INTERVIEW - Plusieurs responsables politiques français ont déjà invoqué la Convention de Genève pour réclamer un accueil inconditionnel des Afghans en fuite. François Gemenne, spécialiste des migrations et chercheur à l’université de Liège, précise ce qui incombe à la France.
Les talibans et leur prise éclair du pouvoir en Afghanistan ont inscrit le pays à l'agenda international, notamment en ce qui concerne l'accueil des milliers de personnes en fuite. En France, plusieurs responsables politiques de gauche, comme Olivier Faure, premier secrétaire du PS, et Martine Aubry, la maire socialiste de Lille, ont invoqué la Convention de Genève pour réclamer que la France ouvre ses portes à "ceux qui sont menacés".
François Gemenne, spécialiste des migrations et chercheur à l’université de Liège, se penche pour LCI sur le droit international et précise ce que la France est légalement tenue de faire pour accueillir les populations en fuite.
La France est-elle menacée par des "flux migratoires irréguliers", en provenance d'Afghanistan, comme évoqué par Emmanuel Macron le 16 août ?
François Gemenne : Des gens qui traversent une frontière - même sans document et sans y être autorisés - pour demander l'asile dans le pays où ils arrivent, ne sont pas considéré en situation irrégulière. C'est fondamental en droit international. On ne peut jamais parler de 'flux migratoires irréguliers' pour des personnes qui viennent chercher l'asile, qui fuient des persécutions, des violences ou des menaces.
Les 'flux migratoires irréguliers' concernent les personnes qui viennent chercher du travail, qui franchissent une frontière sans demander l'asile ensuite.
L'importance de la Convention de Genève
La France est-elle tenue d’accueillir les réfugiés afghans ?
A priori, la France est tenue d'accueillir ceux qui viendront demander l'asile s'il ces derniers peuvent prouver qu'ils sont menacés personnellement par les talibans. Au regard de la Convention de Genève de 1951, modifiée par un protocole additionnel de 1967, la France devra alors leur accorder l'asile et les reconnaitre comme réfugiés.
Comment ces personnes peuvent-elles prouver qu'elles sont menacées dans leur pays ?
Pour pouvoir justifier qu'elles sont menacées, les personnes concernées vont devoir montrer qu'en fonction des cinq critères de la Convention de Genève - leurs orientations politiques, ethniques, religieuses, nationales ou de leur appartenance à un autre groupe - elles sont victimes de persécutions ou craignent des persécutions.
En pratiques, ces personnes vont donc devoir prouver qu'elles sont des opposants au régime des talibans. Prouver, aussi, que les talibans persécutent leurs opposants, ce qu'on sait néanmoins déjà, notamment grâce aux ONG sur place.
Le cas des demandes d'asile refusées
Que se passera-t-il si une personne ne peut prouver qu'elle est menacée en Afghanistan ?
Dans ce cas de figure, deux hypothèses. D'une part, les États européens peuvent décider d'appliquer une procédure qu'on appelle prima facie refugee, (ou réfugié de prime abord), qui concerne des personnes qui, en raison de leur nationalité et de la situation dans leur pays, sont automatiquement reconnues comme réfugiées, sans qu'on examine réellement leur situation personnelle. C'est ce qui avait été fait avec les Syriens en 2014-2015 : on considérait alors que toute personne qui fuyait le pays était menacée, même si elle ne pouvait prouver qu'elle était personnellement menacée.
L'autre option est que la demande d'asile de la personne qui l'a formulée soit refusée. À ce moment-là, elle serait dans l'obligation de rentrer dans son pays. Ce qu'elle ferait d'elle-même ou choisirait de rester malgré tout en France, devenant sans-papier et pouvant faire l'objet d'un rapatriement forcé.
Il y aura probablement des quotas décidés par les pays d'accueil
François Gemenne
Existe-t-il une limite à l'obligation d'accueil d'un pays ?
Il y aucune limite chiffrée. La France est tenue d'accueillir toute personne victime de persécutions dans son pays. Potentiellement, la France pourrait donc accueillir tous les réfugiés (au sens du droit international) du monde. Rappelons toutefois que 86% des réfugiés dans le monde sont accueillis dans des pays en voie de développement, et que l'Europe n'en accueille que 6%.
Cette obligation est d'ailleurs liée au problème qui s'était posé au moment de la crise des réfugiés syriens, lorsque des pays comme l'Italie, la Grèce ou Malte se plaignaient d'accueillir tous les réfugiés arrivant en Europe, faisant valoir que leurs capacités d'accueil étaient dépassées et qu'il n'y avait aucune solidarité européenne.
Dans le cas de la crise actuelle, il y aura probablement des quotas informels, décidés par les pays d'accueil. Car les Afghans vont vraisemblablement avoir du mal à quitter seuls le pays, ou trouveront peut-être refuge dans des pays voisins. Plusieurs États ont donc déjà annoncé leur décision d'accueillir un certain quota de réfugiés afghans. Par exemple, le Canada a annoncé qu'il en accueillerait 20.000.
On peut donc imaginer que dans les prochains jours, va s'organiser ce qu'on appelle un système de relocalisation, où les pays d'accueil vont chacun offrir des places, des quotas, pour essayer de se partager l'effort d'accueil des réfugiés.
À noter que si des personnes supplémentaires venaient à demander l'asile dans un pays ayant déjà rempli les quotas (qu'il aurait donc lui-même fixé), cet État ne pourrait pas lui fermer la porte si elle remplissait les conditions faisant d'elle un réfugié.
Quel est l'enjeu de cette nouvelle crise géopolitique pour l'Europe ?
Pour l'Union européenne, cette crise afghane constitue un enjeu politique énorme sur des questions de valeurs, car l'instance supranationale affiche une posture de protectrice, de territoire démocratique qui accueille ceux qui fuient les dictatures dans le monde. L'Europe est donc face à un tournant : peut-elle être suffisamment solidaire pour se partager la charge de l'accueil ? Ou va-t-elle se transformer en une forteresse indifférente à la situation du reste du monde ? On a vu à quel point l'Europe s'est déchirée politiquement sur la question des réfugiés syriens.
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