Face au changement climatique, les sécheresses se multiplient à travers le monde.L’accès à l’eau est ainsi devenu un sujet central du XXIe siècle.Mais des solutions parfois controversées sont avancées pour tenter de pallier ce problème.
Près de 70 départements Français visés par des restrictions d’eau, l’état d’urgence décrété dans cinq régions d’Italie face à la pire sécheresse qu’ait connue le pays depuis 70 ans, des manifestations liées au manque d’eau au Moyen-Orient ou dans le nord de l’Afrique… avec le changement climatique, la ressource en eau est devenue l’un des principaux enjeux du XXIe siècle.
Alors que près de 2,3 milliards de personnes vivent dans des régions où la quantité d’eau disponible est inférieure à la demande (stress hydrique), certains scientifiques tentent de trouver des solutions pour pallier ce problème. Et des pistes, parfois controversées, ont fait leur apparition ces dernières années.
Dans un rapport publié en mai et intitulé "ressources en eau non conventionnelles", des experts de l’ONU issus de l’université des Nations unies (UNU) et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont tenté de trouver de nouvelles sources d’eau face à l’épuisement des ressources dites "conventionnelles" comme l’eau de pluie, celle issue de la fonte des neiges, des rivières ou encore des nappes phréatiques. Les chercheurs estiment ainsi qu'il est "temps d’augmenter le prélèvement des diverses et abondantes sources en eau non conventionnelles, les millions de kilomètres cubes d’eau contenus dans les aquifères profonds terrestres et marins, dans le brouillard et les icebergs".
"Récolter" la vapeur d’eau
Parmi les pistes évoquées, celle déjà utilisée en Chine depuis une vingtaine d'années qui consiste à "récolter" la vapeur d’eau. On estime en effet que 13.000 km3 d’eau sous forme de vapeur sont contenus dans l’atmosphère, soit l’équivalent de 400.000 piscines olympiques, alors que la demande mondiale en eau douce est estimée aujourd’hui à environ 4.600 km3. Pour tenter de récupérer une partie de ce liquide précieux, les experts de l’ONU évoquent la possibilité "d’ensemencer les nuages", particulièrement via le iodure d’argent, pour provoquer la pluie. Une méthode qui pourrait augmenter, selon eux, "les précipitations jusqu’à 15%" dans certains pays".
Mais cette technologie est largement dénoncée. Emma Haziza, hydrologue et fondatrice de Mayane, centre de recherches appliquées dédié à l'adaptation climatique, estime ainsi "qu'aujourd'hui, on est capable de faire tomber la pluie ou de l'empêcher de tomber, mais on ne maîtrise pas toutes les conséquences de ces actions qui pourraient être graves, notamment pour l'atmosphère".
"Exploiter" les icebergs de l’Antarctique
Un jeu "d'apprentis sorciers" qui a mené certains pays à se pencher sur une autre technique particulièrement polémique : le remorquage d’icebergs. Ces blocs de glace pourraient en effet être acheminés par voie maritime depuis l’Antarctique, où ils sont les plus nombreux, vers des pays où le besoin en eau est criant. Selon le rapport de l’ONU, près de 75% de l’eau douce dans le monde se trouve sous forme de glace et 90% de ce volume est présent sur le continent gelé, ce qui représente 27 millions de km3 d’eau. Utiliser les icebergs permettrait d’apporter de précieux km3 d’eau dans des pays désertiques.
Mais outre la faisabilité technique de tels projets, leurs conséquences sur l’environnement ne sont pas encore connues, le transfert de blocs de glace vers des eaux tempérées ne pouvant se faire sans déstabiliser les écosystèmes dans lesquels ils sont acheminés. "Dans les années 1970, les Émirats arabes unis ont tenté d'aller chercher ces icebergs, mais au moment de les ramener, ils se sont rendus compte que cela coûtait beaucoup plus cher en fioul", détaille également Emma Haziza.
Le serpent qui se mord la queue
D’autres solutions moins polémiques ont également été avancées dans le rapport de l’ONU comme la réutilisation des eaux usées, notamment dans les pays pauvres où seuls 8% d’entre elles sont traitées contre 70% dans les pays riches. L’exploitation des eaux souterraines est l’une des pistes étudiées par les experts ou encore la récupération des eaux de pluie. Une autre technique avancée est de "récolter" des gouttelettes de brouillard via des filets. Une méthode déjà utilisée dans des communautés isolées au Chili, au Maroc ou en Afrique du Sud. Une idée "intéressante" pour Emma Haziza qui permettrait de récupérer les vapeurs d'eau du brouillard dont "les deux tiers repartent dans l'atmosphère. Canaliser ces deux tiers pourrait s'avérer utile dans les zones où l'on manque d'eau".
Mais, pour l'hydrologue, avec ces ressources en eau non conventionnelles, les chercheurs font fausse route. "On étudie ces solutions de gestion de crise parce qu'on est face à un mur. Il est plus facile de mettre des filets pour récupérer la vapeur d'eau dans des zones arides que de modifier toutes les structures agricoles et nos modes de consommation afin de permettre au cycle de l'eau de reprendre son cours", détaille Emma Haziza pour qui ces solutions ne sont que des solutions "à court terme, comme la désalinisation de l'eau de mer qui pompe énormément d'énergie, notamment du pétrole, lui-même... produit grâce à l'eau. C'est le serpent qui se mord la queue !"
"Avant de penser à ces solutions, on a un autre choix, c'est de redonner vie au cycle de l'eau, permettre aux sols de respirer et retrouver de la cohérence. Ce n'est pas parce que des solutions sont innovantes qu'elles vont tout résoudre. Elles peuvent aider dans des zones où il existe un tel taux d'aridité, comme la corne de l'Afrique, où il sera très compliqué de rééquilibrer les sols, mais dans les pays plus tempérés, comme en France, nous avons d'autres solutions avant de penser à mettre en place de telles technologies", conclut l'hydrologue.