Chez les jeunes, biberonnés au numérique, l'attention ne dépasse-t-elle pas 9 secondes ?

Publié le 8 juillet 2022 à 14h48, mis à jour le 8 juillet 2022 à 16h39

Source : JT 20h WE

On entend souvent dire que la multiplication des écrans et les nouveaux usages numériques réduit nos facultés de concentration.
De même, on lit que les jeunes seraient aujourd'hui incapables de maintenir leur attention plus de 9 secondes en moyenne.
L'origine de ce calcul, souvent avancé dans les médias, reste floue et dépourvue de base scientifique valable.

Il est courant d'entendre des parents s'inquiéter de la place des écrans dans le quotidien des enfants, se demandant si la surconnexion pourrait entraîner des conséquences néfastes. Le numérique nuit-il par exemple à la lecture ? Cette théorie se révèle assez commune, encore avancée ces derniers jours par Le Figaro dans l'un de ses articles. 

Le quotidien s'interroge sur les capacités cognitives "d'un millenial", cet individu "né avec la connexion permanente et avec un écran tactile" et pris "entre deux eaux de mails et de stories". Les jeunes générations "lisent-elles encore de 'vrais' livres", se demande-t-on ? La question est posée, d'autant que leur durée d'attention moyenne aurait chuté pour n'atteindre plus que "9 secondes". Un chiffre marquant, mais à utiliser avec des (très grosses) pincettes.

Aucune source fiable ne vient étayer ces données

Pour déterminer si ce chiffre est fiable, il faut tenter d'en remonter jusqu'aux origines. Le Figaro cite un ouvrage de Bruno Patino dans lequel il apparaîtrait, présenté comme le résultat de "ce que les superordinateurs de Google sont parvenus à estimer".

L'essai en question fait bien mention de Google, mais pas de "superordinateurs". Ce seraient en effet les "ingénieurs" de l'entreprise qui aurait réussi à effectuer ce calcul. Problème : on ne retrouve aucune publication du géant américain sur le sujet. Il semblerait en fait que Google ne soit pas à l'origine, mais qu'une confusion ait été effectuée avec un autre grand nom de la technologie : Microsoft. En 2015, la firme fondée par Bill Gates a en effet dévoilé un rapport qui comparait l'attention moyenne d'un humain (8 secondes) à celle d'un poisson rouge (9 secondes). 

Ni l'entreprise, ni ses ingénieurs, ne sont pourtant à l'origine de ces calculs. Le rapport cite en effet une source externe : Statistic brain, un institut de recherche qui cite lui-même des travaux plus anciens... Un journaliste de la BBC, qui a tenté d'éclaircir ce mystère, explique s'être heurté à des sources "d'une imprécision exaspérante". Lorsqu'il a contacté celles qui étaient répertoriées, à savoir "le Centre national d'information sur la biotechnologie de la Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis et l'Associated Press", il se trouve que "ni l'un ni l'autre ne trouve de dossier de recherche étayant les statistiques".

"J'ai parlé à diverses personnes qui consacrent leur vie professionnelle à l'étude de l'attention humaine et elles ne savent pas non plus d'où viennent les chiffres", ajoute-t-il. De ces multiples entretiens, auprès de spécialistes du cerveau humain ou des poissons, il ressort que "les poissons rouges n'ont pas de courte durée d'attention ou de mémoire", et que "rien ne prouve que la portée des attentions humaines diminue". Quant au chiffre de 8 secondes d'attention, aucun expert n'a été en mesure d'en trouver l'origine, et encore moins d'en confirmer la pertinence.

Un sujet qui nourrit de multiples fantasmes

Des chercheurs, en 2007, avaient proposé  un vaste passage en revue de la littérature scientifique. Ils voulaient savoir si des études confirmaient l'idée selon laquelle l'attention des étudiants diminuaient nettement après 10 à 15 minutes de lecture. De leurs recherches, ils ont tiré la conclusion suivante : "Il est clair que l'attention des étudiants varie pendant les cours, mais la littérature ne soutient pas la perpétuation de l'estimation de 10 à 15 minutes d'attention. La seule utilisation valable de ce paramètre est peut-être celle d'un artifice rhétorique visant à encourager les enseignants à trouver des moyens de maintenir l'intérêt des élèves en classe. Si les psychologues et autres éducateurs continuent à promouvoir un tel paramètre comme une estimation empirique, ils doivent l'étayer par des recherches plus contrôlées." 

En résumé, il apparaît donc plus que hasardeux de chiffrer la durée moyenne de l'attention chez l'être humain et encore plus délicat d'affirmer que celle-ci se réduirait.

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Thomas DESZPOT

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