Twitter dans la galaxie d'Elon Musk

On a fait un plongeon vertigineux dans Truth Social, le "Twitter" à la sauce Trump

Matthieu DELACHARLERY (avec Axel Monnier, correspondant de TF1 à Washington)
Publié le 28 avril 2022 à 16h51
JT Perso

Source : JT 20h WE

Deux mois après son lancement, le réseau social de Donald Trump, en tête de l'Apple Store américain, connaît un regain soudain de popularité.
Avec la complicité du correspondant de TF1 à Washington, et de l'Américaine Kathryn Kressmann, on a exploré ce nouveau réseau social pas comme les autres.

Deux mois après son flop, Truth Social se retrouve sous les projecteurs. Personne ne l’avait vu venir, et pourtant depuis 48 heures, le nouveau mégaphone de Donald Trump caracole en tête de l’Apple Store américain. Si le nom de ce réseau social ne vous dit rien, rassurez-vous, c’est bien normal. Truth Social a vu le jour en février dernier de l’autre côté de l’Atlantique, un peu plus d’un an après l’exclusion de Donald Trump des grands réseaux sociaux, dont Twitter, pour son rôle présumé dans l'insurrection du 6 janvier 2021. En réaction, dans la foulée, l’ex-président américain avait promis qu’il allait créer son propre réseau social. 

Lancée le 21 février, la plateforme est accessible uniquement depuis les États-Unis, et sur les iPhone. Un démarrage poussif, à cause de bugs informatiques, une file d’attente et un changement d’hébergeur. Malgré son slogan "Follow the truth" (en français, "Suivez la vérité"), l’application a été téléchargée 1,8 million de fois depuis son lancement. Dimanche dernier, l’application mobile arrivait seulement en 52e position sur le magasin américain en ligne d'Apple. Si bien que la plupart des observateurs l’avaient déjà enterré au cimetière des réseaux sociaux. Difficile alors d’expliquer ce regain soudain de popularité, hormis le fait qu’il coïncide avec l’annonce du rachat de Twitter par Elon Musk. 

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Donald Trump a en effet affirmé, mardi sur la chaîne Fox News, qu’il ne comptait pas revenir sur la plateforme à l’oiseau bleu, un réseau social devenu "ennuyeux". Il n’en fallait pas plus pour propulser l’application Truth Social au sommet de l’AppStore américain, devant Twitter et Tik Tok. Alors forcément, on s’est demandé à quoi pouvait ressembler le nouveau mégaphone de Donald Trump. Avec la complicité d'Alex Monnier, du correspondant de TF1 à Washington, et l’aide de l’Américaine Kathryn Kressmann, nous avons exploré les arcanes de ce réseau social pas comme les autres. Et, autant vous dire, on n’a pas été déçu.

Dans cette agora en ligne, qui se présente comme un espace "pour la liberté de pensée et de partager des idées", l’utilisateur fait défiler "des vérités", le nom des messages sur la plateforme. On pourrait croire à un site parodique, quand on connaît le rapport pour le moment complexe de Donald Trump avec la vérité, et pourtant ce n’est pas le cas. Pour le reste, le fonctionnement de la plateforme est assez semblable à celui de Twitter. On retrouve les fameux "trending topics" avec le hashtag, pour les sujets les plus commentés. Seule petite différence, les contenus apparaissent par ordre chronologique. Autre petit détail qui prête à sourire, la tête d’un aigle, l'emblème américain, remplace le petit œuf sur la photo de profil. 

Donald Trump aux abonnés absents

Au moment de l’inscription, l’utilisateur se voit suggérer une sélection de comptes à suivre. Il doit obligatoirement s’y abonner pour commencer à publier la plateforme, de manière à gonfler artificiellement le nombre d’abonnés. Car celui de Donald Trump, bien évidemment, arrive en premier. Chose surprenante, l’ex-président des États-Unis, pourtant très actif sur Twitter, n’a publié qu’un seul message sur la plateforme en un peu plus de deux mois. C’est peu, tout comme le nombre de personnes qui suivent son compte, 1,8 million, bien loin des dizaines de millions d’abonnés avant son éviction de la plateforme à l’oiseau bleu. Sans surprise, pas de New York Times ni de CNN à l'horizon, en tout cas officiellement. À la place, une multitude de médias pro-Trump ou d’extrême droite, et toute une ribambelle de personnalités dont les comptes ont été clôturés par Twitter. 

Au moment de l'inscription, l'utilisateur se voit proposer une sélection de comptes, dont de nombreux médias bannis de Twitter.
Au moment de l'inscription, l'utilisateur se voit proposer une sélection de comptes, dont de nombreux médias bannis de Twitter. - CAPTURE D'ECRAN TRUTH SOCIAL

Sur Truth Social, on trouve les habituelles obsessions de l'ex-président des États-Unis. Un "meme" (image humoristique sur Internet) montre par exemple Joe Biden portant un turban sur la tête et un lance-grenade sur l'épaule, avec une légende glorifiant les talibans, en référence au retrait en catastrophe d'Afghanistan. On trouve aussi beaucoup la formule "Let's Go Brandon", une insulte à Joe Biden qui est devenue un cri de ralliement des supporters de l'ex-président. De nombreux messages évoquent bien sûr les "fake news" prétendument colportées par les médias "mainstream". L'un d'entre eux leur reproche même de ne pas avoir relayé les fausses informations sur la mort de la reine d'Angleterre. 

