DROITS DES FEMMES - En Argentine, les sénateurs ont finalement décidé, dans la nuit du mercredi au jeudi 9 août, de ne pas légaliser l'avortement. Celui-ci reste donc uniquement autorisé en cas de viol, de danger pour la santé ou de fœtus non viable. Mais les militantes pro-choix ne baissent pas les bras, loin de là. Magui Lopez, l'une d'entre elles, nous raconte.
Elles ont perdu une bataille, mais pas la guerre. Malgré l’immense déception qui a accompagné la décision des sénateurs argentins, jeudi 9 août, de refuser de légaliser l’avortement, les militantes pro-choix gardent espoir. Car pour la première fois dans ce pays d’Amérique du Sud, la loi de 1921, qui autorise les femmes à avorter sous trois conditions uniquement (en cas de viol, de danger pour la santé ou de fœtus non viable) a vu ses bases catholiques et conservatrices vaciller.
Magui Lopez, militante féministe en Argentine, a passé la journée cruciale qui a précédé le vote dans la rue, au cœur de la marée verte réunie devant le Congrès. De l’autre côté de la rue, les anti-choix avaient eux aussi fait le déplacement, répondant à l’appel d’une Eglise très influente dans le pays du Pape. Vers 2h30 du matin, le verdict est tombé. Contrairement à la chambre des députés, les sénateurs ont opté pour le statu-quo. Magui n’a pas été étonnée. "Nous avions créé un système pour comptabiliser la position de chaque sénateur et nous étions parvenus à ce résultat. Donc, il n’y avait pas vraiment de surprise", dit-elle à LCI.
Un moment historique... même si on a perdu
Magui Lopez
Elle estime même que derrière cet échec, se trouve une petite victoire. "A l’annonce du résultat, beaucoup de gens pleuraient. Mais à mon sens, c’était déjà très important d’avoir réussi à convaincre les députés et d’avoir obtenu trente-et-une voix chez les sénateurs. Cela faisait douze ans que la campagne pour le libre accès à l’avortement essayait de faire entrer cette loi dans les débats, douze ans qu’elle échouait. Ce qu’on a vécu, c’est un moment historique… même si on a perdu."
Mais l’espoir de Magui est teinté de peur. Car le débat a ravivé un peu plus les positions très conservatrices d'une importante frange de la population. "Ce que j’ai trouvé le plus déprimant, ce sont les choses sordides et horribles que certains sénateurs ont pu dire à propos des femmes. Ce manque de respect est très choquant. Et puis les anti-choix et les religieux ont profité de ce débat pour remettre en cause les trois conditions qui permettent aujourd’hui à une femme d’avorter dans notre pays, pour nous forcer à garder l’enfant dans tous les cas. Maintenant qu’ils ont gagné, ils vont se sentir encore plus puissants. J’ai très peur qu’ils essaient de détruire d’autres droits des femmes."
Pour avorter : des queues de persil et des aiguilles à tricoter
Des droits qui sont déjà, dans ce pays, largement grignotés. Magui n’a pas eu elle-même recours à un avortement clandestin, mais elle en connaît la violence de très près. "J’ai accompagné de nombreuses femmes et amies se faire avorter, même si c’est interdit. Je dirais au moins une trentaine" raconte-t-elle. "Aucune n’en est morte, mais beaucoup ont subi des complications. Les femmes pauvres utilisent pour avorter des queues de persil, des cathéters, des cintres comme ceux que vous avez dans votre penderie, ou des aiguilles à tricoter (autant d’objets insérés par le col de l’utérus, ndlr). J’ai travaillé dans des quartiers pauvres, donc j’ai accompagné beaucoup de femmes qui avaient recours à ce genre de méthodes. Et puis ce qui est horrible, aussi, c’est qu’en cas de complication, si les femmes vont voir un médecin, celui-ci est obligé de prévenir la police. Donc elles se retrouvent à lutter pour leur vie tout en étant menacées d’aller en prison."
Impossible donc, de remiser au placard cette lutte pour un accès gratuit et sûr à l’avortement. Elle est au contraire plus d’actualité que jamais, selon Magui. "Nous allons attendre que la loi soit de nouveau débattue. Alors nous rendrons notre mobilisation encore plus visible et nous continuerons à demander la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il faut qu’on soit prêtes à retourner dans la rue. En attendant, moi, comme tous les jours, je porte mon foulard vert autour du cou."