CONFLIT - Appui de Washington, mises en garde dispersées venues d'Europe, tractations de dernière minute... Le projet d'annexion de la Cisjordanie par Israël est un dossier aussi chaud que compliqué. On fait le point pour y voir plus clair.
C'est un conflit devenu toile de fond de l'actualité. Et pourtant, il connaît en ce moment un tournant crucial. Alors que l'accord de gouvernement d'union signé ce printemps prévoyait qu'Israël se prononce ce 1er juillet sur la mise en oeuvre du "plan de paix", qui prévoit, entre autres, l'annexion d'une partie de la Cisjordanie, cette annonce se fait attendre. Entre les tractations de dernière minute et le désaccord de plusieurs Etats et instances internationales, la mise en place de ce projet proposé par Donald Trump prend du retard. Et pendant ce temps, la colère des Palestiniens monte, poussant les deux partis ennemis à s'allier après dix ans de conflit.
Que contient le projet?
Pour tout comprendre sur ce dossier crucial, il faut au moins remonter au 28 janvier dernier. Le président américain, accompagné du chef de gouvernement israélien, dévoile alors son idée pour venir à bout du conflit israélo-palestinien. Baptisé "plan de paix pour le Proche-Orient", il est supposé être la seule "solution réaliste", pour reprendre les mots de Donald Trump. Il part de la situation sur le terrain et non - comme c'était le cas jusqu'à présent - du droit international et des résolutions de l'ONU. Il prévoit donc l'annexion par Israël d'une partie de la Cisjordanie, territoire palestinien occupé par l'Etat hébreu depuis 1967. Dans ces colonies, la population a plus que triplé depuis les années 90, pour dépasser aujourd'hui les 450.000 Israéliens. Plus de 2,8 millions de Palestiniens y vivent. Cette "Vision", comme la décrivait alors le locataire de la Maison blanche, prévoit également la création d'un Etat palestinien démilitarisé divisé en mosaïque dans la région. Et sans Jérusalem-Est pour capitale.
This is what a future State of Palestine can look like, with a capital in parts of East Jerusalem. pic.twitter.com/39vw3pPrAL — Donald J. Trump (@realDonaldTrump) January 28, 2020
Si le projet existe sur le papier, reste à le réaliser. Le Premier ministre devait pour ce faire préciser ce 1er juillet quelle solution il préconiserait. Soit il optera pour une approche maximaliste - avec le rattachement à Israël de la vallée du Jourdain et d'une centaine de colonies - soit il choisira une approche minimaliste en visant une poignée de colonies. Il pourrait également reporter son projet, selon les observateurs. Seulement, la fenêtre de tir dont il bénéficie pourrait bientôt se refermer. Car Benjamin Netanyahu a besoin de l'appui américain pour lancer ce projet. Une victoire en novembre à la présidentielle américaine du démocrate Joe Biden, hostile à l'annexion, pourrait y mettre fin.
Pourquoi ça cloche?
Si Benjamin Netanyahu avait décrit le programme de son proche allié comme une "opportunité historique", il tarde à l'enclencher. A la place, le Premier ministre multiplie les consultations avec des responsables américains. Cette semaine, il a rencontré à Jérusalem Avi Berkowitz et David Friedman. Respectivement le conseiller spécial de Donald Trump et l'ambassadeur américain en Israël. Et il semblerait qu'une partie de ces débats portent sur "des gestes envers les Palestiniens", comme l'a expliqué à l'AFP Daniel Shapiro. Selon l'ancien ambassadeur en Israël, il pourrait y avoir des "tensions entre Netanyahu et la Maison Blanche sur ce sujet".
Des tensions qu'on retrouve dans le propre camp israélien, où ce projet divise. Le ministre de la Défense, Benny Gantz, a en effet déclaré publiquement qu'il fallait attendre la fin de la pandémie avant toute annexion. De fait, après être arrivé à juguler le Covid-19, le pays enregistre actuellement des centaines de cas quotidiennement, avec une hausse observée en Cisjordanie. "Tout ce qui n'est pas lié à la bataille contre le coronavirus attendra jusqu'après le virus", a-t-il affirmé lors d'une réunion télévisée avec des membres de son parti Bleu-Blanc (centre). Son bureau précisant par la suite qu'il faisait bien référence au plan d'annexion. Des paroles qui ne sont pas à prendre à la légère. Ce rival de Benjamin Netanyahu, avec qui il a formé un gouvernement de coalition, dispose d'un droit de veto, sauf si le Parlement fait une proposition de loi. A ce jour, nul ne sait donc si le plan pourra réellement être appliqué.
Une situation très embarrassante pour le Premier ministre, à cause de sa base électorale qui "souhaite une annexion encore plus vaste", comme l'a souligné Daniel Shapiro. "Avec moins de coordination avec les autres acteurs concernés, le plus tôt possible et sans donner quoi que ce soit aux Palestiniens."
