Faut-il se méfier d'Alicem, l'application de reconnaissance faciale du ministère de l'Intérieur ?

par Cédric INGRAND
Publié le 4 octobre 2019 à 16h52

Source : Sujet TF1 Info

SÉSAME - Pour accéder de manière plus simple et plus sûre à toutes sortes des services publics en ligne, l'administration peaufine pour les prochaines semaines une application qui utiliserait la reconnaissance faciale pour vous identifier. En passant outre les objections de la CNIL et des associations. Explications.

L'administration numérique a un petit problème d'identité. Pas la sienne, non, plutôt la vôtre. Aujourd'hui, pour s'identifier sur les sites des impôts, de l'assurance maladie, pour demander une pièce d'identité ou déclarer la vente d'un véhicule, il faut un identifiant par site. Jusque-là, la solution s'appelait FranceConnect, un compte unique pour justifier de son identité en ligne auprès de l'administration. Mais la suite arrive.

La suite, c'est Alicem, pour "Authentification en ligne certifiée sur mobile", une application mobile coproduite par l'ANTS (Agence Nationale des Titres Sécurisés) et le ministère de l'Intérieur. Une application dont la seule fonction serait de vous identifier, à coup sûr, pour vous ouvrir les portes de "plus de 500 services publics" en ligne et qui rejoindrait les autres moyens d'identification offerts à ce jour.

Passeport ou Carte de Séjour obligatoires

Détail, qui n'en est pas un : pour utiliser Alicem, il faudra être déjà détenteur d'un passeport français ou d'une carte de séjour, les deux seules pièces d'identité intégrant à ce jour une puce sans contact qui contient votre photo. Et pour cause : pour vérifier que c'est bien de vous qu'il s'agit, l'application demandera à lire le contenu de la puce, en apposant votre smartphone sur la pièce d'identité. En utilisant la caméra de l'appareil, le système pourra alors comparer votre visage à celui stocké dans la puce sécurisée en prenant des clichés statiques. Mais aussi en vous demandant de cligner des yeux ou de tourner la tête face à la caméra pour s'assurer qu'il n'est pas juste en train de voir une photo imprimée du propriétaire de la pièce d'identité. Les empreintes digitales, elles aussi stockées dans la puce du passeport, ne sont pas utilisées.

Détail, qui n'en est pas un : l'application ne fonctionnerait pour l'instant que sous Android, probablement du fait de la gestion un peu différente des puces NFC sur iPhone, qui limite le type et la quantité de données lisibles à partir de ces puces sans fil. Une situation qui change avec l'arrivée toute récente d'iOS 13, qui ouvrirait la voie à ce type d'application sur tous les iPhone à partir de l'iPhone 7. Alicem pourrait donc rapidement exister sur les deux plateformes.

La Cnil s'interroge, la Quadrature du Net est contre

Sans surprise, dès que l'on parle d'identité et biométrie, la discussion s'enflamme. Pour la Cnil par exemple, Alicem pose question. Dans une délibération datant de l'automne 2018, le gendarme de nos données personnelles s'interroge sur la compatibilité d'Alicem avec les dispositions du RGPD, le Règlement européen de protection des données personnelles. Celui-ci subordonne en effet l'utilisation de l'identification biométrique au libre consentement de l'utilisateur. Or, ici, le choix est plutôt restreint : sans consentement au traitement de vos données biométriques, impossible d'utiliser Alicem.

Même son de cloche plus récemment, quand la Quadrature du Net, cette association qui milite -entre autres- pour la protection de la vie privée, a déposé cet été un recours devant le Conseil d'État pour s'opposer à ce qu'elle décrit comme "une généralisation de la reconnaissance faciale". Outre la question du consentement, ce qui inquiète la Quadrature, c'est qu'Alicem pourrait être utilisée comme outil d'identification bien au-delà des sites du service public. Et donc devenir une arme contre l'anonymat.

Du côté du ministère de l'Intérieur, on se veut rassurant, précisant qu'une fois passé l'inscription, les données biométriques ne seront stockées qu'à l'intérieur du smartphone. Surtout, l'utilisateur aura encore le choix d'utiliser les autres moyens d'identification, sans biométrie, proposés par les sites de l'administration. On pourra aussi continuer à effectuer ses démarches au guichet, en personne. Mais dans ce cas, n'oubliez pas votre pièce d'identité.


Cédric INGRAND

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