À LA LOUPE - Lors du débat entre les chefs de file des différents partis politiques sur LCI, mercredi 24 avril, Olivier Faure a évoqué la question des migrants climatiques et l'importance de la prise en compte de ce phénomène dès aujourd'hui. Un point balayé par ses concurrents, qui estiment que les migrations climatiques ne concernent pas encore la France. La cellule de fact-checking de LCI s'est tournée vers des experts pour savoir qui a raison.
Mercredi dernier, sur le plateau de "La Grande explication" réunissant les différents leaders des partis politiques français, la question migratoire a donné lieu à des échanges enflammés sur le contrôle des frontières. Mais pour le patron du PS, Olivier Faure, cette approche serait pas la bonne. Avançant l'idée qu'il est urgent de s'attaquer aux causes plutôt qu'aux conséquences, il a mis en avant la lutte contre le réchauffement climatique. Un point qu'il a eu bien des difficultés à défendre.
"Des dizaines, des centaines de millions de femmes et d’hommes vont fuir parce qu’ils ne pourront plus boire, parce qu’ils ne pourront plus nourrir leur bétail", a souligné le chef de file des socialistes."Ce n'est pas le cas aujourd'hui", le coupe Marine Le Pen. "On sait bien qu’il y a un rapport étroit entre la question climatique, la question du développement et la question des migrations", rétorque-t-il. "La meilleure façon de vaincre la question de ces flux qui vont être massifs...", tente-t-il d'amorcer. Nouveau couperet de Marine Le Pen : "Non mais on parle d'aujourd'hui". "Il y a des guerres, y compris aujourd’hui, qui sont étroitement liées à la question climatique. On les voit de manière ethnique, mais ce sont déjà des questions de territoires qui sont posées parce qu’on ne peut plus nourrir son bétail, parce qu’on ne peut plus boire...", tente-t-il d'expliquer.
Aux réfutations de la présidente du Rassemblement national, s'ajoutent les réactions du journaliste David Pujadas - "La question climatique, elle viendra peut-être en France, mais pour l’instant elle n’est pas majoritaire" - et du président du Modem François Bayrou - "Les causes de l'immigration, c’est la guerre et la misère, ce n’est pas le climat".
Un vrai dialogue de sourd. Alors, qui dit vrai ? Les migrations climatiques touchent-elles aujourd'hui la France ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes tournés vers deux expertes, Alice Baillat, chercheuse spécialiste des migrations climatiques à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et Christel Cournil, maîtresse de conférences de droit public spécialiste des migrations environnementales et du droit international des migrations.
La question des migrations climatiques n'est pas nouvelle, elle fait partie de l'humanité depuis la nuit des temps. "Le facteur environnemental a toujours été présent pour expliquer les phénomènes migratoires, c’est même un des plus vieux facteurs probablement, souligne Alice Baillat. Vous avez des exemples qui remontent à plusieurs milliers d’années. D'anciennes cités ont été dévastées par une sécheresse, une tempête de sable, et cela a conduit des gens à migrer et à peupler la planète au fur et à mesure des siècles." La différence aujourd'hui réside dans l'ampleur du phénomène. Montée des eaux, inondations, désertification, sont amplifiées en raison du réchauffement climatique. Les migrations environnementales sont devenues plus visibles aujourd'hui, et notamment dans le débat politique.
Peut-on pour autant considérer que des migrants climatiques résident actuellement en France ? "La réponse est plutôt oui", poursuit la chercheuse. "Je mets au défi n’importe qui d’être capable aujourd’hui de faire la distinction entre un migrant économique et un migrant climatique, quand ce dernier est originaire de la région de l’Afrique subsaharienne." Cette région du monde, et dont est issue une grande partie des immigrés européens, est d’ores et déjà sérieusement dégradée sur le plan environnemental. "Cela a une incidence qui est palpable sur les moyens de subsistance de ces populations d’Afrique", ajoute Alice Baillat.
"Aujourd'hui, on retient surtout les facteurs économiques, mais cela relève d'une vision assez binaire des migrations, très présente en Europe et qui a structuré nos politiques migratoires. Schématiquement, vous avez d’un côté les réfugiés politiques - les bons migrants que l’on peut accueillir en Europe - et de l’autre les migrants économiques, ceux qui ne seraient pas légitimes à demander l’asile ou l’accueil au niveau européen parce qu’ils ne seraient pas en train de fuir des conflits. Le problème, c’est que ces facteurs économiques sont déjà imbriqués avec des facteurs environnementaux." Selon le ministère du Travail, sur les 255.550 titres de séjour délivrés en 2018, 35.645 l'ont été pour des raisons humanitaires (réfugiés) et 32.815 pour des raisons économiques.
"Juridiquement, il n’y a pas de définition des réfugiés climatiques ou des déplacés climatiques. La convention de Genève prévoit des motifs d’attribution du statut de réfugié, dans lesquels il n’y a pas le motif environnemental", souligne Christel Cournil. Pourtant, elle aussi constate que les migrants se déplacent souvent pour des raisons multiples, hormis à la suite d'une catastrophe naturelle.
Des facteurs imbriqués les uns aux autres
Si les raisons économiques et climatiques peuvent être liées, en est-il de même avec les conflits ? Olivier Faure a-t-il raison ou tort lorsqu'il évoque que des guerres reposent aujourd'hui sur des problématiques environnementales ? La docteure du Centre de recherches internationales (CERI) se veut nuancée. "Elles ne seront jamais en elles-mêmes même un facteur de conflit, mais cela peut mettre le feu aux poudres dans des situations qui sont déjà explosives", explique-t-elle.
