Lutte contre le harcèlement de rue : que penser des applications sur smartphone ?

Léa LUCAS avec AFP
Publié le 25 septembre 2020 à 9h59
JT Perso

Source : JT 20h Semaine

TECHNOLOGIE - "Street Alert", "Garde ton corps", "Sekura" : de nombreuses applications mobiles visant à lutter contre le harcèlement de rue émergent. Des dispositifs dont le fonctionnement suscite cependant des interrogations.

"Je ne me sens pas du tout en sécurité dans la rue." Ce sentiment d'insécurité dans l'espace public dont témoigne Sophie, 22 ans, étudiante à Toulouse, est largement partagé par le reste des femmes, surtout la nuit. La différence, c'est qu'aujourd'hui, ces femmes osent en parler. Mieux, elles mettent en place des applications mobiles pour lutter contre ce fléau et s'entraider. 

Des applications qui proposent des fonctionnalités diverses, de l'alarme sonore censée faire fuir les agresseurs au recensement de "lieux refuge". C'est le cas de "Garde ton corps", disponible depuis la mi-août, qui a noué un partenariat avec une trentaine de bars, restaurants et hôtels en France. Ces derniers s'engagent à accueillir quiconque s'estime en insécurité sur la voie publique.

"L'idée de répertorier des endroits sûrs m'est venue après m'être fait refuser l'accès à un bar, un soir où je me sentais suivie, car je ne portais pas la bonne tenue pour entrer", raconte sa fondatrice, Pauline Vanderquand. "Pour créer un climat de confiance, nous n'acceptons que les femmes et nous leur demandons une pièce d'identité ainsi qu'un selfie pour vérifier manuellement l'identité de chacune", poursuit la créatrice de l'application, qui comptabilise 4.000 téléchargements en deux semaines. 

Notre vocation n'est pas d'inciter les utilisateurs à intervenir dans l'urgence d'une agression.

Lucile Dupuy

L'étudiante toulousaine garde toujours une application ouverte, "The Sorority", sur son téléphone lorsqu'elle est seule dans la rue. "Au moins, si je lance une alerte via l'application, je sais qu'il y a des personnes à proximité qui peuvent réagir directement." L'alerte générée par une femme en difficulté est relayée auprès des autres utilisatrices de l'application.

La responsable du développement de l'application "Handsaway", Lucile Dupuy, tempère. "Notre vocation n'est pas d'inciter les utilisateurs à intervenir dans l'urgence d'une agression. Il s'agit davantage d'un outil pour fédérer et rendre compte de la fréquence des agressions sexistes et sexuelles", argumente-t-elle.

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"Quand on développe ce type d'application, il est important de maîtriser le sujet des violences car on peut facilement proposer une fonctionnalité qui se retourne contre l'utilisatrice", prévient Diariata N'Diaye, pionnière dans ce domaine. "C'est très dangereux de mettre en contact une personne en situation de vulnérabilité avec des inconnus, c'est sous-estimer le machiavélisme des agresseurs, qui se font un plaisir de télécharger ce type d'application, quitte à usurper une identité." 

Cette activiste, elle-même victimes de violences, a lancé "App-Elles" en 2015 en s'appuyant sur son vécu et son expérience du terrain. Son appli permet aux utilisatrices, anonymisées, d'enregistrer le contact de trois proches qui sont les uniques destinataires des alertes. Ces derniers peuvent alors localiser la victime et accéder à l'enregistrement audio de son téléphone. Sinon, "cela peut aussi être dangereux pour la personne qui voudrait apporter son aide à une victime", remarque-t-elle. 

Plutôt que de déployer des applis (...), il faut sensibiliser dès l'école."

Marine Stoll

Militante au sein du collectif Stop harcèlement de rue, Marine Stoll s'interroge quant à elle sur l'existence même de ces applis. "Si le compagnonnage de rue permet à certaines de se sentir plus en sécurité, il n'est pas normal d'avoir besoin d'un accompagnement de ce type pour ne pas être harcelée et vivre sa vie normalement", plaide-t-elle. "Plutôt que de déployer des applications mobiles, ce qui ne réglera pas la problématique sur le long-terme, il faut davantage informer et sensibiliser dès l'école." En attendant un changement structurel, ces applis peuvent se présenter comme des alternatives rassurantes. 


Léa LUCAS avec AFP

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