REPORTAGE - Transformer l'écorce de riz en charbon végétal, un recyclage au potentiel immense

par M.L | Reportage : Marc de Chevigny
Publié le 16 avril 2023 à 20h43, mis à jour le 17 avril 2023 à 11h03

Source : JT 13h WE

La qualité de l'air est catastrophique en Asie, notamment en raison de la mauvaise gestion des déchets.
Au Cambodge, une société s'appuie sur des pratiques ancestrales pour développer le biochar, un charbon végétal.
Le système permet à la fois de limiter les émissions de CO₂ et de créer un fertilisant pour l'agriculture.

De loin, on pourrait facilement les confondre avec des dunes de sables. Sur un site de recyclage de Phnom Penh, au Cambodge, des monceaux de paille de riz grimpent sur plusieurs mètres de hauteur, comme on peut le voir dans le reportage du 13H de TF1 en tête d'article. Ce déchet très encombrant, l'un des plus importants rebuts de l'agriculture dans le monde, provient de la préparation du riz : il correspond à l'écorce de la graine, soit ce qu'il reste après qu'elle a été décortiquée. Des milliards de tonnes de ce résidu sont générées chaque année. Sans utilité particulière, elles sont destinées à être brûlées, émettant dans l'atmosphère autant de milliards de tonnes de CO₂, du gaz à effet de serre

Mais dans cet atelier cambodgien, c'est un tout autre avenir qui leur est réservé. "On transforme cette écorce de riz fraîche en biochar, en charbon : on la pyrolyse, à haute température, avec peu d'oxygène", nous explique Noémie Martin, ingénieure au sein de l'entreprise HUSK Ventures. Dans d'immenses cuves, la paille de riz va être en quelque sorte cuite à l'étouffée, grâce à un système qui ne rejette "aucun CO₂". Car, insiste la spécialiste, "ce n'est pas une combustion : on ne la brûle pas vraiment".

Un carbone séquestré pour "des centaines, voire des milliers d'années"

Le produit fini est un carbone végétal très léger, qui ressort sous forme de grains noirâtres. "Le carbone est fixé dans l'écorce de riz, de manière très stable, et peut y tenir des centaines, voire des milliers d'années", explique l'ingénieure. Séquestrer le carbone dans la paille de riz, autrement dit en le piégeant, permet donc de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Si tous les déchets agricoles pouvaient être traités de cette façon, le réchauffement climatique pourrait ainsi être ralenti.

À ce stade, il est possible de tout simplement enfouir ce charbon végétal, mais c'est aussi un excellent fertilisant. Sur le site de HUSK Ventures, il est mélangé à d'autres engrais naturels, en vue de le commercialiser. Dans les zones tropicales, aux terres pauvres et acides, les paysans expérimentent le biochar depuis de nombreuses années. 

Dans une plantation de noix de cajou par exemple, les cultures ont souffert de plusieurs années sèches, mais le charbon a permis de sauver les récoltes, explique une agricultrice. "J'en répands au pied des arbres, il retient l'humidité comme une éponge", décrit-elle, en étalant la poudre noire sur une terre aride. "Les feuilles restent bien vertes, alors que celles des autres arbres jaunissent. J'ai eu plus de rendements l'an dernier, et surtout, les noix étaient plus grosses, de meilleure qualité", souligne la cultivatrice.

Simple, bon marché et facile à développer, la production du biochar a été reconnue par les climatologues du Giec parmi les technologies indispensables pour tenter de limiter le réchauffement climatique. Ce qu'on appelle aujourd'hui biochar avait été repéré par des scientifiques dans le sol amazonien à la fin du siècle dernier, et semble avoir été produits par les populations amérindiennes pendant plusieurs siècles. L'excellence du terreau ainsi obtenu a incité les chercheurs à reproduire cette technique oubliée.

  

"Cela marche très bien", salue Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE). Reste à savoir maintenant s'il est possible d'accélérer sa production, pour parvenir à peser réellement dans la dynamique des émissions. "Est-ce que l'on peut vraiment développer une filière biochar qui séquestrerait des millions de tonnes par an, dont on aurait besoin pour nous aider dans la lutte contre le changement climatique ? On ne sait pas encore", constate prudemment le spécialiste.

Dans un rapport publié en avril 2022, les experts de l'ONU soulignaient plus largement que le captage et le stockage du CO2 de l'air et des océans était nécessaire, quel que soit le rythme auquel les pays parvenaient à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Selon les scénarios les plus ambitieux, il faudrait extraire plusieurs milliards de tonnes de CO2 de l'atmosphère chaque année d'ici à 2050, sachant que les émissions grimpent actuellement à environ 40 milliards de tonnes par an. 


M.L | Reportage : Marc de Chevigny

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