Urgence climatique : ces fausses certitudes qui aveuglent les décideurs

par Fabrice BONNIFET Fabrice Bonnifet
Publié le 17 mai 2021 à 14h13, mis à jour le 19 mai 2021 à 9h22
Urgence climatique : ces fausses certitudes qui aveuglent les décideurs
Source : istock

ÉDITO - "Quel est notre degré d’aveuglement pour ne pas voir que seul un changement de société peut faire baisser nos émissions ?" Fabrice Bonnifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable, nous livre son analyse sur "les lacunes tragiques" de nos décideurs dans la lutte contre le réchauffement climatique.

La suffisance des décideurs confrontés à l’urgence écologique semble sans borne. Et pourtant, ils sont certains d’aller dans la bonne direction ! L’analyse des causes racines de l’inefficacité des politiques publiques et des stratégies d’entreprises pour sauvegarder la biodiversité et le climat naît de l’ignorance quant aux conséquences des décisions prises dans un contexte à présent connu : celui d’une planète aux ressources limitées. Mais elle démontre également l’insuffisance des connaissances de ces mêmes décideurs à propos des fondamentaux de l’économie. Les décisions collectives les plus stratégiques, celles qui nous concernent tous, s’appuient donc non seulement sur une méconnaissance de la physique, mais aussi de l’économie ! Comment expliquer ces lacunes tragiques pour le devenir de l’humanité ?

Les causes sont multiples mais le contenu pédagogique des enseignements en sciences politiques et économiques laisse pantois. Prenez une bonne louche de concurrence exacerbée, une autre de certitude que seul "le marché" a toujours raison, une dernière qui fait de l’innovation et du techno-solutionnisme le moteur de l’hyperconsommation, ajoutez à cela un minimum de régulation et une dernière dose de délocalisation vers des pays à la démocratie balbutiante ou inexistante (encore plus efficace), vaporisez un soupçon de théorie du ruissellement, et vous avez trouvé la recette parfaite d’une bonne santé économique. Tout cela fonctionne à merveille depuis plus de 150 ans, enfin surtout dans l’hémisphère nord. Nous en avons la démonstration dans nos vies quotidiennes de pays riches, inondés que nous sommes de produits et de services bien souvent plus superficiels qu’indispensables. Mais au royaume de l’ultracrépidarianisme qui caractérise notre époque, nos amis professeurs, gourous de la pensée économique unique et autres pseudo-experts en modèles d’affaires ont juste omis le rôle de l’énergie, du vivant et des écosystèmes dans l’économie, c’est-à-dire l’essentiel. Cette faillite est due à l’extrême segmentation dans l’enseignement des disciplines académiques, ruinant de facto la pensée holistique.

En 2006, dans son documentaire Une vérité qui dérange, Al Gore alertait le grand public, 38 ans après le Club de Rome, sur l’une des principales externalités négatives résultantes de notre mode de développement "sans limite" : les fameux gaz à effet de serre. Quinze ans plus tard, on a encore du mal à croire ce qui fait mal à croire. En effet, rappelons à nos amis décideurs que l’économie est avant tout tirée par la consommation énergétique. Les autres déterminants ne pèsent pas grand-chose face à cette vérité qui est aussi une évidence. Si cette consommation baisse, le chiffre d’affaires des entreprises et le PIB des états diminuent en proportion. 

Les émissions de GES ne baisseront qu’en cas de crise majeure comme celle que nous vivons, ou si nous décidons collectivement de les faire baisser. Mais contrairement au désormais trop célèbre Covid-19, jamais la libre concurrence pure et parfaite n’a fait baisser la consommation d’énergie en absolu, mais seulement en intensité. Autrement dit, si les machines et les procédés industriels sont effectivement au fil du progrès technologique de moins en moins gourmands en ressources, l’efficacité énergétique n’arrive toujours pas à compenser l’augmentation des parts de marché qui en résulte. Bref, ce que l’on gagne péniblement en rendement, on le perd facilement en volume, notamment celui associé à ce satané effet rebond

La bonne nouvelle est que les marges de manœuvre que nous laisse notre civilisation du gaspillage sont gigantesques !
Fabrice Bonnifet

Oublions également l’idée d’un grand remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables. C’est techniquement impossible dans le peu de temps (à peine 10.000 jours) qu’il nous reste pour sauver le climat, d’autant que depuis que ces énergies plus propres progressent partout sur la planète en kWh produits, elles ne sont en aucun cas substituées à un seul kWh issus des énergies fossiles. Elles se sont simplement empilées. Les énergies renouvelables ne nous sauveront pas, nier ce constat, c’est confondre 1 avec 1000. Aspirer le CO2 de l’atmosphère non plus. Et le miracle de la croissance verte n’est qu’une chimère de plus.

Quel est notre degré d’aveuglement pour ne pas voir que seul un changement de société peut faire baisser nos émissions ? À nous de prendre nos responsabilités. Nous le constatons tous les jours : le mot "sobriété" fait peur. Et pourtant, nous devons opter pour une sobriété énergétique choisie en remplaçant le superflu matériel par de l’abondance immatérielle, tant que nous disposons encore des outils démocratiques pour le faire ! Car à force d’inaction, il est certain qu’elle arrivera, et si nous ne nous y préparons pas, nous finirons par la subir douloureusement et bien avant 2030. 

La bonne nouvelle est que les marges de manœuvre que nous laisse notre civilisation du gaspillage sont gigantesques ! À ceux qui vont nous ressortir les cavernes, les lampes à huile, le virus sans vaccin et le dentiste sans anesthésie et la vie de nos amis les Amish, offrons leur préalablement quelques exemples emblématiques parmi mille de notre inconséquence : 58% des trajets domicile-travail de moins de 1km se font en voiture, un tiers des récoltes de céréales et près de la moitié des fruits et légumes sont perdus au cours de la chaîne alimentaire, 35% des poissons et fruits de mer pêchés sont rejetés à la mer, 20% du lait produit est finalement jeté, le taux d’utilisation des bâtiments tertiaires ne dépasse pas 30% et celui d’une voiture 4%, 70% des vêtements de notre garde-robe ne sont jamais utilisés... 

Et dans les entreprises ? Réalise-t-on seulement que les coûts résultant de la non-qualité et de la sur-qualité peuvent aller de 5 à 25 % du chiffre d’affaires ?  Et que dire de ce qui se passe dans les administrations ? Il suffit de remplacer le chiffre d’affaires par le budget public. L’objet d’un éditorial est d’alerter, de donner une orientation, de pousser une idée : et bien osons proposer une idée disruptive, une sorte de révolution copernicienne du 21ème siècle, un changement de paradigme. Osons promouvoir l’impensable, l’impossible ou encore l’inimaginable : osons commencer notre chemin vers un modèle de société plus frugal et plus solidaire par réduire, en utilisant à grande échelle les méthodes de l’amélioration continue, la consommation d’énergie, de matières premières et de budget là où elle est le plus facile à traquer : dans nos gaspillages quotidiens. Peut-on seulement imaginer le champ des possibles sur ce front, et ce sans que personne n’ait à se serrer la ceinture ?

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Devant l’urgence climatique, la crise démocratique, une société aux inégalités croissantes, certains ont décidé de ne pas rester les bras croisés, ils ont un coup d’avance, l’audace de croire qu’ils peuvent apporter leur pierre à l’édifice. Ils sont ce que l’on appelle des Changemakers.


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