Néonicotinoïdes "tueurs d'abeilles" : on vous explique pourquoi la France et l'UE s'opposent

Publié le 20 janvier 2023 à 16h30

Source : 24H PUJADAS, L'info en questions

Les "autorisations d'urgence" invoquées par la France pour l'usage de néonicotinoïdes dans les champs de betteraves sont dénoncées par l'UE.
La Cour de justice de l'Union européenne juge ces mesures illégales et appelle à cesser leur usage.
Le ministère de l'Agriculture prend acte, mais les agriculteurs s'inquiètent.

La justice européenne s'est montrée très claire cette semaine. Elle a indiqué que les États membres de l'UE, au premier rang desquels la France, ne sont pas autorisés à contourner l'interdiction portant sur les semences traitées aux néonicotinoïdes. Des circonstances exceptionnelles comme celles invoquées par les pays concernés ne sont d'ailleurs pas considérées comme recevables. Un sujet épineux pour le gouvernement, qui va devoir trouver des réponses rapides aux inquiétudes des agriculteurs.

Les néonicotinoïdes, qu'est-ce que c'est ?

Derrière leur nom un peu barbare, les néonicotinoïdes désignent des insecticides très puissants, utilisés notamment pour prévenir les ravages causés par des espèces telles que le puceron. Ils peuvent être utilisés pour le traitement des semences, qui deviennent alors moins vulnérables aux attaques.

Des produits déjà interdits... en théorie ?

Les travaux scientifiques menés au fil des ans ont permis de prouver que ces produits étaient dangereux pour les insectes pollinisateurs. Les abeilles, en particulier, font partie des espèces qui sont présentées comme les plus vulnérables. C'est pour cette raison que l'UE a décidé d'interdire en son sein l'usage des néonicotinoïdes, l'entrée en vigueur de cette mesure étant fixée au 1er septembre 2018.

Pourtant, la France a de nouveau autorisé (de façon ponctuelle) ces substances controversées, afin de permettre aux producteurs de betteraves de lutter contre les pucerons véhiculant avec leurs piqures le virus de la jaunisse aux plantes. Le ministre de l'Agriculture de l'époque, Julien Denormandie, expliquait ce choix en assurant qu'il n'existait "pas d'alternative d'échelle, qu'elle soit chimique ou agronomique" pouvant être utilisée à court terme. L'objectif de cette dérogation était de permettre aux agriculteurs de s'adapter, sans risquer de voir les insectes décimer toute leur production durant quelques années.

L'UE dit "non"

Dans un arrêt daté du 19 janvier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a donné tort à la France, ainsi qu'à la dizaine d'autres pays européens qui appliquaient un régime dérogatoire pour l'usage des néonicotinoïdes. Si l'institution reconnaît que les États membres ont le droit "dans des circonstances exceptionnelles" à autoriser de manière ponctuelle "des produits phytopharmaceutiques ne satisfaisant pas aux conditions prévues" par la législation, elle se montre aussi très claire. En ce qui concerne "les semences traitées à l'aide de produits phytopharmaceutiques contenant des substances interdites expressément", le législateur européen "n'a pas entendu permettre aux États membres de déroger à une telle interdiction expresse". Les Vingt-Sept sont donc tenus de se conformer aux textes en vigueur, sans les contourner.

La France dans l'embarras ?

À travers un communiqué, le ministère de l'Agriculture a indiqué que le gouvernement allait "expertiser les conséquences juridiques de cette décision en droit français et les conséquences pour la campagne de production qui s’ouvre", faisant ici référence de manière explicite à la culture de la betterave, à laquelle l'usage des néonicotinoïdes était retreint. Le Monde, qui cite des sources proches du dossier, glisse que "l’arrêté de réautorisation" de ces produits pour une troisième année de suite pourrait malgré tout être signé, alors même qu'il est "illégal au regard du droit européen". Un passage en force qui entraînerait alors à coup sûr une saisine du Conseil d’État dans la foulée.

Des agriculteurs très remontés

Sans surprise, la position de la CJUE a été accueillie avec craintes et colère dans le camp des producteurs. La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) indique qu'elle "s’insurge" de la "brutalité d’une telle décision". Cette dernière est accusée de faire courir le risque "d’entraîner des conséquences désastreuses et irréversibles dans nos territoires ruraux". Même son de cloche au sein de la FNSEA, pour qui l'UE place "20.000 betteraviers et toute une filière devant le risque d'une impasse". Dès lors, ajoute la fédération, "il y a urgence à trouver des solutions". Une inquiétude qui tranche avec l'enthousiasme d'associations écologistes, ravies de voir la France ainsi rappelée à ses obligations légales. 

Du côté du gouvernement, on fait savoir que le ministère de l'Agriculture s'est engagé "depuis deux ans dans un programme de sortie de néonicotinoïdes sur les semences de betterave", ainsi que dans des "recherches d’alternatives". Un vaste plan national de recherche et d’innovation (PNRI) a par ailleurs été déployé, censé offrir des "solutions alternatives aux néonicotinoïdes [...] techniquement et économiquement viables à l’horizon de 2024".


Thomas DESZPOT

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TF1 Info