HISTOIRE – Fethi K. vient de gagner un procès aux Prud’hommes contre une société de Loire-Atlantique. La procédure a duré trois ans. Aujourd’hui, ce trentenaire veut témoigner pour faire changer les mentalités, et incite à s’ouvrir à la différence.
Fethi K., 32 ans, a le sourire fatigué. Un des signes du long combat qu’il a mené. En 2006, il quitte l'Algérie pour faire ses études à Nantes. Il a obtenu son bac + 5, d’ingénieur généraliste spécialisé en qualité sécurité environnement. Puis il a cherché du travail. Longtemps. Avec toujours la même réponse : négative. Le 1er août dernier, après trois ans de procédures, le conseil des Prud’hommes a reconnu qu’il avait été victime de discrimination raciale dans une entreprise où il avait postulé. Aujourd’hui, il veut raconter son histoire. Comme une thérapie. Mais aussi pour qu'elle serve d'exemple.
"Pendant mes études, je n’ai jamais senti de discrimination. Quand on m’en parlait, je me disais : "C’est sans doute de leur faute, il faut faire des efforts, s’intégrer." J’avais des amis, de bons rapports avec les enseignants. En 2009, je me suis mis à chercher du travail. J’ai envoyé des centaines de CV. Je n’arrivais pas à décrocher d’entretiens. J’ai contacté des structures pour l’emploi, participé à des dizaines d’ateliers de formation, écumé les salons… Rien. Pas un appel, pendant deux, trois ans. Je me remettais en question : tous les étudiants de ma promo avaient signé des contrats. En parallèle, je me suis remis à travailler dans la sécurité, un petit job que j’avais commencé en tant qu’étudiant, en semaine et le week-end. Ce n’était pas mon domaine, mais je n’avais pas le choix : il fallait bien manger.
"J'ai changé le nom sur mon CV"
En 2011, je tombe sur l’annonce d’une société basée à Donges, qui correspond exactement à mes compétences. Je postule. Comme d'habitude, je n’ai pas de réponse. Agacé, je renvoie mon CV, retire la photo et modifie mon nom. Mais je garde le même contenu. Une semaine après, je reçois un coup de fil : le directeur de cette entreprise est intéressé par ma candidature. On discute une demi-heure, il me présente la société, ses besoins, me dit qu’il a une mission à me proposer. Je suis sous le choc. Je n’y crois pas : je postule depuis trois ans, pas un entretien. Je change de nom : on me rappelle quelques jours après.
Je cogite toute la nuit, décide d’avouer ce qu’il en est, lors du rendez-vous qu’on a pris le lendemain, au siège de la société. Le directeur m’accueille, l’air un peu surpris. Me fait asseoir dans son bureau. Je lui demande ce qui l’a attiré dans mon profil. Il évoque ma formation, expérience. Là, je sors mon vrai CV. Avec mon nom. Les deux contenus sont identiques. Pour moi, cela ne change rien. Je lui explique pourquoi j’ai fait cela. Il s’embrouille, me pose quelques questions pour la forme mais je vois bien qu’il a envie d’en finir. Quelques jours plus tard, il m’appelle pour me dire que ses supérieurs n’ont pas n’ont pas retenu ma candidature.
"J'avais la haine"
J’ai passé 6 mois vraiment dur. J’étais mal, j’ai fait une dépression. Cela a changé d’un coup ma vision de la société française. On devient paranoïaque : dès qu’on a une mauvaise expérience, on se met à croire qu’on est victime de discrimination. On est tenté de se replier, sur sa communauté. On a la haine. J'ai été tenté de partir, d'aller chercher ailleurs. Et puis j’ai décidé de porter l’affaire devant les Prud’hommes. Je trouvais que c’était injuste, je pensais que ça allait m’apporter un soulagement. J'ai eu raison.
Je n’avais pas les moyens de prendre un avocat. J’ai dû tout préparer moi-même, assisté par un représentant syndical. Je demandais une conciliation, et 10 000 euros de dommages et intérêt. La partie adverse a refusé. La procédure a duré presque trois ans. Le 1er août dernier, j’ai reçu le délibéré par courrier. J’avais gagné. Ils ont été condamnés à payer 2 000 euros. Ça m’a soulagé : la justice était de mon côté. C’était symbolique pour moi.
"On peut faire changer les regards et les mentalités"
Cela m’a pris du temps de relativiser les choses. Je postule encore, 4-5 fois par semaine, pour des postes d’ingénieurs. Je n’ai jamais de réponses. Aujourd’hui, je me suis engagé à temps plein dans la sécurité. L’insertion est facile dans ce secteur : c’est composé majoritairement d’Arabes et de Noirs. Je suis rentré comme simple agent dans une grande galerie commerciale à Nantes, ai été nommé chef de poste, à la tête d’une équipe de 10 personnes, puis chef du site ce mois-ci. C’est un domaine que j’ai appris à aimer. Je compte créer mon entreprise. Je pense avoir les capacités, j’ai l’envie de tout faire pour que ça marche.
