Pourquoi les pays d'Asie renvoient-ils des conteneurs de déchets vers les pays développés ?

par Matthieu JUBLIN
Publié le 31 juillet 2019 à 21h17
Pourquoi les pays d'Asie renvoient-ils des conteneurs de déchets vers les pays développés ?

Source : LOIC VENANCE / AFP

PATATE CHAUDE - Ces derniers mois, de nombreux pays d'Asie du sud-est ont annoncé le renvoi de conteneurs de déchets vers leurs pays d'origine. Aux sources de ce casse-tête, il y a la décision de la Chine de ne plus être la "poubelle du monde", provoquant le chaos sur le marché du recyclage... Jusqu'en Europe.

Depuis plusieurs mois, les annonces se multiplient : des pays asiatiques renvoient les uns après les autres des conteneurs de déchets vers des pays développés. Dernier exemple en date : deux conteneurs ont été renvoyés vers la France par l'Indonésie (et cinq autres vers Hong Kong), après avoir été jugés contraires aux règles d'importation. Derrière ce phénomène, c'est tout le marché mondial du recyclage et du traitement des déchets qui est en plein chaos, sur fond de production de plastique toujours plus importante et de ras-le-bol de certains pays - la Chine en tête - qui ne veulent plus être les "poubelles du monde".

Malaisie, Indonésie, Philippines, Cambodge ou encore Sri-Lanka : les retours de conteneurs, résumés par l'AFP ci-dessous, se suivent et se ressemblent. Mais c'est la Chine qui a démarré le mouvement. En 2018, le pays a cessé d'importer 24 catégories de déchets plastiques, provoquant la désorganisation du marché et obligeant les pays développés à trouver de nouveaux débouchés pour leurs déchets. Pourquoi ?

Pourquoi envoyer nos déchets à l'étranger ?

Pour comprendre ces renvois massifs de déchets à l'envoyeur, il faut d'abord s'intéresser à la raison pour laquelle ils sont envoyés à l'autre bout du monde. "L'immense majorité des objets de notre quotidien est fabriquée en Asie. Il est donc tout à fait normal que l'Asie concentre l'essentiel d'usines consommatrices de matières recyclables, servant à produire de nouveaux objets", explique Evguenia Dereviankine, spécialiste des litiges sur les transferts internationaux de déchets, dans Les Échos. Nos déchets ne font qu'alimenter aujourd'hui les usines qui nous fourniront demain nos objets."

Mais tous les déchets ne se valent pas, car tous ne sont pas aussi facilement recyclables. Surtout le plastique, dont certaines variétés se traitent aisément, comme le polytéréphtalate d'éthylène (PET) des bouteilles d'eau ou de soda, alors que d'autres ne peuvent être valorisés qu'en étant brûlés pour produire de l'énergie, parfois au prix d'émanations de gaz toxiques liés à la combustion. 

Autre difficulté : pour être recyclés, les déchets qui le peuvent doivent être au maximum réunis de manière homogène (un même type de plastique ou une même qualité de papier, par exemple) et donc contenir le moins d'éléments étrangers ou de saletés diverses. Moins les déchets sont valorisables et plus ils sont mélangés, moins le recyclage est rentable. C'est aussi la raison pour laquelle ces activités de tri à faible valeur ajoutée se situent dans des pays en développement. Il appartient enfin à chaque pays de fixer ses normes en matière de qualité de déchets acceptée.

Pour toutes ces raisons, le tableau est déjà noir : sur les 6,3 milliards de tonnes de plastique produites par l'humanité depuis les années 1960, seuls 9% ont été recyclées, 12% ont été incinérées, le reste s'accumulant dans des décharges ou dans la nature. Ce stock est déjà difficilement captable et valorisable.

Comment la décision de la Chine a déplacé le problème

Les réglementations nationales sur la qualité des déchets importés ont été largement renforcées en Asie. D'abord, en juillet 2017, la Chine annonce le lancement de son opération "Épée nationale", qui consiste à cesser d'importer 24 types de déchets au 1er janvier 2018 (certains plastiques, des papiers non triés, certains textiles, ainsi que des déchets provenant de la fabrication du fer ou de l'acier). En avril 2018, Pékin annonce que 32 types de déchets supplémentaires seront interdits progressivement entre début et fin 2019.

Premier importateur de déchets au monde, la Chine subissait les pollutions locales causées par le stockage et le retraitement des déchets. L'opération "Épée nationale" a complètement renversé la situation : Chine, les importations de plastique ont chuté de 600.000 tonnes par mois en 2016 à 30.000 tonnes par mois en 2018. Les importations totales de déchets, elles, ont baissé de plus de moitié sur la même période.

