VIDÉO - "Rien n’a été enlevé" : le fléau des constructions obsolètes qui polluent les montagnes françaises

par Maxence GEVIN Reportage TF1 Sylvain Millanvoye, Christophe Buisine
Publié le 30 mai 2023 à 15h28, mis à jour le 31 mai 2023 à 19h33

Source : JT 20h Semaine

Une équipe française a récemment découvert plus d'une tonne de déchets plastiques sur les sommets de l'Himalaya.
Une nouvelle illustration de l'omniprésence, partout sur la planète, de la trace néfaste de l'homme.
À ce problème de dispersion de détritus dans la nature s'ajoute celui des infrastructures obsolètes : en France, des milliers d'équipements laissés à l'abandon jonchent encore les massifs montagneux.

Sur les océans, dans les campagnes, sur le flanc des montagnes... partout, les déchets s'entassent et le plastique s'accumule. Même les plus hauts sommets du monde ne sont plus épargnés par ce phénomène : plus de 1,6 tonne de détritus ont été récemment retrouvés dans l'Himalaya par des explorateurs français. L'Hexagone n'est pas épargné par ce phénomène, la faute à un tourisme toujours plus important et à une écoresponsabilité encore trop peu développée. 

Plusieurs centaines d'installations obsolètes en montagne

Mais à plus grande échelle, ce sont des centaines d'installations et équipements devenus obsolètes qui sont disséminés dans les montagnes françaises. Selon un inventaire réalisé au début des années 2000 par l'association Mountain Wilderness, avec l'aide des espaces protégés (parcs naturels régionaux, nationaux et réserves), plus de 3000 infrastructures de ce genre seraient présentes dans nos montagnes. Un chiffre difficile à calibrer avec exactitude et sans doute sous-estimé. Pour l'heure, environ 376 sites (dont 105 démontées) ont été identifiés, vérifiés et recensés avec précision par l'association. Un fastidieux travail notamment facilité par le lancement du site internet installationsobsoletes.org, qui permet à chacun de faire remonter ses observations en la matière. 

installationsobsoletes.org/Mountain Wilderness

Ces aménagements laissés à l'abandon sont aussi nombreux que diversifiés. Une part non négligeable d'entre eux est liée aux sports d'hiver. Du fait du réchauffement climatique et, dans une certaine mesure, de la crise du pouvoir d'achat et plus largement d'une situation économique difficile, de plus en plus de domaines de petite ou moyenne montagne ferment leurs portes. Au total en France, 186 stations de ski, principalement des "micro-domaines" ont définitivement cessé leur activité depuis leur création, calcule le chercheur Pierre-Alexandre Metral, doctorant en géographie à l’Université de Grenoble. Parmi les stations emblématiques à avoir fermé leurs portes figurent celle de La Chaud (Saint-Honoré 1500), en Isère, ou celle du col de l’Arzelier, dans le Vercors. 

L'ancienne station de ski Saint-Honoré aujourd'hui à l'abandon.
L'ancienne station de ski Saint-Honoré aujourd'hui à l'abandon. - JEFF PACHOUD / AFP

La législation a un wagon de retard

Rien n'a été prévu pour remettre ces véritables villes dans leur état naturel. Jusqu'en 2016, aucune législation n'encadrait, en effet, le démontage de ces complexes. Depuis cette date, un amendement de la loi montagne II contraint les constructeurs de remontées mécaniques à accompagner leur projet d'une obligation de démontage en fin d'exploitation. Toutefois, ce mécanisme dispose d'un champ d'application relativement limité, car il n'est pas rétroactif et concerne spécifiquement les remontées mécaniques. "Ce n'est qu'un petit pas", résume Carmen Grasmick, responsable de la campagne des installations obsolètes pour Mountain Wilderness, auprès de TF1Info. 

L'objectif, dans les prochaines années, est d'inciter, au-delà du strict cadre légal, "tous les concepteurs de projets à prendre en compte, lors de la construction (d'un ouvrage en montagne), la phase de démontage", ajoute Jean-Paul, un bénévole, dans une vidéo disponible sur le site internet de l'organisation. 

