Streaming illégal de matches de foot : comment la riposte s'organise

Publié le 21 septembre 2018 à 17h17, mis à jour le 24 septembre 2018 à 11h16
Streaming illégal de matches de foot : comment la riposte s'organise
Source : Thinkstock : sonmez

PIRATAGE - Le match de Ligue des Champions Liverpool-PSG, diffusé mardi en exclusivité sur RMC Sport, n'a pas été épargné par les bugs. Il a aussi été suivi par de nombreux internautes via des plateformes illégales. Un phénomène qui ne date pas d'hier mais qui prend une ampleur de plus en plus importante avec l'arrivée de nouveaux diffuseurs et des offres d'abonnement morcelées qui s'en suivent.

Comment, lorsqu’on aime le football, ne pas s’arracher les cheveux. Tous les ans, à la fin de l'été, le casse-tête se reproduit. Plutôt Canal+ ou beIN SPORTS ? En cette rentrée, la partie se complique encore un peu plus. Avec la montée en puissance de RMC Sport, l’équation se joue désormais à trois.  De ce fait, le tarif minimum pour s’abonner à toutes les compétitions débute à 40 euros, selon les packs et autres abonnements. Mais tous ne sont pas prêts à casser leur tirelire ! Loin de là…

Comme beaucoup d'autres, Michel*, 32 ans, a par exemple résilié son abonnement à Canal+ il y a plus d’un an. Ce cadre parisien suit désormais les matchs retransmis gratuitement sur Internet par des sites pirates. Laurent, 45 ans, visionne pour sa part sur une page Facebook les rencontres de son équipe préférée avec 5.000 autres "amis", inscrits comme lui et avec lesquels il échange ses commentaires. Il estime ne pas avoir les moyens de souscrire plusieurs forfaits afin d’accéder à toutes les compétitions. David, étudiant de 18 ans, a de son côté investi un centaine d’euros dans un boîtier Android avec l’application Kodo pré-installée. Le dispositif lui permet regarder tous les matchs en haute définition sur sa tablette.

Nouvelle tendance

Avec la multiplication des diffuseurs, plutôt que de débourser la somme requise pour s’abonner, les footeux sont donc de plus en plus nombreux à opter pour la solution du piratage, par le biais du streaming. Ces sites pirates, pour la plupart gratuits, ne disposent pas des droits pour diffuser ces événements et se rémunèrent de diverses façons : soit par la publicité, souvent très envahissante, soit en revendant les données que l’utilisateur fournit en remplissant le formulaire d’inscription, ou bien encore via le minage de bitcoins -un logiciel s’installe discrètement et utilise la puissance de la machine pour générer de la cryptomonnaie.

Autre tendance, qui se développe à toute vitesse, l’IPTV illégale : ce fameux boîtier Android pré-configuré qui permet à David et bien d'autres de visionner des milliers de chaînes gratuites et payantes, pour une somme dérisoire. "En France, le piratage par IPTV est une tendance relativement récente. Mais cela reste encore relativement confidentiel, explique à LCI Frédéric Delacroix, délégué général de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpha). L'installation du système n’est pas à la portée de tout le monde et le paramétrage est quand même assez complexe."

1 million de "streamers" pour le foot

Un rapport du Centre national du Cinéma, de l'Alpha et de Médiamétrie (qui calcule depuis un an l'audience des sites pirates), datant de juin dernier, relevait ainsi que le visionnage de rencontres sportives via des sites de streaming illégaux captait près d'un million d'internautes français par mois en 2017. Soit 10 % à 20 % des audiences réalisées par les chaînes de télévision sur certaines rencontres. A titre d’exemple, lors du match de Ligue des champions entre le PSG et le FC Barcelone, diffusé le 14 février 2017 sur beIN SPORTS, les sites pirates auraient attiré jusqu'à 332.000 "streamers", toujours selon ce rapport. Ce soir-là, la chaîne avait réalisé une audience historique, avec un pic à 1,82 million de téléspectateurs. 

