"On fait du coca, au fond" : qu'est-ce que le stockage de carbone, que l'UE veut développer ?

Publié le 2 décembre 2022 à 16h45

Source : JT 20h WE

La Commission européenne a proposé, mercredi 30 novembre, des normes pour certifier le stockage de carbone.
Une pratique que Bruxelles cherche à développer.
Ce système permettrait de capter directement le CO2 émis, notamment, par les industriels avant qu'il ne soit rejeté dans l'atmosphère.

C'est une technique connue depuis plus d'une vingtaine d'années, mais qui peine à se développer. Mercredi, la Commission européenne a annoncé son intention d'intensifier ses efforts sur le "Carbone capture and storage" (CCS) qui permet de capter puis de stocker en sous-sol le CO2 rejeté dans l'air, notamment par les sites industriels (sidérurgie, cimenterie, pétrole, centrales électriques...) Une solution évoquée par les experts de l'ONU pour le climat, le Giec, qui estime que ce système de stockage de carbone est désormais un outil nécessaire pour tenter d'atteindre nos objectifs climatiques.

Comment ça marche ?

Le principe du CCS est "de mélanger les fumées qui sortent directement des usines sur des sites très émetteurs comme les cimenteries ou les centrales à charbon avec un lit liquide précis afin de provoquer une réaction chimique qui capte le CO2", explique à TF1info Samuel Marre, directeur de recherche du CNRS à l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB). "Une fois que le carbone est capté, on va chauffer ce CO2 pour le re-libérer, par exemple, dans un conteneur pour pouvoir le confiner et le transporter. Ensuite, une fois ces deux étapes réalisées, on va aller le stocker dans le sous-sol", détaille le chercheur.

Des zones de stockage situées entre 1000 et 3000 mètres sous terre qui peuvent être d'anciens champs de gaz ou de pétrole, mais aussi des "masses d'eau dans la roche stagnant entre un et trois kilomètres de profondeur, appelées aquifères salins, et présentes quasiment partout sur la planète, à la fois sous les océans et sous les parties continentales", précise Samuel Marre. "Les capacités de stockage de ces sites sont énormes et, selon les derniers chiffres, on pourrait y enfouir à peu près 100.000 gigatonnes, l'équivalent de 100 milliards de tonnes, de CO2". Des stockages également sans risques selon le spécialiste : "Le CO2, au bout de quelques années, va se dissoudre dans l'eau. On va faire du coca, au fond, en quelque sorte, puis en interagissant avec la roche, il va se transformer en calcaire. C’est donc un stockage pérenne et très sécurisé". 

Et pour enfouir ce carbone dans les aquifères salins, le monde possède déjà les technologies nécessaires, via l'industrie pétrolière, habituée à effectuer ces forages et qui utilise déjà le stockage de CO2 dans un but commercial : "Elles enfouissent le CO2 pour pousser le pétrole qui reste au fond des puits" vers la surface pour l'exploiter, détaille le spécialiste. "Ces techniques ne sont pas une vue de l'esprit, ce sont des choses qui fonctionnent aujourd'hui, mais sous forme de démonstrateurs. Il en existe une cinquantaine à travers le monde, dont le plus connu est en Europe, en mer du Nord". La plateforme gazière de Sleipner, appartenant à la Norvège, enfouit ainsi depuis près de vingt ans ses déchets en CO2, soit un million de tonnes tous les ans.

Est-ce vraiment une solution ?

Si les projets se multiplient ces dernières années, l'impact du CCS reste encore limité. Quand la plateforme Sleipner capte un million de tonnes de CO2 chaque année, l'humanité en émet 40 milliards et l'Europe, à elle seule, en a émis 3,7 milliards en 2022, année pourtant plombée par la pandémie de Covid-19, selon l'Agence européenne pour l'environnement. "Pour que ce soit efficace, il faut multiplier ce type d'initiatives et les passer à l'échelle industrielle", estime Samuel Marre. Selon une étude publiée dans la revue Nature, avec les sites répertoriés à l'heure actuelle à travers le monde, on estime qu'on pourrait stocker en 10 et 15 gigatonnes de CO2 dans le sous-sol d'ici 2050. "Avec les estimations de capacité de stockage à 100.000 gigatonnes au total, avec notre rythme de stockage actuel, cela signifie qu'il faudrait 2500 ans d'émissions pour que tous les espaces arrivent à saturation", détaille encore Samuel Marre. 

Un processus d'autant plus intéressant selon le chercheur qu'il pourrait également permettre de réutiliser ce CO2 stocké. "On s’est rendu compte assez récemment, depuis 5/10 ans, que l’interaction du CO2 quand il est injecté dans ces milieux profonds où l'eau contient une concentration en sel jusqu'à 10 fois supérieure à celle de l'eau de mer, pouvait le transformer en méthane, grâce à certaines bactéries présentes dans le sous-sol". Une donnée qui pourrait largement intéresser les énergéticiens qui y puiseraient une manne financière particulièrement intéressante. "On enfouit un déchet et on récupère un gaz qu'on peut revendre puisque le méthane est en réalité du gaz naturel. Cela fonctionne un peu comme un composteur au fond du jardin ; vous laissez un déchet, vous laissez la nature travailler et vous récupérer du terreau". 

Autre avantage : certaines études menées depuis 10 ou 15 ans estiment également que le CO2 peut interagir avec certaines roches lorsqu'il est injecté dans le sous-sol. "Il va se minéraliser et la réaction génère de l'hydrogène. Et là, c'est le Graal, parce qu'on transforme le CO2 en hydrogène avec des roches en profondeur que personne n'utilise", avance Samuel Marre. Preuve que le CCS séduit de plus en plus, les géants énergétiques Equinor, TotalEnergies et Shell ont mis en place un partenariat, baptisé Northern Lights, qui sera le premier service transfrontalier de transport et de stockage de CO2 au monde lorsque ses opérations démarreront en 2024. Le terminal situé sur les rives de la mer du Nord en Norvège pourra réceptionner le CO2 liquéfié acheminé du Vieux continent par bateau puis pipeline après avoir été capté à la sortie de la cheminée des usines. Il pourra traiter 1,5 million de tonnes de CO2 par an, une capacité qui sera ensuite portée à 5 ou 6 millions de tonnes.

Quid de l'impact écologique ?


Annick BERGER

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