INTERVIEW - L’Organisation mondiale de la santé a validé l'inscription dans sa classification des maladies le "trouble du jeu vidéo", une addiction quasi-obsessionnelle des enfants et adolescents au jeu en ligne. Une décision qui a fait bondir l’industrie, mais qui nécessite plus de modération pour Michael Stora, psychologue spécialiste des comportements addictifs autour du jeu vidéo.
Un adolescent qui hurle face à son écran, sa manette en mains, en s’isolant de plus en plus pour passer ses journées à jouer : une situation qui existe, même si elle est minoritaire, et qui a poussé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à faire du "trouble du jeu vidéo" une maladie. Au grand dam de l’industrie vidéoludique qui a crié à une classification "injustifiée" sans "analyses pertinentes, régulières et globales".
Pour Michael Stora, psychologue-clinicien spécialiste du jeu vidéo et ses conséquences, il est nécessaire de ne plus être dans le déni face à une situation bien réelle.
LCI : Peut-on vraiment parler d’addiction au jeu vidéo ?
Michael Stora : Oui. Mais il faut bien préciser que cette classification par l’OMS concerne le jeu vidéo en ligne seulement, pas le jeu vidéo dans son ensemble. Il ne faut donc pas faire d’amalgame entre addiction et jeu vidéo classique. Concernant le jeu vidéo et notamment en ligne, c’est en effet quelque chose qui existe et que j’ai repéré depuis plusieurs années en recevant beaucoup de jeunes en consultation. C’est comme pour tout plaisir ou loisir : l’excès peut provoquer un comportement problématique du fait d’un usage addictif. Cette addiction doit être prise en charge. Mais cela ne passe pas forcément par un traitement médicalisé.
Quel est le profil des joueurs concernés ?
Sur l’ensemble des patients venus à mon cabinet pour des problèmes liés aux jeux vidéo, seulement 5% avaient des conduites addictives. Ce sont généralement des jeunes entre 15 et 25 ans. Mais cela peut aussi être des adultes plus âgés amenés par leur conjoint. Dans plus de 80% des cas, ces patients présentent un haut potentiel intellectuel. Mais ils ont des problèmes de socialisation, d’intégration à des groupes. Plus globalement, ils ont un profil d’"hyper geek". Ce sont des compétiteurs dans l’âme, très exigeants avec eux-mêmes, mais aussi fragiles et qui ne supportent pas l’échec. Quand l'addiction survient, on constate souvent qu’ils vivent -ou ont vécu- des problèmes dans la cellule familiale.
Eloigner de la console n'est pas sevrer
Mais pourquoi le jeu vidéo ?
Ils ont une pensée et un raisonnement mathématique de haut niveau qui s’accommodent parfaitement du numérique et du jeu vidéo dans lequel ils trouvent un refuge. Ils y cherchent et y trouvent une forme de réussite, de succès. Ils vont progressivement s’isoler, se mettre en marge de toute vie sociale, professionnelle, scolaire... L’addiction au jeu vidéo est alors le symptôme d’un parcours de vie difficile. C’est initialement une forme de lutte anti-dépression.
Etait-ce utile et important que l’addiction au jeu vidéo soit reconnue par l’OMS ?
Ce n’est pas forcément positif qu'elle devienne une maladie reconnue. La manière dont elle est présentée n’est pas la bonne. Là, on entrevoit de l’hospitalisation longue durée et de la médication pour sortir les joueurs de leur addiction. D’autres voient surtout la possibilité du remboursement par la Sécurité sociale… Les accros risquent en fait se retrouver dans des services d’addictologie avec des toxicomanes ou des alcooliques aux profils totalement différents. Et ce n’est pas parce que vous les éloignez de leur console que cela va les sevrer, cela n’a rien à voir ! L’hospitalisation n’est pas la solution. Le climat familial a aussi une part de responsabilité, tout comme l’industrie du jeu vidéo. Mais il y a une prise de conscience de plus en plus présente dans ce secteur qui a longtemps nié la situation.
Il faut les ré-ancrer dans la réalité, les faire gagner pour contrebalancer leur haine de l'échec
Michael Stora
Que doit-on faire pour les aider si la solution n’est pas médicale ?
Quand on parle d’addiction au jeu vidéo, on ne note que les éléments négatifs alors que ce sont donc des jeunes à haut potentiel. Ils ont besoin de reprendre confiance en eux, de ne pas être isolés et de s’enfoncer dans une pathologie. Ils se retrouvent souvent déscolarisés, en échec, et leurs parents le vivent mal aussi. L’inquiétude de ces derniers est légitime face à des situations qu’ils ne comprennent pas toujours. Pour aider les enfants à s’en sortir, il faut les ré-ancrer dans la réalité, leur donner un espace bien réel où ils vont aussi gagner pour contrebalancer leur haine de l’échec. Parfois, il s’agit simplement d’une bonne note à l’école qui sera mieux vécue qu’une victoire à un jeu. Certains vont se muer en joueur professionnel, mais c’est très rare.
Vous avez déjà, par le passé, parler d’aider ces jeunes avec un travail de fond et pas forcément psycho-thérapeutique…
Avec Justine Engels, psychanalyste, nous avons monté "L’Ecole des héros" pour aider ces jeunes en souffrance à reprendre pied. Il leur faut un projet de vie et une aide psycho-éducative. Nous allons proposer de les mettre au contact d’entreprises du numérique, un secteur qui leur convient. Mais il faut aussi préparer les parents à une déscolarisation possible, d’une non-réussite de leur enfant et leur expliquer qu'il peut s’épanouir différemment pour reprendre pied.
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