ENQUÊTE - "Pas de CDI, pas de logement" : face aux difficultés à louer, les faux dossiers se multiplient

par L.T. | Reportage TF1 : Maureen Alibert, Caroline Blanquart, William Wuillemin
Publié le 3 mars 2023 à 13h51

Source : JT 20h Semaine

De plus en plus de candidats à la location n’hésitent pas à falsifier leur dossier pour trouver un logement.
Une pratique qui connaît une forte augmentation depuis quelques mois.
Pour tenter d'endiguer le phénomène, une startup a développé un logiciel permettant de détecter les documents frauduleux.

Elle cherche un appartement à louer depuis presque un an. Désespérée par les nombreux refus, cette mère de famille interrogée par le 20H de TF1 a fini par prendre une décision radicale : fabriquer de fausses fiches de paie pour elle et son mari. La pratique est illégale, elle le sait, mais c’était à ses yeux la seule solution. "En un an, j’ai eu entre 60 et 100 refus. Quand j’ai eu un refus d’une maison pour laquelle j’ai eu un coup de cœur, je me suis dit qu’elles allaient toutes me passer sous le nez… Ce n’est pas possible. J’ai pris tous nos anciens contrats de travail et fiches de paie et j’ai tout remodifié avec les bonnes dates", explique-t-elle dans le reportage visible en tête de cet article.

Elle est en congé parental. Son mari est chauffagiste à son compte. À eux deux, ils gagnent en moyenne 10.000 euros par mois. Des revenus irréguliers mais très confortables. "L’agent immobilier m’a clairement dit : ‘Madame, on préfère avoir deux Smic et deux CDI que votre propre situation’. Ils ne veulent rien savoir… Pas de CDI, pas de logement", se désole-t-elle. 

Comme elle, de plus en plus de candidats n’hésitent pas à falsifier leurs documents pour trouver un logement. C’est un sur dix en moyenne et le double dans les zones où le marché locatif est sous tension, comme en Corse, en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, en Occitanie, dans les Hauts-de-France ou encore en Ile-de-France. 

Un phénomène en hausse de 30% en un an

À Paris, Arnaud Hacquart, agent immobilier, reçoit chaque jour une vingtaine de dossiers frauduleux. Ce jour-là, il nous donne rendez-vous à la fin d’une de ses visites pour nous montrer les exemples les plus fréquents. "Quelqu’un qui a modifié sa fiche de paie, sauf que le problème, c’est qu’il nous a mis du 1er février au 31 février et le 31 février, a priori, ça n’existe pas. Deuxième exemple, un net à payer à 1900 avec un brut à 2300, donc ça semble cohérent mais il a juste oublié d’aller modifier le brut qui se trouve à gauche et qui est la base de toutes les cotisations."

La pratique est en nette augmentation avec +30% en un an. Mais le profil des fraudeurs a changé. La plupart n’ont pas de CDI. Ils sont autoentrepreneurs, expatriés ou encore travailleurs intérimaires. "Tous ces nouveaux profils qui souvent sont hyper solvables, même beaucoup plus que des gens en CDI, se retrouvent écartés et donc malheureusement, au bout d’un moment, s’inventent peut-être une nouvelle vie, mais sans derrière avoir la volonté d’aller escroquer le propriétaire mais plus d’avoir la volonté de passer au-dessus de la pile", poursuit Arnaud Hacquart. 

Comment l’expliquer alors ? Tout simplement par une concurrence sans précédent entre les locataires. En ce moment, peu de crédits immobiliers sont accordés. Les projets d’achat sont retardés et les candidats à la location plus nombreux. Ensuite, depuis le début de l’année, les passoires thermiques sont interdites à la location. Les biens disponibles sont donc de plus en plus rare. 

Le numérique à la rescousse

Se procurer de faux papiers est aussi devenu beaucoup plus simple. En quelques clics, il est possible de se procurer de fausses fiches de paie, mais aussi un faux contrat de travail. Le tout pour 39,90 euros. Un autre site va encore plus loin. Pour 180 euros, il vous propose un dossier de location clé en main. Ces fraudes sont difficilement détectables. 

Et le phénomène est tel que certaines agences immobilières font même appel à des prestataires spécialisés. À Lille, la startup Meelo a développé un logiciel capable de repérer les dossiers frauduleux. Pour faire le test, nous sommes venus avec deux dossiers de location dont un conforme et l’autre falsifié. Il suffit alors de les numériser. Le résultat arrive moins d’une minute plus tard. "J’ai trouvé le faux dossier", assure l'employé chargé des vérifications. "C’est l’ensemble des éléments graphiques de la carte d’identité qui ne sont pas bons donc on suspecte une falsification et la fiche de paie vient corroborer ça puisqu’on voit qu’il y a un risque élevé de fraude à 94%. Il y a une détection d’un logiciel Photoshop qui a servi à augmenter le net à payer avant impôt sur le revenu. Le dossier va être remonté aux agences immobilières comme étant potentiellement frauduleux." 

Le logiciel coûte 500 euros par mois. Un montant élevé qui peut se révéler rentable au vu du nombre de fraudes repérées. "On a à peu près 50% des dossiers pour lesquels il y a au moins un justificatif qui est frauduleux. Et globalement, ce chiffre a tendance à croitre aussi bien en nombre de dossiers traités qu’en nombre de pièces frauduleuses", affirme Laurent Kocinski, fondateur de Meelo. 

Fabriquer un faux dossier de location est passible de trois ans de prison et 45.000 euros d’amende. 


L.T. | Reportage TF1 : Maureen Alibert, Caroline Blanquart, William Wuillemin

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