Ficher les mauvais payeurs ? "Une démarche scandaleuse" pour une association de défense des locataires

Publié le 17 janvier 2020 à 18h05

Source : TF1 Info

INTERVIEW - La Fnaim souhaite créer un fichier des locataires mauvais payeurs. Une manière pour les agences immobilières d'écarter les candidats risquant de ne pas payer leur loyer. Un "scandale" qui impliquerait "une discrimination et une stigmatisation" pour les associations de défense des particuliers jointes par LCI.

Le projet suscite une levée de boucliers. La Fédération nationale de l'Immobilier (Fnaim) a annoncé mercredi 15 janvier son intention de créer un fichier des accidents de paiement des locataires. Des associations de défense des particuliers y sont vivement opposées. C'est notamment le cas de Consommation logement cadre de vie (CLCV). Afin de comprendre ce qui coince à ses yeux, nous avons sollicité l'éclairage d'un de ses juristes. 

LCI : Que contiendrait ce fichier qui fait déjà polémique ?

David Rodrigues, juriste à la CLCV : Selon ce que le président de la Fnaim en a dit, ce serait un fichier des incidents de paiement des locataires qui ne paient pas leur loyer pendant plus de trois mois. Il serait tenu exclusivement par les agences immobilières [et uniquement consultable par les professionnels : ndlr]. Les incidents de paiement seraient consignés quelle que soit leur origine. Il appartiendrait au bailleur d'appeler le locataire pour connaitre l'origine de l'impayé.

Pourquoi pose-t-il problème à vos yeux ?

Cette démarche serait scandaleuse car le fichier impliquerait une discrimination appliquée d'office, on stigmatiserait systématiquement. Pire, on se doute qu'il y aurait un risque de chantage : certains agents immobiliers ne se gêneraient pas de mentionner ce fichier au moindre retard. On peut aussi s'interroger, en allant jusqu'au bout de la démarche, sur ce qui se passerait si l'agence ne supprimait pas un locataire de ce fichier alors qu'il aurait régularisé ses paiements ou si le fichier était mal renseigné : si le locataire rencontrait une dif ficulté pour trouver une location derrière, serait-ce alors de la responsabilité de l'agence ?  Comment le démontrer ? Il est scandaleux de rejeter systématiquement la faute sur le dos du locataire.

Si un fichage des locataires était créé, il faudrait alors également un fichage des bailleurs et des agences immobilières
David Rodrigues, juriste à la CLCV joint par LCI

Pourriez-vous illustrer vos propos avec un exemple d'impayé difficilement imputable au locataire ?

Oui, prenons l'exemple de la minoration des provisions pour charge, pratique courante chez les professionnels de l'immobilier. Cela consiste à annoncer un montant de provisions pour charges assez faible (50 euros par exemple) afin de présenter une enveloppe globale "loyer + charges" financièrement attractive.  Lorsque le bailleur va régulariser, parfois seulement au bout de la deuxième année, les charges vont passer à leur montant réel (110 euros par exemple). Un rattrapage rétroactif sur les deux ans va alors être demandé. Or non seulement le bailleur n'a pas respecté la loi qui impose une régularisation annuelle ; mais  il demande aussi une somme importante à son locataire. Si ce dernier est en difficulté financière, il ne va pas pouvoir payer. Et, en fin de compte, c'est le locataire qui se retrouvera donc dans le fichier Fnaim !

Si ce fichier voyait réellement le jour, comment rééquilibrer, selon vous, le rapport de force ?

Nous ne voulons pas du tout de fichage à la CLCV : nous ne voulons ficher ni les bailleurs, ni les locataires, ni les agences immobilières. Mais si, malgré nous, un fichage des locataires était créé, il faudrait alors également un fichage des bailleurs et des agences immobilières. Soit on en crée un pour tous, soit pour personne. Je suis persuadé, par exemple , que les bailleurs qui n'ont pas rendu aux locataires leurs dépôts de garantie dans les temps seront ravis de figurer sur un fichier !

Rappelons en effet qu'il n'existe pas de fichier des agences immobilières. Pourtant, quand certaines s'amusaient à facturer la quittance, l'état des lieux ou encore les frais de renouvellement de contrat, on aurait eu de quoi le remplir.  Certains litiges résultent de problèmes de compétence des professionnels. Ce n'est pas pour rien que la loi Alur a institué une obligation de formation continue et la mise en place d'une commission de discipline... qu'on attend toujours depuis cinq ans !


Laurence VALDÉS

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