Le retrait chinois du marché a poussé les industriels du recyclage à se tourner vers d'autres pays du sud-est asiatique, qui n'ont pas tardé à connaître les mêmes problèmes. Dès fin 2018, un rapport de Greenpeace pointait les conséquences en Malaisie de cette importation massive de déchets, alors que le pays est devenu de loin le plus gros importateur de déchets en 2018. Décrivant un "système en voie d'effondrement", l'ONG affirme qu'il n'est "pas tenable de se reposer sur une industrie illégale du plastique pour créer du revenu et des emplois". En avril 2019, c'est un rapport d'un groupe international d'ONG qui lève le voile sur la situation catastrophique de plusieurs pays qui voient - littéralement - des montagnes de déchets s'accumuler.

L'absence de filière industrielle a en effet entraîné l'arrivée de nombreux entrepreneurs voyous dans ces pays du sud-est asiatique. Ces derniers, après avoir trié les déchets valorisables, brûlent le reste du stock à l'air libre, le jettent en pleine nature ou l'abandonnent sur le site, causant une cascade de problèmes sanitaires et sociaux. Une ONG malaisienne avait ainsi révélé que, sur 38 sites de traitement, un seul exerçait légalement. En mai, le gouvernement malaisien a dit stop, promettant de renvoyer des centaines de tonnes de plastique contaminé, rapidement suivi par d'autres. Entre-temps, de nombreuses manifestations se sont organisées pour exiger des pays riches qu'ils "reprennent leurs déchets".

VIDÉO - Microplastiques : des déchets invisibles qui polluent nos eauxSource : JT 20h Semaine

Les pays occidentaux dans l'impasse ?

Si la situation est catastrophique en Asie du sud-est, elle entraîne aussi des difficultés dans les pays occidentaux, qui ne peuvent traiter tous les déchets qu'ils produisent. La France expédiait auparavant environ 50 % de ses déchets plastiques triés - soit environ 250.000 tonnes par an - vers la Chine, selon le Bureau international du recyclage (BIR). Les autres pays d'Europe affichent une proportion semblable. Maintenant que les débouchés bon marché se ferment un à un à cause de réglementation durcies, que faire ?

Alors que 60% des déchets plastiques exportés par les pays du G7 atterrissaient en Chine en 2017, ils ne sont plus que 10% en 2018. La France et l'Europe font désormais face à une saturation des centres de valorisation énergétique (ceux qui brûlent les déchets pour produire de l'énergie) et des centres d'enfouissement (où les déchets sont enterrés). Sans oublier qu'un tel afflux de déchets fait baisser les prix, déstabilisant certaines filières de retraitement et entraînant des problèmes de sécurité. Selon Le Parisien, il y a une douzaine de projets de centres de valorisation énergétique en construction, mais ceux-ci ne permettraient de traiter qu'un quart des déchets plastiques consommés dans le pays.

Une occasion de changer de modèle

Pour de nombreux observateurs, cette situation critique est l'occasion de revoir de fond en comble notre rapport aux matières premières et aux déchets. En amont, cela signifie pour les industriels d'utiliser moins de matière en général, et davantage de matières recyclées dans leur production, notamment quand il s'agit de plastique. Notre industrie n’utilise que 350.000 tonnes de déchets plastiques recyclés sur 3,5 millions de tonnes de plastique générées chaque année, indiquait Roland Marion, chef adjoint du service "produit et efficacité matière" à l’Ademe (Agence de l’environnement et de maîtrise de l’énergie), dans 20 Minutes. En cause : le faible coût du plastique "neuf", qui dépend du prix du pétrole, par rapport à son équivalent recyclé.

A plus long terme, la solution serait enfin de tout recycler sur place, ce qui demande d'inventer tout une filière dans laquelle la réutilisation maximale de matériau recyclé deviendrait rentable, mais cela implique "d'investir dans la recherche et le développement pour avoir des processus de tri plus fins, plus efficaces, afin de gagner en qualité et d'atteindre des niveaux acceptables par certains pays", explique à l'AFP Arnaud Brunet, directeur du BIR.

"Même si l'on parvient à créer de nouvelles filières, certains matériaux poseront toujours problème, il faudrait arrêter de les produire et de les utiliser", rétorque Laura Chatel, responsable de campagne auprès de l'association environnementale Zero Waste France. Certains films plastiques et matériaux composites sont ainsi particulièrement problématiques. "Il va falloir avant tout travailler sur la réduction d'emballages, ce qui implique de distribuer les biens différemment", notamment en vrac, poursuit Laura Chatel. Et expliquer au public que tout ne se recycle pas, même avec une poubelle jaune.


Matthieu JUBLIN

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