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60 centimes le litre de carburant en Russie : que vaut cet argument qui moque (à nouveau) les sanctions européennes ?

Publié le 19 octobre 2022 à 19h11

Source : JT 20h WE

En Russie, le litre d'essence oscille autour des 60 centimes d'euros, assure dans une vidéo un militant pro-russe français, preuve selon lui de l'inefficacité des sanctions prises par l'UE.
Un twitcher qui brûlait son gaz en continu soutenait la même théorie.
Si les carburants sont en effet très peu chers en Russie, plusieurs éléments trompeurs sont à souligner dans cette séquence.

Tournée par un Français, une vidéo diffusée en ce début de semaine sur Twitter prétend montrer les prix des carburants à la pompe dans une station de Moscou, située en bord d'autoroute et "parmi les plus chères de la ville". L'auteur de cette séquence, qui s'inscrit dans la lignée de cet internaute russe qui se filmait en brûlant du gaz 24h sur 24h pour narguer les Européens, filme les prix et constate que l'essence et le diesel sont proposés entre 50 et 54 roubles aux automobilistes, soit "environ 70 centimes d'euros".

Le message qui accompagne ces images moque ouvertement les mesures prises en Europe à l'encontre de Moscou : "0,60 € le litre en Russie !!!! Ça continue de baisser ! Plus il y aura de sanctions contre la Russie ! Plus la Russie gagnera de l’argent !! Pendant que vous en France tout augmente, la population s’appauvrit." Un discours de propagande trompeur, entre confusions sur le taux de change et analyse biaisée de la situation économique en Russie.

Le carburant est-il aussi abordable en Russie ?

En tant que pays producteur d'hydrocarbures, il ne paraît pas forcément surprenant d'imaginer que les prix à la pompe soient plus réduits qu'en France. Un rapide passage sur des comparateurs russes permet d'ailleurs de confirmer en partie les informations relayées dans la vidéo. L'essence ou le gazole sont bel et bien proposés à moins de 55 roubles. On observe d'ailleurs une relative stabilité des prix dans le temps à travers le pays puisque seules de très légères variations ont-été enregistrées depuis le début de l'année 2022.

Si les montants en roubles présentés dans la séquence sont donc conformes, il est en revanche trompeur d'expliquer que cela correspondrait à seulement 60 ou 70 centimes du litre. En cette mi-octobre, un euro s'échange contre 60,4 roubles : cela signifie qu'un litre de carburant payé entre 50 et 54 roubles serait acheté entre 0,83 et 0,89 euro. Cela reste faible par rapport aux prix dans l'Hexagone, mais tout de même plus élevé que ce qui est ici décrit.

Qui est l'auteur de cette vidéo, et est-il fiable ?

L'homme qui se filme et parle dans un français impeccable n'est pas russe. Il ne s'agit pas non plus d'un parfait anonyme puisqu'il s'agit d'Adrien Bocquet, un ancien militaire français devenu propagandiste pro-russe. Au cours des derniers mois, il a créé la polémique en dénonçant des exactions qui auraient été commises par des militaires ukrainiens d’Azov. Des scènes qu'il assure avoir observées en personne, mais qui ont été rapidement contestées. 

Plus récemment, c'est en tant que collaborateur du "Tribunal public international pour l’Ukraine" qu'Adrien Bocquet s'est fait remarquer. Cette instance fondée par les autorités russes peu après le déclenchement du conflit en Ukraine a pour mission de "collecter des données et prouver la commission de crimes de guerre par le régime de Kiev". Le Français, nous apprend une enquête de Mediapart, est devenu un personnage invité dans les médias russes. Il y a notamment été présenté comme un "journaliste" qui "recueille des preuves" à destination de ce "tribunal". Notons que le trentenaire n'a jamais collaboré pour un média. Les multiples mensonges mis au jour par les médias français qui se sont penché sur son parcours incitent par ailleurs à prendre avec des pincettes les éléments qu'il avance lors de ses interventions, y compris ceux ayant trait à sa biographie.

Des sanctions inefficaces et qui enrichissent la Russie ?

Si le message relayé dans sa vidéo par Adrien Bocquet n'est que partiellement juste au sujet des prix du carburant, il faut également tempérer très largement son analyse des sanctions et de leur impact réel sur l'économie russe. Tout d'abord, il faut souligner que durant les derniers mois, la Russie a effectué d'importants profits liés à la vente des hydrocarbures. Il y a quelques semaines, le spécialiste des questions énergétiques et professeur à Sciences Po Thierry Bros faisait remarquer que le pétrole est "un combustible fongible", et que naturellement, "ce qui ne va plus à l’Ouest va à l’Est". Dans le même temps, le professeur d’économie à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) Julien Vercueil tempérait auprès de TF1info le lien entre hausse des prix et des hydrocarbures et sanctions de l'UE. "Cela est contredit par la dynamique des prix, qui montent depuis 2020", notait-il.

Dans le même temps, l'expert de l'Inalco invitait à sortir d'une réflexion court-termiste. Sur une échelle de temps plus longue, "les effets du quasi-arrêt des ventes, depuis juillet, à l'Europe seront brutaux sur les revenus de Gazprom et sur le budget de l'État", prédisait-il. "Bien que la Russie profite temporairement de la hausse des prix de l’énergie, les sanctions européennes frappent durement son économie et les États européens sont plus près que jamais de s’affranchir de toute importation d’hydrocarbures russes", argue pour sa part la Commission européenne. L'​embargo de l'UE sur le pétrole russe doit en effet entrer en vigueur fin 2022. 

Cette dernière incite aussi à se pencher sur l'économie russe dans sa globalité pour juger de l'efficacité des mesures visant Moscou : "selon la Banque mondiale", glisse-t-elle, "la baisse du PIB russe devrait être supérieure à 11% en 2022, avec peu de possibilités de reprise au cours des 2 prochaines années. Selon les estimations du gouvernement allemand, cette baisse pourrait même atteindre 15%." Les Vérificateurs, ces dernières semaines, montraient par exemple que les produit alimentaires étaient loin d'être épargnés par les hausses de prix et que l'inflation était facile à constater dans les rayons. 

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Thomas DESZPOT

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