Un exemple : le conflit syrien. "Le premier facteur, bien sûr, c’est le mécontentement par rapport à Bachar el-Assad, l’autoritarisme du gouvernement, la répression mise en place par le pouvoir, mais vous avez aussi une sécheresse sans précédent qui a touché la région entre 2007 et 2011, dans le Nord-est de la Syrie" - région où Daech a débuté son extension. "Cette sécheresse - qui s’inscrit dans une tendance longue à la désertification et que l’on attribue au réchauffement climatique - a poussé plus d’1,5 million de Syriens à se déplacer vers les villes principales du pays, de manière concomitante avec les réfugiés irakiens qui arrivaient à la même époque. Il y a eu une pression démographique intenable avec une hausse des denrées alimentaires, une hausse des prix du logement. C'est en partie ce qui a conduit au soulèvement populaire en 2011."
Des migrations majoritairement internes
Pour autant, le nombre de migrants climatiques en France et en Europe est aujourd'hui limité. Actuellement, "toutes les études scientifiques nous disent que la très grande majorité des déplacements dits climatiques ou environnementaux se font en interne ou à l’échelle intra-régionale", précise Alice Baillat. "La migration, il faut la voir comme une continuum où les gens vont très rarement envisager la migration internationale comme premier choix."
En premier lieu, les personnes vont migrer à proximité de leur domicile, par exemple de la campagne à la ville dans un cas de sécheresse. Puis, si l’environnement ne leur offre toujours pas les moyens de leur subsistance, ils migreront éventuellement dans le pays voisin. Ce n'est souvent qu'en dernier recours, si ce n'est toujours pas une opportunité viable pour eux, qu'ils envisageront la migration internationale, vers l’Europe ou ailleurs.
Les trois régions principalement touchées sont l'Afrique, l'Amérique latine et l'Asie du sud. Selon la Banque mondiale, "l’aggravation des effets du changement climatique dans (ces) trois régions du monde densément peuplées pourrait pousser plus de 140 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050." Un nombre colossal.
"Depuis quatre ou cinq ans, les déplacements de population liés à des aléas climatiques sont supérieurs aux migrations pour des raisons humanitaires ou politiques", estime Christel Cournil. La carte du centre de surveillance des déplacements internes (IMDC), disponible en carte interactive sur leur site internet, montre ainsi une prévalence des migrations suite à des catastrophes naturelles (en bleu).
On observe également des déplacements, plus minimes, dans les pays développés, aux Etats-Unis ou en Europe. En cause : des ouragans, des inondations ou encore des incendies liés à la sécheresse. Mais à la différence d'autres régions du monde, ces pays ont des capacités financières et structurelles pour y faire face. Aux Pays-Bas, le gouvernement a annoncé en 2014 vouloir investir 20 milliards d'euros sur trente ans principalement pour renforcer ses digues et lutter contre la montée des eaux. En France, le gouvernement a mis en place des "zones noires", inhabitables et inconstructibles, à la suite de la tempête Xynthia. Des centaines d'habitants ont été expropriés et ont dû déménager.
En France, ce sont toutefois les territoires d'outre-mer, plus vulnérables que la métropole, qui devraient connaître d'importants déplacements internes de population. "Ces territoires pourraient aussi être amenés à accueillir des populations des îles voisines, en provenance des petits États insulaires du Pacifique par exemple", prédit Alice Baillat.
Une lente prise en compte par la communauté internationale
Encore trop méconnue, la question des déplacés commence tout juste à être abordée par la communauté internationale. En 2010, les accords de Cancún ont été le premier texte international à reconnaître cette question et à encourager les Etats à mettre en œuvre des mesures pour prévenir et encadrer ces déplacements. Depuis l'accord de Paris en 2016, une nouvelle organisation regroupant 17 Etats, dont la France, est chargée de rassembler les bonnes pratiques pour les personnes ayant subi une catastrophe naturelle et ayant franchi une frontière. Malgré ces avancées, aucune mesure coercitive ne s'impose aux Etats aujourd'hui.
"Une des difficultés est de construire une définition, et donc des instruments juridiques, qui encadrent ces migrations", indique Christel Cournil. Comme les migrants se déplacent souvent pour des raisons multiples, il est très difficile d'identifier un motif de départ", souligne la juriste. "Toute la difficulté de la construction d’un régime juridique dédié est là."
Les experts se montrent divisés. Certains universitaires, comme Michel Prieur, proposent l'adoption d'une convention internationale sur les déplacés environnementaux, un processus qui s'annonce long. "Une autre piste, plus pragmatique, estime qu’il vaut mieux amender les outils existants et maximiser les efforts en matière de prévention des risques de catastrophes, sans forcément se focaliser sur les motifs environnementaux", poursuit-elle.
La communauté internationale tâtonne encore, alors que la gestion de cette problématique devient de plus en plus urgente. Alors que faire ? Que les Etats s'attachent à gérer l'avant, le pendant, et l'après est essentiel pour Alice Baillat. Pour réduire ces migrations, "il est nécessaire de prévenir, et donc d'agir sur les causes, cela passe par la réduction des gaz à effet de serre, mais aussi par l'amélioration de la résilience des populations concernées pour les rendre plus à même de faire face aux aléas climatiques", dit-elle. "Certains déplacements sont inévitables, dans ce cas là, il faut réfléchir à comment on répond aux besoins des personnes", poursuit-elle et s'attacher à faciliter l'après, que cela passe par leur intégration ou, lorsque cela est possible, à leur retour dans leur pays d'origine.
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