Une publication de FoxNews au sujet d'Emmanuel Macron (G), Donald Trump Jr qui trolle (C) et un utilisateur qui qualifie le camp démocrate de communiste (D).
Une publication de FoxNews au sujet d'Emmanuel Macron (G), Donald Trump Jr qui trolle (C) et un utilisateur qui qualifie le camp démocrate de communiste (D). - CAPTURE D'ECRAN TRUTH SOCIAL

Premier constat, dans ce "Far West" algorithmique, les interactions se font plutôt rares. Sur l’Ukraine, la propagande poutinienne fonctionne à plein régime. "On trouve de nombreux messages disant que les Ukrainiens sont des nazis, d’autres avec des ‘I Stand with Ukraine’ (en français, "Je suis avec l’Ukraine") qui sont barrés", relève Alex Monnier. Mais le sport national sur la plateforme, et de très loin, reste le "Biden bashing". Au bout de quelques minutes sur le réseau social, l'impression d’être enfermé dans une coquille vide se confirme. Le nombre de messages qui défile à la minute est proche du néant. Les thématiques les plus commentées, comme la guerre en Ukraine ou les prix du gaz, dépassent à peine les mille occurrences ce mercredi 27 avril.

Oui aux trolls, non aux calomnies

Dans les règles d'utilisation, le réseau social rappelle pourtant que les contributions "obscènes, lubriques, ordurières, violentes, calomnieuses, diffamatoires, relevant du harcèlement ou autrement répréhensibles" sont proscrites sur la plateforme. "Nous voulons être accueillants pour les familles", affirmait même Devin Nunes, ancien élu républicain et désormais patron de Trump Media & Technology Group (TMTG), la maison mère du nouveau réseau, dans une interview en janvier sur la chaîne Fox News. Truth Social autorise, en revanche, les contenus "non appropriés au travail" et relevant du "trolling" (le phénomène qui consiste à créer artificiellement des controverses en ligne, ndlr). 

Une vision pour le moins débridée de la liberté d'expression, où la satire autorise tout ou presque. La start-up américaine Hive, spécialisée dans la modération automatisée des contenus en ligne, est chargée de veiller au grain. Sauf que dans les faits, la modération sur Truth Social est quasi inexistante. Les exemples ne manquent pas. Stew Peters, figure de l'extrême droite américaine et anti-vaccin convaincu, a lui posté un message appelant à l'exécution des responsables du vaccin COVID-19. La publication, qualifiée de "contenu sensible" par Truth Social, obligeait les utilisateurs à cliquer sur un bouton pour afficher le contenu du message qui, pour autant, n'a pas été supprimé de la plateforme.

Plus qu’un eldorado à Fake news, Truth Social est un réseau social où la contradiction n’existe pas

Axel Monnier, correspondant US de TF1

Sur la plateforme, les conversations sur la polémique autour de Disney, un sujet très débattu actuellement aux États-Unis, se résument à quelques appels au boycott, des messages disant que Disney est "woke" et qui soutiennent l'action du gouverneur de Floride, Ron DeSantis. On retrouve, bien évidemment, des discours similaires sur Twitter, à la nuance près qu’il y a des contradicteurs. "Plus qu’un eldorado à Fake news, c’est un réseau social où la contradiction n’existe pas. Globalement, les gens ont tous la même idéologie", souligne Axel Monnier.

Rien de bien étonnant à vrai dire, d'autant que le réseau social effectue lui-même un tri parmi les nouveaux inscrits, à en croire le site américain Mashable. Au lendemain de son lancement, Matt Ortega, un développeur web, s'était vu ainsi refuser l'accès à Truth Social avant même d'y avoir posté son premier message. En cause, le pseudonyme que cet Américain a utilisé au moment de son inscription : @DevinNunesCow, le nom du patron de la maison mère du réseau social assorti du mot "vache" en anglais. Il y a trois ans, Devin Nunes avait attaqué en justice le créateur d'un compte Twitter parodique représentant une vache à son nom. 

États-Unis : Donald Trump déjà en campagne pour la Maison BlancheSource : JT 20h WE

Bien que Donald Trump n'a pas mis un seul centime de sa poche dans Truth Social, il avait bon espoir d'en faire son nouveau mégaphone. "Avec plus de 80 millions d’abonnés sur Twitter, s’il était parvenu à faire venir ne serait-ce qu’un quart de ces gens-là, ça aurait une bonne base pour commencer un réseau social. Truth Social devait lui permettre de peser dans le débat public, selon Axel Monnier. Aujourd’hui, Donald Trump est très peu audible. Les meetings qu'ils organisent depuis quelques mois sont très peu couverts par les médias américains, hormis ceux déjà acquis à sa cause. Il essaie de trouver de l’espace public là où il peut." Et l'échec de Truth Social est assez révélateur de la chute de popularité de l'ancien président des États-Unis. 


Matthieu DELACHARLERY (avec Axel Monnier, correspondant de TF1 à Washington)

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