"Le climat n’a pas besoin d’une année blanche mais de mesures sur la durée", le leurre des bienfaits environnementaux du confinement

Propos recueillis par Caroline Quevrain
Publié le 3 avril 2020 à 22h01
"Le climat n’a pas besoin d’une année blanche mais de mesures sur la durée", le leurre des bienfaits environnementaux du confinement
Source : EUROPEAN SPACE AGENCY / AFP

ENTRETIEN – Depuis le début de l’épidémie et des mesures de quarantaine, on ne cesse de répéter que la nature reprend ses droits. Qu’en est-il réellement ? Quelles conséquences aura cette crise sanitaire sur le climat ? Nous avons posé la question à François Gemenne, chercheur-membre du GIEC.

Aujourd’hui, face à la pandémie de Covid-19, plus de la moitié de l’humanité a pour consigne de rester à domicile et l’activité industrielle tourne au ralenti, voire pas du tout. Résultat, la pollution au dioxyde d’azote (NOx) a nettement diminué au-dessus des grandes villes européennes. Même chose en Chine, où la pollution au dioxyde de carbone (CO2) aurait baissé de 30 % ces dernières semaines. 

C’est littéralement du jamais-vu : la planète respire à nouveau. Tandis que certains scientifiques y voient une aubaine pour le climat, d’autres s’inquiètent des conséquences de cette crise sanitaire sur le long terme. C’est le cas de François Gemenne, membre du GIEC, chercheur à l’université de Liège et spécialiste de la gouvernance du climat. Entretien.

LCI : Les mesures de confinement entraînent déjà une baisse considérable de la pollution de l’air et des émissions de gaz à effet de serre. Peut-on parler de répit pour la planète ?

François Gemenne : Je crains malheureusement que ce répit sera de courte durée. On observe pour le moment une baisse de la pollution atmosphérique et des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 25 %, mais elle sera brève. L’Histoire nous apprend qu’il y a toujours un rebond de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre après les crises : les plans de relance économique ont tendance à vouloir relancer la machine, c’est-à-dire une économie essentiellement fondée sur l’extraction des énergies fossiles. Et puis aussi parce que l’on voit que plusieurs gouvernements commencent déjà à remettre en cause les législations environnementales existantes. C’est le cas des Etats-Unis, mais aussi de la Pologne et de la République Tchèque avec le Green New Deal européen. 

"La crise actuelle trouve aussi ses racines dans la crise environnementale"

LCI : Dans une tribune publiée dans Le Soir, vous affirmez que "cette crise sera une catastrophe pour le climat". Pourquoi ? Selon vous, ce phénomène ne peut avoir aucun effet positif durable sur le réchauffement climatique ? 

François Gemenne : Avec les milliards que les gouvernements vont réinjecter dans l’économie, ils auront à leur disposition un instrument de planification massive de l’économie. Ce que je crains, c’est que plutôt que d’activer une sorte de new deal écologique, comme celui qui est dans les cartons de la Commission européenne, on ne tende une bouée de sauvetage à des industries liées aux énergies fossiles. Et de fait, qu’on ne prolonge la vie de l’énergie fossile pour quelques années encore et qu’on ne renvoie à plus tard toute une série de préoccupations pour le climat. Tout simplement, parce que les gouvernements auront les yeux rivés sur leurs indicateurs de croissance. 

LCI : Des accords environnementaux, comme celui de Paris, sont-ils menacés ? 

François Gemenne : Il y aura surtout cette idée que l’environnement passe après, qu’il faut d’abord retrouver de la croissance économique. Ce serait une grave erreur puisque la crise actuelle trouve aussi ses racines dans la crise environnementale. 

LCI : Le climatologue Jean Jouzel a récemment comparé la pandémie et la crise de 2008, où l’activité industrielle s’est ralentie à l’époque puis a repris de plus belle en 2010, provoquant une hausse importante des émissions de gaz carbonique. Que pensez-vous de ce parallèle ? 

François Gemenne : En 2008, lors de la crise financière, on avait aussi assisté à une baisse des émissions de gaz à effet de serre. On avait aussi dit à l’époque que la crise avait créé une forme de répit pour la planète. Et puis on avait vu en 2010, dès que l’économie avait été relancée, un rebond important des émissions, qui avaient même dépassé le niveau atteint avant la crise.

LCI : C’était il y a dix ans… La société n’a-t-elle pas évolué ? Va-t-on forcément vers un scénario similaire ?

François Gemenne : Il suffit de voir comment beaucoup de gouvernements réagissent. Aux Etats-Unis, on vient de décider de suspendre tout simplement l’application des lois environnementales pour précisément relancer l’économie. Plutôt que de chercher à reconstruire une nouvelle économie, je crains qu’on ne remette une pièce dans la machine d’avant, celle de l’économie carbonée. Mais j’espère me tromper. 

LCI : A la sortie de ce confinement planétaire, que faudrait-il faire pour poursuivre les objectifs de l’accord de Paris ? 

François Gemenne : Le paradoxe, c’est que nous sommes sans doute au-delà des objectifs de l’accord de Paris. Les émissions de gaz à effet de serre sont en train de baisser de l’ordre de 25 % au niveau mondial, tandis que l’accord de Paris poursuit l’objectif d’une baisse de 7 % des émissions mondiales. Nous sommes donc dans les clous de l’accord de Paris, même au-delà, à cause de mesures imposées par une urgence sanitaire.

La grande question est de savoir comment nous allons transformer des mesures que nous subissons aujourd’hui en mesures que nous choisirons demain. A mon sens, il faut pouvoir utiliser l’opportunité qui nous est donnée avec cette mise en pause de l’économie mondiale. Ce qu’il faut faire, nous le savons déjà en réalité : il faut encourager le Green New Deal européen. C’est l’occasion de lui donner une amplitude nouvelle. 

Ces plans d’investissements sont aussi une opportunité énorme de faire émerger de nouveaux secteurs économiques, comme celui des énergies renouvelables, et d’orienter l’économie vers un monde à bas-carbone. Si nous ne saisissons pas de cette opportunité, nous aurons tout perdu d’une certaine manière.

"Le changement climatique nous apparaît encore comme un danger lointain et distant"

LCI : L’anthropologue Bruno Latour estime que ce qui a été instauré pour répondre à la crise sanitaire devrait être transposé à la crise climatique. Qu’en pensez-vous ? 

François Gemenne : Je le rejoins sur le constat qu’il est possible aux gouvernements d’imposer des mesures urgentes, radicales et même très coûteuses, face à ce qui est perçu comme un danger imminent. On pourrait donc être tenté de se dire : "pourquoi ne fait-on pas la même chose pour le climat ?" Mais c’est d’abord un problème de perception : nous percevons le coronavirus comme un danger imminent et proche alors qu’à l’inverse, le changement climatique nous apparaît encore comme un danger lointain et distant. 

D’autre part, ces mesures que les gouvernements imposent, nous les acceptons car elles sont temporaires. Si nous voulions appliquer la même chose pour le climat, il ne faudrait non pas le faire de manière temporaire mais permanente. Le climat n’a pas besoin d’une année blanche mais de mesures que l’on puisse tenir dans le temps et sur la durée.

Un risque toutefois : la situation actuelle pourrait donner l’impression que les mesures de lutte contre le changement climatique requièrent la mise à l’arrêt de l’économie et le confinement. Or, pour lutter contre le changement climatique, cela ne pourra pas se faire chacun chez soi, il faudra une solidarité internationale, mais aussi une autre forme d’économie, pas simplement une économie à l’arrêt. 


Propos recueillis par Caroline Quevrain

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