En 2021, 40 milliards de dollars ont été dépensés dans le monde pour acheter des NFT en ligne.Ces actes de propriété liés à des œuvres d'art numériques, des morceaux de musique ou encore des jeux s'acquièrent en cryptomonnaie.Un placement risqué qui attire les spéculateurs mais aussi les artistes, qui y voient une source de revenus et une nouvelle manière de diffuser leur production.
Pour acquérir un "NFT", la séance de shopping se fait en ligne. Mais à quoi cela ressemble-t-il ? Cet acte de propriété numérique peut se matérialiser sous la forme d'une vignette haute en couleurs, représentant des singes déguisés ou encore des personnages de science-fiction en modélisation 3D. Dans le reportage du 20H de TF1 en tête d'article, deux amis passent en revue sur leur ordinateur les images et jettent leur dévolu sur une sorte de guerrière à la peau bleue et aux yeux vert fluo, coiffée d'une auréole de néons, le tout pour la modique somme de 750 euros.
"Ce que je viens d'acheter, c'est un certificat d'authenticité, ou plutôt un acte de propriété, qui permet de signaler qu'à telle heure et à telle date j'ai acheté ce certificat qui est relié à cette image", explique Axel, rédacteur en chef du site Coinacademy.fr, site spécialisé dans la crypto-monnaie. Cet acte de propriété s'acquiert uniquement en ligne, mais est renseigné dans une sorte de grand livre de comptes public.
Un NFT est un "Non Fungible Token", un jeton non fongible, ce qui signifie qu'il est impossible de l'interchanger avec un autre type de jeton. Chaque image achetée est enregistrée dans une "blockchain", littéralement une chaîne de blocs, une base de données informatique qui garde la trace des achats sur Internet en les cryptant pour les sécuriser : un jeton atteste de la validité d'une transaction et est donc infalsifiable. Ces transactions se font par la cryptomonnaie, une monnaie virtuelle créée par des internautes à partir d'un algorithme.
"On peut multiplier la mise par 500, mais aussi par zéro et tout perdre"
On peut pourtant retrouver sur Internet les vignettes achetées en NFT, les utiliser et les partager, dont celle d'Axel et de son ami. "Vous pouvez effectivement faire ce que vous voulez avec cette image que vous venez de récupérer, mais c'est comme si vous preniez une photo de la Joconde : vous pourriez l'imprimer et la partager, mais cela ne changera pas le propriétaire réel de la Joconde", répond le spécialiste. En bref, vous pouvez manipuler l'image mais ne possédez pas les droits sur l'original.
Et seul le propriétaire d'une œuvre d'art numérique peut la revendre, à défaut de pouvoir l'afficher dans son salon. C'est pour cette promesse de possibles bénéfices qu'Alex est prêt à dépenser autant. "J'ai déjà gagné 500 fois ma mise, pour les plus gros multiplicateurs", raconte le jeune homme. "Mais si on peut multiplier par 500, il faut aussi imaginer qu'on peut multiplier par zéro et tout perdre, ça marche dans les deux sens", met-il en garde.
Le ministère de l'Économie soulève ainsi sur son site un risque de bulle spéculative, signalant que "le cours des crypto-monnaies est très volatil et expose les acheteurs à des pertes financières potentiellement très importantes". L'investissement dans cette monnaie virtuelle est aussi risquée face à la menace de nombreux escrocs et de piratages informatiques, d'autant que les cryptomonnaies n'ont pour l'heure aucun statut légal et restent peu encadrées par les pouvoirs publics, ajoute Bercy.
Malgré ces risques, le marché des NFT, bien qu'encore très jeune, engrange des plus-values et des ventes record. D’après une étude Chainalysis relayée par le Financial Times, il grimpait à 40 milliards de dollars en 2021. En guise d'exemple, un collage de milliers de photos a été mis en vente pour 60 millions d'euros. On trouve également des vidéos, de la musique et même le premier SMS de l'histoire vendu récemment aux enchères pour 107.000 euros. Mais aussi des incontournables de la culture Internet, comme Nyan Cat, un mème iconique représentant un chat qui cavale en dessinant dans son sillage un arc-en-ciel - quelques secondes de vidéo parties pour 580.000 dollars.
Des cartes Panini aux NFT de joueurs de foot
Les NFT pourraient donc moderniser le vieux concept de la collection - la spéculation en plus. C'est en tout cas sur cette appétence que mise une start-up parisienne, située à deux pas de la Seine. Nicolas Julia, fondateur de Sorare, a misé sur les vignettes de joueurs de football à collectionner. "C'est quelque chose que je fais depuis que je suis petit, et je crois qu'en tant qu'être humain on collectionne tous quelque chose", glisse-t-il. "Quand j'ai vu cette nouvelle technologie des NFT arriver, je me suis dit qu'il était alors possible de continuer à le faire, mais dans le monde digital."
Son idée a beaucoup plu aux investisseurs : pour acheter l'image des joueurs aux clubs de foot et créer des cartes NFT, l'entrepreneur a levé 680 millions d'euros, un record en Europe. La start-up vend désormais ces vignettes sur son site internet, que l'on peut collectionner mais avec lesquelles on peut aussi jouer, en sélectionnant une équipe de cinq joueurs. Si dans la vraie vie, le footballeur fait un bon match, la valeur du certificat numérique de sa carte augmente.
"Notre objectif est de toucher des dizaines de millions de fans, et donc de créer des NFT disponibles à toutes les valeurs : certains partent pour quelques euros, d'autres pour beaucoup d'argent", assure Nicolas Julia, dont l'entreprise a déjà convaincu 60.000 joueurs, rapporte Libération. Si vous misez donc à bas prix sur un jeune joueur, à partir d'une dizaine d'euros, vous pouvez espérer revendre votre NFT beaucoup plus s'il devient une star - jusqu'à près de 610.000 euros, un prix de vente record pour la carte d'Erling Haaland, un attaquant norvégien.
Des artistes commencent à se prendre au jeu
Certains artistes tentent même de s'approprier le phénomène, en vendant eux-mêmes leur image pour engranger des revenus et souder le lien avec leurs fans. Parmi eux Sofiane Pamart, un pianiste au succès fulgurant, adulé des rappeurs. Avant la sortie de son deuxième opus solo, l'artiste a lancé une collection à son effigie, en glissant des bonus bien réels au-delà des vignettes virtuelles. "Ceux qui possèdent un NFT auront accès à un moment d'écoute avant tout le monde de cet album", explique le musicien. Pour son prochain concert, il compte aussi "permettre aux titulaires de NFT d'accéder à la répétition du show".
Une stratégie pensée aux côtés d'un entrepreneur à succès, l'un de ceux qui pensent que les NFT ont tout autant de retentissement que l'arrivée du CD ou du streaming. "Si vous êtes motivé, prêt à investir et donner des moyens à un artiste, on vous donne le droit d'entrer dans son intimité comme personne, et ça, c'est vraiment nouveau et révolutionnaire", assure Oussama Ammar. Pour Sofiane Pamart en tout cas, la mise semble rapporter gros. Ses 2000 NFT se sont tous vendus et lui ont rapporté plus de deux millions d'euros.