Quand une remontée mécanique est abandonnée, on a l’impression que les gens se sont évaporés du jour au lendemain
Carmen Grasmick

Tout cela mis bout à bout, les remontées mécaniques sont, à chaque fois, laissées en l'état, ou presque, lorsqu'un site n'est plus exploité. "Quand une remontée mécanique est abandonnée, on a l’impression que les gens se sont évaporés du jour au lendemain. Tout est resté en place, rien n’a été enlevé", explique Carmen Grasmick. 

Dans certains cas, ce sont aussi des installations sportives qui tombent en désuétude. À Saint-Nizier-du-Moucherotte, dans le Vercors, le tremplin de saut à ski est l'un des derniers témoins des Jeux Olympiques de 1968. "Ça vieillit mal. Ce béton, on l’a vu, part en vrille, donc ça va se répandre partout dans la nature. C’est moche, mais c’est aussi dégradant pour la vie terrestre et pour la montagne", dénonce Frédi Meignan, vice-président de l’association Mountain Riders, dans le reportage du 20H de TF1 à retrouver en tête de cet article. "Tout a été laissé ici depuis 60 ans, les câbles, le plastique... il y a forcément du plomb là-dedans. C’est quand même... ce n’est pas respectueux ça", critique-t-il.  

Des installations industrielles, agricoles ou militaires

Mais la notion d'infrastructures obsolètes - que Mountain Wilderness définit comme des aménagements artificiels abandonnés dans un espace naturel de montagne peu anthropisé, ayant un impact sur la naturalité ressentie - couvre aussi bien des installations touristiques (bâtiments d’hébergement, béton, pylônes, câbles, ferrailles et autres plastiques), que les installations industrielles (usines, machines, transformateurs...), milliaires (baraquements, blocs de ciment, barbelés, ferrailles, munitions…) ou liées à l'exploitation agricole ou forestière (abris, câbles, grillages, parcs à animaux...). Autrement dit, les installations laissées à l'abandon sont particulièrement diverses, tout comme les désagréments qu'elles génèrent. 

En plus de défigurer certains paysages - car elles sont souvent imposantes et donc visibles de très loin -, ces installations constituent un réel danger pour l'écosystème local (la faune, la flore), les habitants et les touristes. Au-delà du risque d'effondrement des bâtiments, les clôtures, barbelés et autres grillages constituent autant de pièges pour les randonneurs et les animaux. Les câbles tuent également une multitude d'oiseaux, notamment certains spécimens d'espèces rares, comme les tétras. 

Par ailleurs, les importantes substances toxiques (amiante, plomb, huile de moteur) laissées sur place constituent une menace tant pour l'environnement - elles peuvent s'infiltrer dans les sols et les eaux - que pour les êtres vivants de la zone. "Il reste souvent toutes sortes de produits chimiques dans les gares d’arrivée et de départ des remontées mécaniques", souligne ainsi Carmen Grasmick. 

Un accident fatal pour un parapentiste

Il y a quelques années de cela, un parapentiste est décédé d'une collision avec le câble tendu d'un remonte-pente, qui ne fonctionne plus depuis des années. Autre exemple, "on a été sollicités par des bergers pour intervenir sur la commune de Cervières, dans les Hautes-Alpes, pour enlever des barbelés dans les alpages. Au bout de trois années consécutives de chantier, ils nous ont écrit un courrier pour nous dire qu’ils avaient beaucoup moins de blessures sur les brebis", raconte Carmen Grasmick. 

Depuis le lancement de ses activités, en 2001, Mountain Wilderness a entrepris environ 70 chantiers de démantèlement. Malgré des moyens modestes, l'association débarrasse les barbelés, fait tomber des pylônes ou retire certaines pièces sensibles. Dernièrement, la tendance s'est accélérée avec "cinq à dix chantiers" désormais menés chaque année par les bénévoles, assure Carmen Grasmick. Surtout, de plus en plus de personnes et structures prennent des initiatives similaires, permettant d'accélérer le retour à la nature de toutes ces zones abandonnées. Pour autant, beaucoup reste encore à faire. 


Maxence GEVIN Reportage TF1 Sylvain Millanvoye, Christophe Buisine

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