REPORTAGE - À la rencontre des acrobates urbains qui éteignent les vitrines la nuit

Publié le 29 juillet 2022 à 19h41, mis à jour le 3 août 2022 à 18h31

Source : TF1 Info

Depuis deux ans, le collectif On The Spot débranche les vitrines lumineuses des magasins, une fois que la nuit est tombée.
Nous avons suivi ces adeptes d’acrobatie et d’écologie à Paris, sur les Champs-Élysées.

Il est minuit passé, jeudi 28 juillet, lorsque les vitrines commencent à s'éteindre sur les Champs-Élysées. Cartier, Montblanc, Bulgari… En dix minutes, pas moins de quatre enseignes de magasins ont été débranchées. L'œuvre d’une bande de six jeunes amis, membres du collectif On The Spot, qui grimpent sur les façades pour couper le courant des vitrines illuminées. 

Cela fait deux ans que ces adeptes du Parkour, cette discipline née dans l’Essonne dans les années 80 et qui consiste à franchir des obstacles urbains, opèrent dans la capitale. Derrière le mouvement "Lights Off" ("lumières éteintes"), d’autres groupes en France, comme à Marseille, ont trouvé un écho sur les réseaux sociaux. Tous balancent entre la pratique sportive et la lutte contre la pollution lumineuse.

Une pratique parfois risquée

Sur l’avenue la plus illuminée de Paris, il y a du travail et le rythme est soutenu. Une demi-heure plus tard, une dizaine de boutiques ont déjà été éteintes par les soins du collectif. "A quatre, on a déjà éteint 60 enseignes en une nuit !", raconte fièrement Kevin Ha, un ingénieur de 30 ans qui coordonne le groupe parisien, composé de sportifs de 18 à 36 ans.

 À chaque fois, cela nécessite un peu d’escalade. Parfois, atteindre l’interrupteur au voyant rouge est plus risqué. Devant la boutique Mauboussin, il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois. "J’ai les chaussures qui glissent", s’excuse Dali Bebabeche, bomber noir et cheveux attachés en chignon. Pour une enseigne de coiffure, il a même fallu grimper sur la façade du premier étage. Hadj Benhalima, jeune casse-cou à la silhouette fine, n’a pas hésité à tenter l’ascension.

Six membres du collectif On The Spot Parkour sur les Champs Elysées, jeudi 28 juillet
Six membres du collectif On The Spot Parkour sur les Champs Elysées, jeudi 28 juillet - Caroline Quevrain

Une fois le travail achevé, le groupe repart aussitôt. Toujours le nez en l’air, à la recherche du prochain interrupteur allumé et accessible. Portés par l’adrénaline, les jeunes acrobates effectuent des cascades et retrouvent leur âme d’enfant. "Chaque nouveau magasin est un terrain de jeu", raconte l’un d’eux, qui a pour rêve "d’éteindre Dior". Les interrupteurs de la boutique de luxe n'ont pas encore été trouvés. En tout cas, les sportifs ne se cachent pas : ils pratiquent à visage découvert et donnent leur nom bien volontiers.

C’est que le droit est de leur côté. D'après une circulaire de 2013, depuis confirmée par un arrêté de 2018, "les éclairages des vitrines de magasins de commerce ou d’exposition" sont censés être éteints au plus tard à 1 heure du matin, jusqu’à 7h le lendemain. Les sanctions peuvent aller d’une mise en demeure à une amende de 1500 euros. "On aura toujours de quoi s’occuper tant que la loi ne sera pas respectée", confirme Kevin Ha, dans un large sourire. Le collectif, qui se dit apolitique, est bien conscient du message véhiculé par leur action, même si elle n’a d’effet que pour une nuit.

Hadj Benhalima éteint la vitrine de Tumi, avenue des Champs Elysées
Hadj Benhalima éteint la vitrine de Tumi, avenue des Champs Elysées - Caroline Quevrain

Un message bien entendu par les passants ce soir-là, qui s’attardent par curiosité et finissent par les encourager. Noella, 27 ans, observe la scène avant d’apporter son soutien au petit groupe. "J’adore ce que vous faites, continuez comme ça”, s’exclame la jeune femme, qui travaille dans la "mode écoresponsable". Venant à leur rencontre, le gérant d’un restaurant leur assure qu’il se charge lui-même, chaque soir, de couper ses enseignes lumineuses. 

Le collectif au repos avenue des Champs Elysées, entre deux prises
Le collectif au repos avenue des Champs Elysées, entre deux prises - Caroline Quevrain

"On a trouvé un moyen d’allier l’utile à l’agréable, confie Kevin Ha, on a tous une sensibilité écologique mais notre ADN, ça reste le sport". Pour cet ancien doctorant en océanographie, qui a participé au dernier tournage de l’émission Ninja Warrior, le but est donc de pratiquer le Parkour et de démocratiser la discipline.

Mais aussi de "toucher un maximum de personnes", à l’heure où nos modes de consommation doivent être interrogés. "Il faut que chacun puisse s’approprier le mouvement et faire des choses à son échelle : éteindre la lumière chez soi ou en partant du bureau. Parce qu’on a conscience qu’on n’éteindra pas toutes les lumières. Si chacun y met du sien, ça pourrait être bien." En moins de deux heures, les acrobates auront éteint une trentaine de vitrines et sensibilisé par la même occasion au fléau de la pollution lumineuse, dont le coût est aussi bien environnemental que financier.


Caroline QUEVRAIN

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