Je voulais surtout partager mon histoire. Peut-être que mon expérience peut aider les victimes de discrimination à alerter, à ne pas avoir peur d’aller devant la justice. Au fond, beaucoup de personnes ont une part de racisme, vis-à-vis des appartenances ethniques ou religieuses. Il ne faut pas se replier dessus. On peut faire changer les regards, les mentalités. J’y crois !"
Sur le
même thème
- Centenaire de l’armistice : contre toute attente, au lendemain de la guerre, la cause féministe reculePublié le 10 novembre 2018 à 18h14
- Pourquoi après une dispute, certains s’enferment pendant des jours dans le silence ?Publié le 14 mai 2016 à 10h30
- A Toulouse, des hommes se battent pour la parité en entreprisePublié le 21 juin 2015 à 12h41
- Agent de joueur, une profession salie par "quelques parasites"Publié le 25 janvier 2015 à 18h35
- Terroristes : "les gamins ont de l'admiration pour ces gars-là"Publié le 18 janvier 2015 à 12h10
- Mister France 2015 : "J’aime bien garder un peu de mystère… Ça encourage le fantasme !"Publié le 14 janvier 2015 à 17h54
- Forum étudiants Aix-Marseille : "Un détail peut tuer un entretien d’embauche"Publié le 26 novembre 2014 à 14h29
- "Je suis sûr que mes enfants pourront me rejoindre sur Mars"Publié le 21 novembre 2014 à 14h42
- Aïda Touihri : "La diversité peut être une chance"Publié le 20 novembre 2014 à 15h45
- Elles disent "stop" au harcèlement de rue à ToulousePublié le 19 octobre 2014 à 14h23
Tout
TF1 Info
- 1Mort de Sihem : que sait-on de Mahfoud H., mis en examen ce jeudi ?Publié hier à 14h55
- 2
- 4Des soldats ukrainiens combattent-ils sous l'effet du Captagon, cette drogue dérivée d'amphétamines ?Publié le 1 février 2023 à 16h47
- 6VIDÉO - Ne jetez pas votre vieux portable, il peut rapporter plusieurs centaines d'eurosPublié le 31 janvier 2023 à 16h44
- 7Israël : sans billet pour son bébé, un couple tente d'embarquer sans luiPublié le 1 février 2023 à 17h10
- 8Disparition d'Héléna à Brest : un nouvel appel à témoins lancéPublié hier à 15h04
- 9Épargne : Livret A vs assurance-vie, où vaut-il mieux placer son argent ?Publié le 1 février 2023 à 21h24
- 10Cannes : alerté après des loyers impayés, un propriétaire découvre son locataire mort depuis quatre ansPublié le 1 février 2023 à 12h12
- 3
- 4EuroMillions : "Une pluie de millionnaires" va inonder l'Europe ce vendrediPublié hier à 23h04
- 5VIDÉO - Quand un étrange tourbillon lumineux apparait dans le ciel d’HawaïPublié hier à 22h47
- 7Brunet, Hammett & Cie du 2 février 2023Publié hier à 22h06
- 9Un Œil sur le Monde du 2 févrierPublié hier à 21h53
- 1Pourquoi après une dispute, certains s’enferment pendant des jours dans le silence ?Publié le 14 mai 2016 à 10h30
- 2Décès de l'ex-pilote de F1 Jean-Pierre Beltoise : "Il a été le précurseur" pour JabouillePublié le 5 janvier 2015 à 15h59
- 3La bibliothèque universitaire de la Manufacture des Tabacs entre dans le XXIe sièclePublié le 2 novembre 2014 à 12h07
- 4Charlie Hebdo : les raisons de la "faible" mobilisation à MarseillePublié le 13 janvier 2015 à 15h54
- 5Prostitution : les mille et une nuits de MarrakechPublié le 19 juin 2016 à 19h45
- 6Série - L’Aveyron et ses traditions : la popularité du jeu de quilles de huitPublié le 27 juillet 2017 à 14h38
- 7Mais pourquoi la "Jungle" de Calais porte-t-elle ce nom ?Publié le 22 octobre 2016 à 10h55
- 8Attentat de Nice : des miettes pour les soignants et des médailles pour les cadresPublié le 19 mai 2017 à 10h19
- 9André-Pierre Gignac : "C'est le football, ça se joue à un poteau"Publié le 11 juillet 2016 à 17h19
- 10Jean-Paul Bonnetain, préfet de police à Marseille nommé en Isère ?Publié le 12 février 2015 à 17h20
- Police, justice et faits diversPortée disparue, Sihem, 18 ans, retrouvée morte dans le Gard
- InternationalMort de Tyre Nichols : la nouvelle affaire qui choque l'Amérique
- Sujets de société31 janvier, 2e round contre la réforme des retraites
- InternationalL'Occident se résout à livrer des chars à l'Ukraine
- TransportsUn "incendie volontaire" paralyse la gare de l'Est