DOMMAGE COLLATÉRAL - La décision de l'Australie de rompre le contrat passé avec la France pour l'achat de sous-marins a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Pour autant, elle avait déjà été évoquée par Canberra, et est tout sauf irrationnelle. LCI résume ici les dessous de la décision australienne en 3 points.
Les mots choisis par le ministre des Affaires français sont fort peu diplomatiques : "C'est vraiment, en bon français, un coup dans le dos", s'était écrié Jean-Yves Le Drian, après l'annonce de la rupture du faramineux contrat de vente de sous-marins à l'Australie - qu'il avait lui-même négocié alors qu'il était encore ministre de la Défense sous François Hollande. Pourtant, les signes d'un possible revirement australien existaient, et il est difficile de croire que Paris ait pu les ignorer. Surtout, ce que le Premier ministre australien a annoncé, avec son homologue britannique et le président américain, c'est un vaste accord stratégique dont l'achat des sous-marins aux États-Unis n'est qu'une des facettes. Et ce choix stratégique pour la zone indo-pacifique, face à un géant chinois de plus en plus menaçant, peut aider à comprendre un point de vue australien qui n'a rien d'irrationnel.
Une décision surprise... pas si inattendue ?
Si le camp français assure n'avoir appris qu'à la dernière minute l'accord entre Canberra, Washington et Londres, le chef de la diplomatie américaine affirme l'inverse : "Nous avons été en contact avec nos homologues français au cours des dernières 24 à 48 heures (...), y compris avant l'annonce", a assuré Antony Blinken. Le Premier ministre australien fait remonter à encore plus loin les informations partagées avec les Français. Scott Morrison explique ainsi à une radio australienne : "Lorsque j'ai rencontré le président (français, NDLR) à la fin du mois de juin, je lui ai clairement fait part (...) de nos inquiétudes concernant la capacité des sous-marins conventionnels à faire face au nouvel environnement stratégique". Selon lui, Emmanuel Macron lui aurait même répondu que "c'était une question sur laquelle l'Australie devait se décider en prenant compte son intérêt national".
Les 18 mois de négociations nécessaires pour mettre en place le partenariat stratégique AUKUS (entre Australie, Royaume-Uni et États-Unis, dont le sigle rassemble les initiales, NDLR), rendent également difficile d'imaginer que la France l'ignorait complètement - sauf à reconnaître une défaillance majeure des services de renseignement.
Un choix stratégique face à la Chine
Vue de France, et telle que rapportée par le gouvernement, cette rupture de contrat ressemble à une trahison avec la complicité de l'ami américain et de la perfide Albion. Cependant, dans la presse australienne, la réaction de la France est bien moins redoutée que celle du géant chinois, qui n'a d'ailleurs pas tardé à faire connaître sa désapprobation. La vente, par les États-Unis, de sous-marins à propulsion nucléaire à l'Australie, est "extrêmement irresponsable", fulmine ainsi le porte-parole de la diplomatie chinoise, et "sape gravement la paix et la stabilité" dans la région.
Car le partenariat stratégique AUKUS est, sans même que ses initiateurs ne s'en cachent, destiné à faire face aux velléités hégémoniques de la Chine dans la région indo-pacifique. Pékin s'installe en effet en maître des lieux dans cette partie du monde où son influence est omniprésente : course à l'armement, déploiement militaire, reprise en main de Hong Kong ou menaces sur Taïwan. Surtout, la Chine revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, riche en ressources naturelles et zone de transit commercial majeure.
Le Premier ministre australien n'a pas fait mystère de cette préoccupation croissante pour l'inquiétant voisin chinois : "Nous souhaitons nous assurer que les eaux internationales demeurent internationales tout comme l'espace aérien et que la règle de droit s'applique de la même manière partout", assume Scott Morrison dans un entretien accordé à la télévision Channel Seven.
L'Australie a donc fait le choix de sous-marins nucléaires face à l'armement du même ordre que possède la Chine, et dont elle a "tout à fait conscience", selon son Premier ministre.
Face à la Chine, les États-Unis se mettent en position
La qualité des sous-marins n'est cependant au fond pas tellement en cause, et si le ministre de la Défense australien estime que les sous-marins nucléaires français "ne sont pas supérieurs" aux Américains, il ne va pas jusqu'à les qualifier d'inférieurs. C'est sans doute ailleurs que réside la vraie raison de cette rupture de contrat : pour mettre en place une alliance stratégique globale dans la région indo-pacifique, dont l'Australie serait le bénéficiaire le plus immédiat, il faut à celle-ci une cohérence d'armement et de commandement. Dans le même esprit, Peter Dutton a également annoncé que les Etats-Unis et l'Australie vont établir des "capacités communes" sur le sol australien, et multiplier les exercices conjoints.
Car la création de cette nouvelle entité est avant tout un objectif américain, qui désigne résolument la Chine comme son adversaire principal pour le leadership mondial. Pour le chercheur Benjamin Haddad, consulté par l'AFP, "la priorité, c'est la compétition avec la Chine, tout le reste n'est que distraction."
Si l'administration Biden a pu donner l'impression de se dégager de la scène internationale, notamment lors de la dramatique évacuation de Kaboul, elle n'entend pas pour autant prolonger l'isolationnisme de Donald Trump. Il s'agit ici d'un redéploiement pour freiner la montée en puissance de la Chine dans la région indo-pacifique, une zone où l'influence de la France, ou même de l'Union européenne, sont très réduites. Mais si les États-Unis signent ainsi un engagement à l'étranger, Benjamin Haddad ne peut que constater qu'ils s'inscrivent "de plus en plus dans une méthode assez unilatérale".
Vue d'Australie, la colère de la France après la rupture du contrat semble donc secondaire, face à la menace plus inquiétante et plus immédiate de l'expansionnisme chinois. Tandis que pour Joe Biden, c'est reprendre position sur la scène internationale après la débâcle de Kaboul, une initiative plus conforme au slogan de son administration : "America is back".
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