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Pêche : la "senne démersale", technique controversée, est-elle vraiment défendue par la France à Bruxelles ?

Publié le 30 septembre 2022 à 17h17

Source : JT 20h Semaine

Des pêcheurs français, soutenus par des ONG et des élus, déplorent que le gouvernement soutienne une technique de pêche controversée.
La France ne s'est en effet pas opposée à Bruxelles à la "senne démersale", pourtant accusée de vider la Manche de ses poissons.
Les pêcheurs néerlandais sont à l'origine de cette technique, dont l'impact à long terme est redouté.

Méconnue du grand public, la senne démersale est une technique de pêche qui se trouve actuellement au cœur d'une importante controverse. Le gouvernement est pointé du doigt, car il s'entêterait à la défendre auprès des instances européennes, contre l'intérêt des pêcheurs et mettant en danger la biodiversité. On fait le point sur ces accusations.

La senne démersale, une pratique contestée ?

Cette technique, qui s'est développée dans la Manche depuis un peu moins de 20 ans, s'apparente à celle du chalut et consiste à déposer sur les fonds marins un filet dont la forme rappelle celle d'un entonnoir. Ce filet, explique l'ONG Bloom, est "relié par ses deux extrémités à un câble qui est déployé sur le fond encerclant une surface de 3 km²". Le câble en question se trouve "ensuite mis en vibration pour créer un mur de sédiments", puis "rabattu de manière à concentrer les poissons sur une zone de plus en plus réduite. La dernière étape piège les poissons dans le filet."

Plusieurs éléments sont avancés pour dénoncer la senne démersale. Le fait que la surface ratissée soit immense (en une journée, 5 navires suffiraient à pêcher sur une vaste comme celle de Paris), mais aussi que cette technique soit "non sélective". Les acteurs associatifs mettent ainsi en avant un impact particulièrement nocif pour la biodiversité marine, avec le rejet massif par les pêcheurs d'espèces de poissons non désirés. Un autre point concerne la préservation d'une pêche traditionnelle et artisanale, mise en danger selon ses défenseurs par les bateaux qui pratiquent la senne démersale.

Une opposition généralisée ?

Pour s'opposer à cette technique, les ONG mettent en avant un rejet massif des pêcheurs français. Les responsables politiques se sont emparés du sujet, à l'instar du président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand (LR). Il a lancé un appel au secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville, et mis en avant une "situation particulièrement préoccupante". Ces derniers jours, une proposition de résolution européenne cosignée par 143 députés a par ailleurs été déposée, plaidant pour une interdiction de la senne démersale.

Que fait le gouvernement ?

Ce jeudi, un trilogue européen entre les représentants de la Commission, du Conseil et du Parlement, portait sur le régime d’accès aux eaux territoriales pour les autres États membres. Dans ce cadre, un amendement a été déposé par l'eurodéputée écologiste Caroline Roose, visant à bannir la senne. Cet amendement a été rejeté, au grand dam des associations et de l'intéressée. 

"La France comprend tout à fait la position des députés" et des opposants à la senne démersale, indiquait au Monde cette semaine l'entourage du secrétaire d'État à la Mer. Pour autant, remettre en cause via cet amendement le régime du droit d’accès aux eaux de l’UE a été écarté, car ces droits auraient déjà "fait l’objet d’une grosse, grosse concertation" et nécessitent un renouvellement avant la fin de l'année. Le quotidien du soir précise que "le préfet de la façade Manche est-mer du Nord est [...] chargé de trouver localement un terrain d’entente entre senneurs, fileyeurs, caseyeurs et chalutiers néerlandais, belges et français." 

Si un manque d'études d'impact de cette pratique est parfois avancé pour s'opposer à une interdiction, les autorités françaises se sont alignées sur la position du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), ne plaidant pas pour une interdiction. Ayant par le passé soutenu la pêche électrique, cette instance est critiquée par des ONG telles que Bloom, en raison du fait qu'elle serait influencée "par les intérêts industriels et notamment néerlandais". Dans ce dossier, c'est en toile de fond une fracture très nette qui s'observe entre les défenseurs d'une pêche artisanale et de proximité d'un côté, et les acteurs de la pêche industrielle de l'autre.

Les Pays-Bas souvent accusés ?

Parmi les quelque 54 navires qui pratiqueraient la senne démersale dans la Manche, 40 appartiendraient à des armateurs néerlandais. C'est au Pays-Bas que cette technique a été développée, permettant d'atteindre des rendements sans commune mesure avec ceux des pêcheurs artisanaux. Olivier Leprêtre, président du comité régional des pêches des Hauts-de-France, évoque des Hollandais qui seraient "des financiers de la mer", ne se préoccupant pas de l’avenir. "On ne peut pas laisser des bateaux de 30 à 40 mètres pêcher à 6 miles de nos côtes ! Le problème, c’est leur gigantisme", plaide-t-il

Et maintenant ?

L'amendement rejeté au niveau européen ne signe pas forcément la fin du combat pour les opposants à la senne démersale. Le député PCF de la Seine-Maritime, Sébastien Jumel, entend continuer à se mobiliser. "Cette proposition de résolution, je la porterai dans l'hémicycle en mai, à l'occasion de la niche parlementaire du groupe communiste", a-t-il promis au micro de France Bleu.

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Thomas DESZPOT

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