En ce début d'été, en Méditerranée, les ONG s'inquiètent pour les baleines.À cette période, le nombre de bateaux augmente fortement, entraînant un très sérieux risque de collision pour les milliers de cétacés qui la peuplent.L'association WWF essaye de trouver des solutions.
Spectaculairement grand, mais désespérément fragile. Sur les huit espèces communes de cétacés de Méditerranée, six sont en danger d'extinction, y compris à l'intérieur du sanctuaire Pelagos - un espace maritime de 87.500 km² faisant l’objet d’un accord entre l’Italie, Monaco et la France pour la protection des mammifères marins qui le fréquentent. Les scientifiques du WWF n'étudient pas cette région pour ses dauphins, toujours prompts à jouer devant leur bateau, mais pour les risques de collision entre les baleines, notamment 1500 rorquals communs et les navires qui peuvent dépasser 45 km/h.
Un système unique au monde
Le responsable de cette campagne de protection des cétacés, Denis Ody, estime que ces bateaux cumulent chaque année dans la zone l'équivalent de 450 tours de la Terre et jusqu'à 40 impacts mortels. "Ce n'est pas beaucoup si on parle de moutons ou de dauphins, mais pour une population de rorquals communs qui fait un petit tous les deux ou trois ans, ça met potentiellement en danger cette population pour les années à venir", explique-t-il dans la vidéo du JT de 20H en tête de cet article.
À bord du bateau du WWF, une expérience est actuellement menée par un acousticien d'une société spécialisée qui développe grâce à ses instruments immergés jusqu'à 1200 mètres de profondeur un système unique au monde permettant d'imaginer un futur sans collision. L'astuce consiste à exploiter les vocalises des animaux. Lorsque l'un d'eux communique avec ses congénères, il émet des sons qui se propagent sous l'eau jusqu'à un réseau de bouées équipées de micros immergés.
Les signaux déterminent la position GPS, transmise via un satellite, puis une station à terre jusqu'aux bateaux présents dans le secteur. L'alerte permettra un déroutage pour éviter toute rencontre fatidique. Mais pas avant l'horizon 2030, lorsque les défis techniques auront été relevés. "La distance entre les bouées, la position optimale du microphone dans la colonne d'eau, la fixation pour que ce ne soit pas un bruit parasite supplémentaire, c'est très ambitieux. Mais il le faut pour protéger les baleines", souligne Dominique Clorennec, ingénieur acoustique.
Un premier groupe de baleines apparaît, il est temps de s'approcher. Pour garnir les banques de données de l'ONG, les bénévoles photographient et décrivent chaque individu. L'un d'eux a déjà été heurté par un bateau, les cicatrices boursouflées sur sa peau l'attestent. Un autre fait l'objet d'une biopsie de peau et de graisse à l'aide d'une arbalète et d'une flèche spéciale.
Mais le plus ambitieux et le plus sportif, c'est la pose de balises à ventouses à l'aide d'une perche. Une estocade inoffensive directement sur le dos du rorqual. "Il y a tout un tas de capteurs dedans, notamment un accéléromètre. On peut avoir sa position et en prime, on a une caméra. C'est hyper important pour nous de connaître son trajet. Si jamais il y a un risque de collision, voir comment réagit la bête et donc de reconstruire tout son chemin pour savoir comment elle a fait pour éviter les bateaux. Est-ce qu'elle y arrive ? Est-ce qu'elle n'y arrive pas", indique Sébastien Personnic, docteur en biologie marine.
100% des animaux sont contaminés par le plastique
Cet appareil révolutionne la connaissance de ce mammifère marin, car si le monstre fait presque deux fois la longueur d'un autobus, il reste invisible des biologistes 90% du temps. Au bout de quelques heures, la balise se détache et flotte, révélant des scènes magiques. D'abord, après l'inspiration, l'animal fait une plongée vertigineuse jusqu'à l'obscurité absolue, à moins 330 mètres. Ensuite, il y a une remontée vorace avec l'ouverture démesurée de la gueule à travers les bancs de krills, des petits crustacés à la base de leur alimentation. Enfin, il y a ce ballet entre trois baleines à la légèreté confondante. Et Denis Ody de se demander comment ces mammifères marins font-ils pour se retrouver aussi proches sans se toucher, "quand tu fais 70 tonnes et que tu es à 70 mètres".
Au-delà du spectacle, les nouvelles ne sont pas bonnes. Selon le WWF, les biopsies montrent que 100% des animaux sont contaminés par le plastique, l'autre grande plaie de la Méditerranée qui en recevrait 600.000 tonnes chaque année. Et la liste des agressions est encore longue. "On a à la fois le changement climatique, on a l'interaction avec les engins de pêche, on a la pollution invisible qui est la pollution chimique et on a les impacts du trafic maritime avec la pollution sonore qui va masquer la communication entre les individus", égrène, pessimiste, Théa Jacob, chargée du programme "espèces marines et pêche durable".
"On le sait depuis très longtemps, ce qui va se passer et ça arrive absolument comme ça a été prédit il y a trente ans. Malheureusement, comme ça arrive tard, c'est de plus en plus compliqué. Donc, je dirais qu'on est un peu habitué en tant qu'environnementaliste à devoir affronter cette inertie, cette montagne dans laquelle l'humanité s'est foutue toute seule", conclut Denis Ody.