TOUS AUX ABRIS - Une application controversée, en téléchargement gratuit sur la boutique d'applications en ligne de Google, permet aux utilisateurs de "flinguer" virtuellement la personne de leur choix. Un homicide virtuel que l'on peut ensuite partager sur les réseaux sociaux. Et sans aucune limite d'âge. Glaçant.
Ici, pas de petits monstres pixellisés à capturer, ni d’arènes pour affronter d’autres joueurs en balançant des éclairs avec son Pikachu. L'application Mobile Gun First person shooter, gratuite, apparue début juillet sur la boutique d’applications en ligne de Google, propose à ses utilisateur de commettre un meurtre dans le monde réel, mais pour de faux. "Si vous aimez les armes à feu, et que vous ne pouvez pas en avoir une, alors cette application est faite pour vous !", peut-on lire en guise de présentation sur le PlayStore de Google.
A la différence d'un "GranD Theft Auto V", où le joueur tire sur des personnages animés, et donc totalement fictifs, Mobile Gun s’appuie sur la technologie de la réalité augmentée. A l’instar des filtres Snapchat ou du jeu Pokémon GO, celle-ci permet d’ajouter au monde réel des éléments virtuels, qui viennent se superposer pour créer un nouvel environnement en 3D, en utilisant la caméra de votre smartphone. Le but, comme l'explique le tutoriel d'introduction, est de tuer un maximum de gens pour récolter des points, et ainsi pouvoir acheter de nouvelles armes, encore plus puissantes, allant du fusil d’assaut au sniper, en passant par un lance-roquette.
Un jeu de simulation de tir "amusant (pour jouer) entre amis"...
Une fois la partie lancée, le joueur a pour mission de pointer la caméra de son téléphone sur la cible de son choix… pour lui faire exploser la cervelle. Des effets spéciaux, le bruit des détonations mais aussi des effusions de sang, ajoutent encore un peu plus de réalisme à la scène. Le joueur peut ensuite partager ces homicides virtuels avec ses amis sur les réseaux sociaux, sous la forme de replay. Le créateur du jeu, un développeur de 26 ans du nom de Genesis Manuel Antony, décrit ce jeu de simulation de tir comme particulièrement "amusant [pour jouer] entre amis". "Je pourrais tranquillement tirer sur mon ami et poster un clip en ligne - alors il le verra et me retrouvera plus tard", explique-t-il dans une interview au Times. Nous avons essayé de contacter l'éditeur du jeu pour avoir une réaction. Il n'a pas encore répondu à nos sollicitations.
Autorisé pour les jeunes enfants
Etonnamment, l'application Mobile Gun, qui est classée dans la catégorie "Simulation" du PlayStore de Google, a été jugée appropriée pour toutes personnes âgées de plus de trois ans par PEGI, le système d’évaluation européen des jeux vidéo, censé aider les consommateurs à s'informer sur l'âge minimum requis pour y jouer. Autrement dit, ce jeu est considéré comme adapté pour les enfants de trois ans et plus. Pour Dimitri Charitsis, rédacteur du site d'information sur les nouvelles technologies Tom's Guide, c'est assez étonnant :
"Depuis 2003 , chaque société éditrice de jeux vidéo doit désormais nommer dans ses rangs un référent PEGI, qui doit remplir un questionnaire détaillé sur chaque aspect du jeu qui va être soumis à l'organisme. Comme par exemple : 'le jeu présente-t-il des scènes de violence ? Des éclaboussures de sang, de la torture ?' En fonction du degré de violence, le jeu reçoit alors une classification provisoire. Son contenu est censé être vérifié par cet organisme. Puis, après validation, il reçoit sa classification définitive", détaille notre expert.
Selon Dimitri Charitsis, depuis le lancement de PEGI en 2003, très peu de polémiques ont émergé pour des jeux vidéos sur console et ordinateur. Pour preuve, il cite notamment l'exemple du jeu de simulation de hockey sur glace NHL 2014, qui s'est vu classé PEGI16, car son éditeur, Electronic Arts, avait indiqué dans le questionnaire qu'il était possible de de se battre et de donner des coups de poing.
Cependant, avec l'arrivée des jeux mobiles, les choses ont un peu changé. "Il y a de fortes chances pour que l'éditeur du jeu ait menti sciemment sur le contenu du jeu afin d'obtenir cette classification pour toucher un public plus large, explique-t-il. En général, un jeu de simulation de tir est classé au minimum PEGI 7.
Nous avons contacté Google au sujet de cette autorisation y compris pour les jeunes enfants. "Bien que nous ne parlions pas sur des applications spécifiques, nous pouvons confirmer que nos politiques sont conçues pour offrir une excellente expérience aux utilisateurs et aux développeurs. Nous allons examiner et supprimer toutes les applications qui rompent nos politiques une fois que nous en avons été informé."
C'est un peu comme se déguiser : dès que vous enlevez votre costume, vous revenez immédiatement à la réalité. Avec un casque de réalité virtuelle, ou la réalité augmentée, c'est la même chose.
Thomas Gaon, psychologue clinicien et membre de l'Observatoire des Mondes numériques
Mobile Gun peut il avoir un impact sur des jeunes enfants? Nous avons posé la question à Thomas Gaon, psychologue clinicien et membre de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH). Selon lui, l'idée que les sens puissent être abusés au point que le joueur cofonde la fiction avec la réalité ne tient pas :
"Lorsque nous jouons à un jeu, que ce soit le Monopoly ou un jeu de simulation de tir, le cerveau humain suspend temporairement sa capacité de jugement, qu'il utilise habituellement pour faire la part des choses entre ce qui est réel et fictif. C'est d'ailleurs tout le principe du jeu. C'est un peu comme se déguiser : dès que vous enlevez votre costume, vous revenez immédiatement à la réalité. Avec la réalité augmentée, c'est la même chose : vos sens peuvent être altérés temporairement mais votre cerveau, lui, sera toujours capable de faire abstraction dès que la partie sera terminée."
Reste la question de l'âge. "On sait effectivement que le fait de regarder des images violentes avant l'âge de 12 ans peut engendrer une forme de banalisation de la violence, voire d'agressivité chez certaines personnes", reconnaît toutefois le psychologue. Pour lui, il en va aussi de la responsabilité des parents : "Cela montre, une nouvelle fois la nécessité pour les parents de garder un œil attentif sur les contenus que téléchargent leurs enfants".