Commerce d'ailerons de requins : vers un vote "historique"

Frédéric Senneville | Reportage TF1 Julien Garrel, Léa Caboche, Anne-Flore Souchon
Publié le 7 février 2022 à 18h40, mis à jour le 24 novembre 2022 à 13h50

Source : JT 20h WE

183 pays et l'Union européenne pourraient strictement limiter le commerce de dizaines d'espèces de requins.
Une marchandise dont sont friands des clients asiatiques, qui l'achètent à prix d'or.

La scène qui ouvre le reportage de TF1 en tête de cet article est éprouvante à regarder. À peine hissé à bord d'un bateau de pêche, un requin est amputé de ses ailerons et de sa nageoire caudale, tranchés à vif. Le squale est aussitôt rejeté à la mer et, privé de ses moyens de propulsion, coule comme une pierre jusqu'au fond, où il mourra d'asphyxie. 

Un vote "historique" pourrait encadrer le commerce de "90% du marché"

Des scènes qui sont au cœur des discussions au 19e sommet des espèces menacées, qui se tient jusqu'au 25 novembre au Panama. Cette convention, qui rassemble 183 pays et l'Union européenne, pourrait faire entrer des dizaines d'espèces de requins requiem et de requins-marteaux dans l'Annexe II de la Convention, qui limite strictement le commerce de certaines espèces. Concrètement, ces animaux ne sont pas encore menacés d'extinction, mais cela pourrait le devenir si leur commerce n'est pas davantage régulé. "Il s'agira d'une décision historique", selon Shirley Binder, déléguée panaméenne, car cela concernerait un grand nombre de requins, environ "90% du marché"

Le commerce d'ailerons de requin est autorisé en Europe, mais pas la technique du finning, qui  consiste à pêcher ces prédateurs uniquement pour leur couper cette partie dorsale, et à les laisser agoniser en mer. Elle est interdite depuis 2003, mais plusieurs pays avaient continué la pratique jusqu'en 2018, grâce à un jeu de dérogations. On pense cependant qu'elle reste pratiquée par certains équipages peu scrupuleux, tant il est difficile de la contrôler, comme le montre le reportage de TF1. 

Pour le requin, on n'a pas de quota de pêche
Un patron de pêche dans le port de Vigo

Le port de Vigo, au Nord-ouest de l'Espagne, est un des pôles de ce commerce devenu très lucratif, le premier en Europe. Quelque 2000 tonnes sont déchargées ici chaque année. Lorsque le reporter de TF1 arrive sur le quai, vers 4h du matin, un bateau décharge justement plusieurs palettes de requins bleus. "Là, on ramène des Canaries environ 1500 kg de requin", explique un homme qui supervise le déchargement de la pêche. "Pour le requin, on n'a pas de quota de pêche", témoigne le superviseur, "la seule obligation, c'est de l'amener entier au port, avec l'aileron"

C'est cette partie de l'animal qui intéresse les futurs acheteurs. Si la chair du requin ne vaut qu'autour d'1,50 euro le kilo, l'aileron se vend au moins dix fois plus cher. À l'arrivée, dans les étals, à Singapour par exemple, le kilo d'ailerons de requin se négociera autour de 500 €. Les importateurs asiatiques raflent presque tout, et le requin est paradoxalement introuvable sur les étals espagnols. "Nous, on n'en a pas", explique Milagros Carrera, une poissonnière de Vigo : "Ça part en Chine, à Singapour, au Japon, les Asiatiques en raffolent".

Les requins mis en danger par... une soupe chinoise

Aux origines des maux des requins, se trouve une innocente soupe traditionnelle chinoise d'ailerons, à laquelle on prête toutes les vertus, thérapeutiques et aphrodisiaques. Ce mets était réservé aux riches familles chinoises, et considéré comme un luxe. Problème : avec les succès de l'économie chinoise et l'émergence d'une bourgeoisie, la demande a littéralement explosé. 

Plat de prestige, la soupe à l'aileron de requin est notamment un incontournable lors des mariages, en Chine continentale comme à Hong Kong, ou à Taïwan. Or, comme l'expliquait un expert interrogé par Le Monde en 2011 : "Les gens ne réalisent pas qu'une soupe pour 300 personnes correspond au sacrifice d'une cinquantaine de requins".

Un tiers environ des quelque 440 espèces de requins est désormais menacé d'extinction. L'impopularité des squales a beaucoup nui aux efforts des ONG pour sensibiliser à sa préservation, même si quelques voix se font dorénavant entendre, y compris en Chine. Le plus mal aimé des poissons est aussi un acteur majeur des écosystèmes marins et sa disparition ne pourrait que les déséquilibrer.


Frédéric Senneville | Reportage TF1 Julien Garrel, Léa Caboche, Anne-Flore Souchon

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