Urgence climatique : comment passer de l’illusion au sursaut ?

par Fabrice BONNIFET Fabrice Bonnifet
Publié le 15 février 2021 à 17h14, mis à jour le 16 février 2021 à 10h38
Urgence climatique : comment passer de l’illusion au sursaut ?
Source : PETER PARKS / AFP

ÉDITO - Comment respecter les engagements de réduction des émissions de gaz à effets de serre si l'économie mondiale garde le même rythme de croissance ? Fabrice Bonnifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable, appelle à "un sursaut créatif de frugalité".

Alors que la commission européenne vient de relever pour 2030 son objectif de réduction d'émissions de gaz à effet de serre (GES) à moins 55% par rapport à 1990, que les grandes entreprises du monde entier et certains États n'hésitent plus à s’engager pour la neutralité carbone au plus tard pour 2050, et que la loi Climat vient d’être présentée en conseil des ministres, peut-on considérer que le monde est sauvé du péril climatique ? La sagesse nous invite a un peu de prudence face à ces ambitieuses annonces, qui ont au moins le mérite de révéler une prise de conscience qui était encore inexistante il y a encore quelques mois, en dehors de celles des lanceurs d’alerte avec ou sans tresses (de Greta).

La question qui subsiste est : allons-nous pouvoir, à l’échelle planétaire, diviser par trois nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 tout en continuant de faire croître l’économie mondiale d’environ 2% par an ? Rappelons que depuis le début de la civilisation thermo-industrielle, la consommation d’énergies fossiles est précisément corrélée à la croissance du PIB mondial. Donc si nous maintenons le même objectif de croissance de 2%, à "business as usual", c’est-à-dire sans diminution des émissions de GES, nous les doublerons d’ici 37 ans, soit 8 ans après la date espérée pour le retour à la neutralité carbone ! Doubler nos émissions actuelles de GES d’ici 2050, c’est l’assurance, premièrement, d’une crise migratoire d’ampleur inédite (car le réchauffement climatique rendra inhabitable une grande partie des territoires partout dans le monde), d’un effondrement de la biodiversité ensuite et, pour finir, d’un chaos climatique et économique, bien avant la fin du siècle.

Maintenir l’objectif de croissance de 2% par an, tout en respectant l’Accord de Paris, va requérir de baisser nos émissions de GES d’environ 7% par an jusqu’en 2050. Rappelons que moins 7% d’émissions de GES sur 1 an, c’est ce que nous sommes arrivés à faire dans la douleur en 2020, uniquement du fait de la crise sanitaire du COVID-19.

Ces solutions, nous en connaissons déjà les principaux contours
Fabrice Bonnifet

Face à cette évidence qui dérange, ne serait-il pas temps d’arrêter avec les vieux dogmes économiques du passé pour organiser l’avenir avec acuité et clairvoyance ? Qui peut sérieusement encore croire à la fable de la "croissance verte" qui compte sur : l’espérance d’une amélioration sans précédent historique de l’efficacité énergétique en tout domaine, le "monde merveilleux" des startups, les énergies renouvelables, les innovations pas encore trouvées et un bon zeste d’optimisme béat… pour nous permettre en seulement quelques années, de combiner l’équation économique, sociale et écologique, uniquement par une approche techno-centrée ? Qui peut imaginer qu’avec le niveau abyssal d’endettement privé et public, nous allons pouvoir à la fois rembourser la dette Covid et les autres, tout en finançant suffisamment la transition écologique, aider le milliard de personnes qui n’a toujours pas accès à l’électricité, et enfin atteindre les 17 Objectifs du Développement Durable ?

Chacun croira ce qu’il veut mais, passé le temps de l’illusion viendra tôt ou tard celui de la lucidité et du courage pour dénoncer les impasses où nous conduisent l’ignorance du rôle des écosystèmes et des flux physiques dans l’économie, et l’incompréhension des ordres de grandeur dans la déplétion des ressources associée à nos modes de consommation.

L’humanité a la possibilité de limiter les effets de sa trajectoire climatique déjà considérablement inquiétante, mais il va falloir provoquer un sursaut créatif de frugalité pour voir émerger des solutions crédibles à la hauteur de cet ultime défi. 

Ces solutions, nous en connaissons déjà les principaux contours : la reconfiguration des modèles d’affaires des entreprises pour enfin mettre en œuvre une économie circulaire basée sur le réemploi, le partage et l’intensification des usages, ainsi que la lutte acharnée contre les gaspillages. Le temps des entreprises contributives est arrivé. La démocratie doit également être réinventée à partir de l’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat, pendant laquelle des citoyens tirés au sort ont pris le temps de comprendre le problème qui leur a été présenté, avant de proposer des actions dans l’intérêt du bien commun. 

Augmenter le "stock nature" doit devenir un business rentable, tout autant que l’investissement dans sa conservation et sa restauration, les mécanismes de la finance, de la comptabilité et de la fiscalité doivent être réorientés dans ce sens. Mais la chose la plus importante à faire est de mobiliser nos intelligences pour élaborer un nouveau projet de société, dont les fondements seront la resynchronisation au vivant, la sobriété choisie et l’acceptation de, justement, "faire société".

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Bienvenue dans le podcast "Impact positif", dédié à celles et ceux qui veulent changer la société et le monde. Devant l'urgence climatique, la crise démocratique, une société aux inégalités croissantes, certains ont décidé de ne pas rester les bras croisés, ils ont un coup d'avance, l'audace de croire qu'ils peuvent apporter leur pierre à l'édifice. Ils sont ce que l'on appelle des Changemakers.


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