer sur le fond, la plus haute juridiction française contraint donc le gouvernement à "justifier de son refus de prendre des mesures complémentaires pour atteindre l'objectif COP21" de réduction de 40% de ses émissions carbone par rapport au niveau de 1990, s'est réjouie l'avocate de la commune Corinne Lepage. LCI revient sur cet "acte fondateur de la justice climatique" avec l'eurodéputée Europe Écologie Les Verts Marie Toussaint, spécialiste du droit international de l'environnement et membre de l'ONG Notre affaire à tous, associée, via le regroupement L'Affaire du siècle, à la saisine du Conseil d'État.
LCI : Comment interprétez-vous cette décision ?
Marie Toussaint : C'est une grande décision, qui fera date dans l'histoire de la justice climatique en France. D'abord, elle souligne que les territoires impactés par le changement climatique comme Grande-Synthe peuvent se constituer parties civiles, comme des ONG, contre l'administration française. Oui, leurs droits sont bafoués par le changement climatique et l'État en est comptable. Surtout, ce que pointe le Conseil d'État dans sa décision, c'est que l'État a des obligations légales. Maintenant, le gouvernement a trois mois pour prouver qu'il remplit ses obligations climatiques. C'est une grande première, parce que jusqu'à présent, les objectifs climats définis à la suite de l'accord de Paris avaient une valeur programmatique (le seul fait que l'État s'engage à les tenir suffisait à prouver leur valeur, ndlr). Ils ont désormais une valeur contraignante, l'État et les gouvernants doivent tenir leurs engagements. C'est la fin des grands discours tenus au niveau international et européen, sans effet sur la tenue des engagements au niveau national.
La France ne pourra pas prouver en 3 mois qu'elle est sur la bonne voie... car elle ne l'est pas.
Marie Toussaint
Les accords de Paris n'avaient donc pas de valeur contraignante ?
Et non ! Les accords comme ceux-là ne sont encore considérés comme contraignants qu'à travers leur traduction en droit interne. Là où le bât blesse, c'est qu'y compris les engagements internes de la France, à travers des lois ou des décrets, n'avaient jusqu'ici pas véritablement force de loi. Ici, le Conseil d'État ne défend pas que l'Accord de Paris est d'effet direct, mais rappelle que le contexte mondial et européen est à la hausse des ambitions climatiques, et qu'en ce sens les engagements pris par la France doivent être considérés comme contraignants.
L'État va-t-il pouvoir démontrer l'efficacité de son action ?
Le Conseil d'État a donné trois mois à l'État pour montrer ce qu'il pouvait faire pour tenir ses engagements. Mais il y a un fossé abyssal entre la trajectoire à suivre pour respecter les engagements et la trajectoire actuelle au vu des actions initiées par la France. En l'état des connaissances dont on dispose, l'expertise du Haut conseil pour le climat, mis en place par le gouvernement lui-même, montre que la France ne pourra pas prouver qu'elle est sur la bonne voie, et ce pour une raison simple : elle ne l’est pas.
La justice a-t-elle les moyens de contraindre concrètement un État à tenir ses engagements climatiques ?
On peut imaginer que la justice demande à l'État de mettre en œuvre ces engagements. Elle peut enjoindre l'État à tout faire pour rattraper son retard, elle peut même être beaucoup plus précise dans ses demandes. Mais la justice climatique n'en est qu'à ses premiers pas, si bien qu'il est encore complexe d'anticiper exactement ce que demanderont les juges. Pour rappel, le Conseil d'État a pris l'été dernier une décision sur la pollution de l'air, sommant l'État d'agir et annonçant des astreintes financières importantes en cas de retard (54.000 euros par jour aussi longtemps qu'il n'aura pas agi pour la réduire dans huit zones urbaines, ndlr).
En France, en Colombie, aux Pays-Bas, les juridictions suprêmes des pays disent aux États : "Vos engagements valent quelque chose, vous avez la responsabilité de les mettre en œuvre". Plus ces cours suprêmes leur diront, plus ceux-ci auront cette obligation d'action. D'une certaine façon, les tribunaux viennent pallier les défaillances du politique.
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