Un an après le départ des Américains du sol afghan, les organisations internationales et les ONG ne cachent pas leur inquiétude.Les droits des femmes régressent, assurent-elles, à la faveur de règles et lois liberticides dictées par les Talibans.Si les progrès observés durant deux décennies sont rognés peu à peu, quelques motifs d'espoir demeurent.
Il y a un an, les dernières troupes américaines basées en Afghanistan quittaient le pays, après deux décennies passées sur place. Des événements chaotiques qui ont signé le retour au pouvoir des Talibans et mis à mal les droits acquis par les femmes au fil des ans.
Ces derniers mois, des femmes ont à plusieurs reprises manifesté à Kaboul. Pour réclamer la réouverture des écoles aux filles, ainsi que pour la défense de leurs droits, il y a quelques jours encore dans les rues de la capitale. "Il y a un an, Kaboul était prise par les talibans. un an que les jeunes afghanes sont privées d’école. Un an que les petites filles sont battues, vendues, mariées de force. Un an qu’elles subissent l’inacceptable. Ne les oublions pas", a lancé lundi la secrétaire d'État Charlotte Caubel. Si la dégradation des droits des femmes est déplorée de manière unanime, la situation est-elle aussi critique qu'en 2001, avant l'invasion américaine ?
Il y a 1 an, Kaboul était prise par les talibans. 1 an que les jeunes afghanes sont privées d’école. 1 an que les petites filles sont battues, vendues, mariées de force. 1 an qu’elles subissent l’inacceptable. Ne les oublions pas. — Charlotte Caubel (@CharlotteCaubel) August 15, 2022
Une lente et inexorable régression
Fin juillet, les spécialistes d'Amnesty international dressaient un constat très sombre de la situation en Afghanistan. "La vie des femmes et des filles", dans le pays, "est ravagée par une campagne répressive contre leurs droits fondamentaux", lançait l'ONG. Des observations et témoignages ont permis de révéler des arrestations de manifestantes, "soumises à des disparitions forcées et à la torture", mais aussi d'évoquer "des femmes et des filles incarcérées pour" corruption morale '". Dans le même temps, on note une "énorme augmentation des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés".
Sommes-nous de retour en 2001, à l'époque où les Talibans contrôlaient l'Afghanistan avant que n'intervienne l'armée américaine ? "Nous assistons à un détricotage progressif" des acquis pour les femmes, glisse à TF1Info Jean-Claude Samouiller, président d'Amnesty International France. "Les fillettes, à partir de la 6e ne vont plus à l'école", déplore-t-il. "Les étudiantes à l'université sont tellement harcelées et contrôlées que beaucoup d'entre elles renoncent à poursuivre leurs cursus". Sans parler de la liberté de mouvement, plus que restreinte. "Dites-vous bien qu'aucun déplacement n'est possible pour les femmes sans la présence d'un 'mahram', un tuteur masculin qui peut être un mari, un frère ou un père." Une femme interrogée par l'ONG a ainsi évoqué, une "mort lente", rapporte le dirigeant de la branche française d'Amnesty.
"Depuis que les Talibans ont pris le pouvoir, les femmes et les filles connaissent le recul de leurs droits le plus important et le plus rapide depuis des décennies", a observé début juillet Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies. "Leur avenir sera encore plus sombre, à moins que quelque chose ne change, rapidement", a-t-elle ajouté. À la tête de la section française d'ONU Femmes (l’agence des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes), Céline Mas suit de près la situation à Kaboul et dans le reste de l'Afghanistan, où sont basés certain(e)s de ses collègues. Contactée par TF1info, elle fait part de sa préoccupation, en particulier devant la "privation d'accès au travail ou à l'éducation".
Il s'agit là d'un accès bloqué "au savoir et à la connaissance, synonymes d'émancipation". La situation, observe-t-elle, "s'est dégradée car elle est à mettre en parallèle avec une crise humanitaire dans le pays". En effet, "le PIB afghan était à 40% lié à l'aide internationale", un soutien désormais en grande partie coupé. Dans le même temps, "sécheresses, catastrophes naturelles, crises alimentaires et montée de la pauvreté constituent un faisceau d'élément qui fragilise la situation des femmes".
Céline Mas a-t-elle le sentiment que nous sommes revenus 20 ans en arrière ? "Clairement, on a le sentiment qu'on glisse petit à petit vers un reniement de tous les acquis", concède-t-elle. Un "motif d'espoir", à ses yeux, demeure : "lorsque l'on offre des outils éducatifs à une population pendant 20 ans, il est difficile de les abolir totalement et d'en gommer l'impact. On ne peut pas dire qu'une révolution va avoir lieu, mais le fait de voir des femmes manifester, c'est à nos yeux un motif d'espoir. Il est dès lors absolument urgent de continuer à en parler." Si une partie des femmes afghanes a eu accès au système éducatif, les moyens de communication ont aussi évolué, avec un impact certain sur les populations. "Avec des outils tels que Whatsapp, nous pouvons plus facilement garder un œil sur ce qui se passe là-bas et échanger avec les populations."
Intervenant dans tout l'Afghanistan, ONU Femmes a pu "constater que la prise de conscience que les filles ont des droits se révèle assez globale". Les réseaux sociaux, notamment, "font bouger les lignes". Un élément marquant puisque "les mentalités, ce n'est pas si secondaire, ça ouvre des perspectives".
Si les Talibans n'ont pas en un an réduit à néant l'héritage d'une présence occidentale de 20 ans, il faudra à l'avenir observer avec attention l'évolution du pays. Et avec elle, une série d'indicateurs centraux. "Les données liées à l'alphabétisation, le pourcentage de filles allant à l'école", liste par exemple Céline Mas. Mais aussi les éléments relatifs à la place des femmes dans la vie politique, tout comme "leur poids dans les décisions publiques". Scruter par ailleurs leur implication dans la vie active et économique. Enfin, la chef de file d'ONU Femmes France insiste sur "le rôle des femmes afghanes en dehors de l'Afghanistan". Ces dernières "affichent une ambition, souhaitent agir même ailleurs hors de leurs frontières". Une diaspora dont il faudra à l'avenir observer la mobilisation, alors même que parmi "les 250 000 personnes qui ont quitté le pays lors du départ des Américains, on compte 80% de femmes et de filles".
Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur Twitter : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.