"L'enjeu devient d'autant plus important pour les chaînes qu'elles subissent déjà le piratage des séries et des films. Offrir des matchs en direct et en exclusivité permettait de s'attirer, mais aussi de fidéliser, des abonnés sans craindre Internet. Et de justifier ainsi les sommes folles mises sur la table pour décrocher la retransmission de certains grands événements", observe Jacques Bajon, de l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications (Idate). Les droits TV de la Ligue 1 sont en effet passés de 748,5 millions d’euros par saison à plus de 1,1 milliard pour la période 2020-2024.  Si le piratage devient massif, l'équation financière va devenir compliquée à résoudre pour les diffuseurs, alors incapables de rentabiliser de tels investissements. 

Un combat ardu

Devant ce hold-up télévisuel, les grands groupes de médias organisent la riposte. Mais le combat s'avère plus ardu que dans d'autres domaines.  Tout d'abord, la Haute Autorité de protection des œuvres sur Internet, la Hadopi, ne surveille pas le streaming (transmission en flux continu), car il ne figure pas dans ses missions fixées par la loi.  Et contrairement aux studios de production avec les sites de téléchargement de films ou de séries, les ligues sportives ou les télévisions ont peu de temps pour réagir. Elles doivent en effet bloquer le flux d'images pendant la retransmission d'une rencontre ou d'une course. 

"Afin de retrouver les resquilleurs dans les méandres d'Internet, les diffuseurs peuvent ‘marquer’ numériquement leurs contenus pour les repérer. Et ainsi  tenter de faire cesser l'émetteur en s'attaquant à ses différents prestataires techniques et tarir ses sources de financement", relève Jacques Bajon. "Le cadre juridique existe, mais les serveurs se trouvent souvent à l’étranger, ce qui complique grandement le blocage et le déréférencement de ces sites pirates", ajoute Frédéric Delacroix. Joints par LCI, le groupe Canal+ a fait savoir qu'il ne communiquait pas sur le sujet, tandis que RMC Sport n'a pas donné suite à notre demande.

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Des actions judiciaires

Des victoires sont néanmoins à signaler. En décembre dernier, l’Alpha a par exemple contribué à la fermeture d’Artv.watch. Lancé en 2017 par un adolescent de 16 ans, ce site de streaming illégal n’avait cessé de croître en audience. Il offrait l’accès en direct à 176 chaînes télévisées françaises gratuites et payantes. Selon Médiamétrie, il était fréquenté par plus de 150.000 visiteurs uniques par mois. Il proposait en outre le téléchargement d’une application mobile permettant de consulter les programmes sur mobile et tablette. Les bannières affichées sur les pages du site et sur l'application mobile rapportait à son créateur environ 3.000 euros mensuels de revenus publicitaires.

Plus récemment, en juin dernier, quelques jours avant le début de la Coupe du monde, l’Alpha a également participé à la fermeture de la plateforme Being Sport Streaming, une nébuleuse de sites au nom évocateur devenue entre-temps le numéro un du streaming illégal de match de foot en France. Tous les mois, pas moins de 500.000 internautes s’y rendaient, d'après les chiffres de Médiamétrie. En 2015, la Ligue de football professionnel (LFP) s'est déjà attaquée au site Rojadirecta, dont l'audience est mondiale. Elle avait obtenu gain de cause devant les tribunaux. Mais la société hispanique a fait appel de cette décision. Elle estime être un simple hébergeur de liens et non pas un éditeur.  Le dossier est toujours en cours.

Rappelons que le visionnage de contenus piratés (quel que soit le système utilisé), "s'il est fait de manière délibérée et en connaissance de cause, peut également être considéré comme de la contrefaçon". Un délit sanctionné en France jusqu'à trois ans de prison et 300.000 euros d'amende.

*tous les prénoms ont été modifiés. 


Matthieu DELACHARLERY

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