Que disent les Palestiniens?
Au-delà de l'impatience de base électorale et du vote américain, le temps presse pour l'Etat hébreu. Car les Palestiniens, qui rejettent évidemment en bloc ce projet, s'organisent. Accusant un plan qui fait voler en éclats les accords d'Oslo prévoyant une solution "à deux Etats", les Palestiniens se sont d'abord dits prêts à relancer des négociations avec les Israéliens. Mais pas sur les bases du plan américain. "Nous n'allons pas nous asseoir à une table de négociations où sont proposés l'annexion ou le plan Trump car il ne s'agit pas là d'un plan de paix, mais d'un projet pour légitimer l'occupation" israélienne, a déclaré à l'AFP le négociateur des Palestiniens, Saëb Erakat.
Mais depuis quelques jours, la discussion n'est plus le mot d'ordre. La tension se fait plus forte, avec une série de manifestations. Dans l'enclave de Gaza, des milliers de Palestiniens ont manifesté ce mercredi 1er juillet, tandis que de plus petits rassemblements ont eu lieu à Ramallah, en Cisjordanie, et Jéricho, plus grande ville palestinienne dans la vallée du Jourdain, où d'anciens députés et ministres israéliens se sont joints à des dizaines d'habitants.
Plus surprenant encore - et inquiétant pour le camp hébreu - les deux principaux mouvements palestiniens, le Fatah laïc et le Hamas islamiste, se sont alliés dans ce combat. Une première depuis 2007. Ces frères ennemis se sont engagés ce jeudi 2 juillet à s'exprimer "d'une seule et même voix" contre le "plan de paix". Lors d'une rare conférence de presse commune, ils ont assuré vouloir ouvrir "une nouvelle page" afin de "mettre en place tous les mécanismes pour assurer l'unité nationale", pour reprendre les mots du secrétaire général du Fatah, Jibril Rajoub. Preuve, s'il en fallait une, que les deux formations considèrent que le projet d'annexion est "très dangereux et "assez important pour mettre de côté leurs différences", comme l'a souligné auprès de l'AFP l'analyste Ghassan al-Khatib.
Quelles réactions à l'international?
Si les Etats-Unis, passés de "médiateur impartial"dans le conflit israélo-palestinien à soutien aveugle sont en négociation avec Israël, ils sont bien les seuls. Ce plan suscite en effet de vives critiques, et en tout premier lieu de l'ONU. La Haut-Commissaire aux droits de l'Homme a dénoncé ce plan lundi, avertissant que ses "ondes de choc dureront des décennies". "L'annexion est illégale. Point final", a affirmé Michelle Bachelet dans une déclaration écrite, précisant qu'il s'agissait de toute forme d'annexion, "qu'il s'agisse de 30% de la Cisjordanie ou de 5%". "Je demande instamment à Israël d'écouter ses propres anciens hauts fonctionnaires et généraux, ainsi que les nombreuses voix dans le monde, l'avertissant de ne pas poursuivre sur cette voie dangereuse."
Une menace pour la paix qu'a aussi relevée Berlin. Les députés allemands ont estimé dans une résolution qu'une annexion faisait "courir le risque d'une nouvelle déstabilisation de la région" et ont enjoint Israël d'abandonner ce plan "urgemment". Du côté de Londres aussi, on exhorte les israéliens à annuler le projet. Le Premier ministre britannique, que Benjamin Netanyahu qualifiait pourtant "d'ami" il y a quelques mois, s'est invité ce mercredi en Une du quotidien local Yediot Aharonot pour partager sa crainte pour le processus de paix. "Je suis un défenseur passionné d'Israël" mais "j'espère profondément que l'annexion n'ira pas de l'avant", écrit-il.
L'Union européenne a, pour sa part, lancé une offensive diplomatique pour tenter d'empêcher Israël de poursuivre son annexion. Une prise de position qui laisse craindre des sanctions européennes? Rien de moins sûr. Si l'UE, premier partenaire économique de l'Etat hébreu, détient un énorme pouvoir de dissuasion, elle ne semble pas en mesure de le menacer de sanctions. De telles mesures exige en effet l'unanimité des Etats membres, or deux pays - à savoir l'Autriche et la Hongrie - ont déjà partagé leur refus de voter une telle résolution. Divisée, l'UE pourrait plutôt sanctionner des programmes de coopération spécifique, qui n'exigent pas l'unanimité des membres, ou voir des pays membres mener une action "coordonnée", comme proposé par Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères.
Toujours est-il que la région est, en ce moment même, à un croisement sensible. Après avoir annexé Jérusalem-Est en 1967, puis le plateau syrien du Golan en 1981, Israël écrira-t-elle en 2020 une nouvelle page de son histoire ? Seule l'histoire le dira.
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