Vendre vos données personnelles pour vous rémunérer : la fausse bonne idée de l'application TaData ?

par Cédric INGRAND
Publié le 19 février 2020 à 16h38

Source : La Matinale LCI

TRÈS CHÈRES DONNÉES - Depuis quelques semaines, une application baptisée TaData promet aux 15-25 ans un revenu d'appoint, en échange de leurs données personnelles. Combien peuvent-ils espérer y gagner et est-ce bien légal au juste ? La Cnil a déjà été saisie.

"Tu vas peut-être trouver que nous avons une vision pessimiste (...) mais tes données sont déjà captées en permanence (...) autant qu'il s'agisse de données que tu auras choisies, et que leur utilisation te rapporte de l'argent !". En quelques lignes, TaData-France livre une analyse un peu sombre de la vie privée. Et un avis très cash.

Du cash, c'est justement ce que promet le site à une population de vieux ados et de jeunes adultes, le plus souvent lycéens ou étudiants, entre 15 et 25 ans. Sur TaData, on ne parle pas d'utilisateurs ou de clients, juste de "jeunes". Des jeunes invités à s'inscrire et à remplir des questionnaires sur leurs goûts, leur consommation, leurs projets. De quoi affiner leur profil publicitaire, qui sera ensuite proposé aux annonceurs. Le but : faire rentrer de l'argent dans les caisses de TaData, des sommes que le site partagera avec l'utilisateur, enfin, "le jeune".

Un espoir de revenus forcément limité

Combien peuvent espérer gagner ceux qui s'inscrivent ? Sans s'engager sur des montants précis - et sans expliquer comment s'effectue le partage avec ses utilisateurs - Tadata ne promet pas la fortune, plutôt de l'argent de poche, de quoi "mettre un peu de beurre dans les épinards". Quand il rentre dans les chiffres, Tadata évoque des montants très variables : "Tu pourrais tout aussi bien gagner 3€ par mois que 25 ou 30€ en fonction du type et du nombre d'annonceurs que tu auras intéressé."

Une estimation probablement optimiste, même à trois euros par mois. Et ce pour deux raisons. D'abord, si les 15-25 ans peuvent représenter une cible publicitaire intéressante à fidéliser pour certains annonceurs, ce n'est pas celle qui rapporte le plus, loin de là. Logique : ces jeunes consommateurs ont encore peu de revenus, une bonne part n'étant pas encore entrée dans la vie active. De quoi les reléguer loin derrière des cibles plus "payantes", comme les actifs entre 25 et 49 ans, et bien sûr les reines du shopping, les FRDA50, petit nom qui décrit affectueusement ces Femmes Responsables des Achats de moins de 50 ans, celles que l'on n'appelle plus les "ménagères".

L'autre repère qui fait douter des promesses - même modestes - de Tadata, c'est la comparaison avec les grandes plateformes, celles qui détiennent déjà une montagne de données de ciblage sur votre compte et sont devenues les plus grandes régies publicitaires au monde. De ce côté, les chiffres existent. Ainsi, en moyenne, pour chaque utilisateur de ses services en Europe, Facebook a gagné une douzaine d'euros au dernier trimestre 2019. Un chiffre d'affaires publicitaire qui recouvre tous les services de l'entreprise (Facebook, Messenger, Instagram, WhatsApp, etc.), et qui a doublé en quatre ans, même s'il reste trois fois inférieur au revenu moyen que représente un internaute nord-américain pour le site de Mark Zuckerberg.

En clair, sur les trois derniers mois de l'année dernière, vous avez rapporté quatre euros par mois à Facebook. Pourtant, le géant sait déjà tout de vos goûts, de vos achats, de vos amis et de vos déplacements. Et il peut mettre ces données au service des plus offrants de ses millions d'annonceurs. De quoi remettre en perspective les trois euros que promet TaData, qui ne peut prétendre à la même puissance de feu, côté business.

L'iSOC tique, la Cnil regarde, le RGPD en embuscade

Sans surprise, la démarche de TaData fait réagir. À Paris, l'Internet Society, qui milite pour la protection des données personnelles, a annoncé avoir saisi la Cnil, voyant en TaData un service qui vise "un public vulnérable" en prenant des libertés avec le RGPD, le règlement européen qui régit depuis deux ans l'usage de nos données personnelles. Principe central de ce dernier : pour autoriser le traitement et le partage de ses données, l'internaute doit donner un consentement "spécifique, éclairé, et univoque", des conditions que TaData ne remplirait pas. 

Chez TaData, on explique cependant prendre des précautions sur le type de données collectées. Au micro de LCI et de Benjamin Cruard, Laurent Pomies, cofondateur de l'entreprise, souligne ainsi refuser "d'aller sur de la donnée sensible : santé, orientation sexuelle ou religion." Des précautions louables, mais qui pourraient ne pas suffire face à la loi.

À l'Internet Society, ce n'est pas tant le cas TaData qui interpelle que la société qu'il dessinerait à terme. Ce que craint Nicolas, Chagny, son président, c'est de voir "(...) une augmentation de la fracture numérique. On pourrait se retrouver d'un côté avec des personnes aisées qui n'auraient pas besoin de vendre leurs données et dont la vie privée seraient garanties, et de l'autre côté, avec des personnes moins aisées qui vendraient leurs données pour gagner de l'argent." 

En fait, si rien ne permet de douter de la bonne foi des promoteurs de TaData, on peut leur reprocher certains raccourcis, des promesses brouillonnes et une dose d'amateurisme. Quand il promet aux internautes de reprendre "le contrôle de tes données", le site entretient la confusion. Lui vendre votre profil publicitaire ne fera rien pour le reste de vos données personnelles. Mieux encore, comme l'ont relevé nos confrères de L'Informaticien, si l'utilisateur est libre de se désinscrire à tout moment, ses données resteront à la disposition des annonceurs à qui elles ont été cédées. Dans le dernier paragraphe de sa Foire aux Questions, le site offre ses conseils sur "les bonnes pratiques à avoir sur internet", comme par exemple privilégier la navigation privée, "pour limiter l'enregistrement de tes données." Au moins, nos cow-boys de la pub ciblée ne manquent pas d'humour.


Cédric INGRAND

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