REPORTAGE - Une semaine après l’entrée des talibans à Kaboul, des centaines de réfugiés afghans et manifestants se sont réunis sur la place de la République, à Paris. Avec un mot d'ordre : demander au gouvernement français de rapatrier leurs familles encore présentes sur place, à la merci des insurgés.
"Vive l’Afghanistan, vive la République !" Le cri parcourt la foule de plusieurs centaines de réfugiés afghans et manifestants, réunis dimanche 22 août dès 14h sous la statue de la place de la République, à Paris. Une célébration amère, une semaine après la chute de la capitale Kaboul aux mains des talibans, au terme d’une conquête spectaculaire de quelques mois. "Sauvez les Afghans", "Save our family" (sauvez notre famille), "Évacuation Maintenant" : sur leurs pancartes, entre des dizaines de drapeaux tricolores noir, rouge et vert, les migrants appellent à rapatrier leurs proches encore bloqués sur place.
"Je demande aux Français et aux Françaises, au gouvernement d’aider un peuple qui souffre", alpague un jeune réfugié au microphone, qui veut rester anonyme pour des questions de sécurité. Arrivé en France en 2012 alors qu'il était encore mineur, il a aujourd'hui la nationalité française, mais s'inquiète pour ses proches toujours sur place, qui ont rejoint l'Iran avec la crainte d'être rapidement renvoyés en Afghanistan. "C’est comme si on les jetait à nouveau dans la gueule du loup..."
"On n’a plus de nouvelles, on ne sait pas s’il est mort ou vivant"
Lorsque le village de sa famille, niché dans une province montagneuse, est tombé aux mains des talibans qui ont incendié les maisons, ses proches ont dû prendre la fuite. Mais tous n’ont pas pu le faire. "Ma nièce de 8 ans est morte dans l'incendie, les murs se sont effondrés sur elle", raconte-t-il, montrant sur son téléphone une photo du visage de l'enfant sans vie, bordé des linges blancs. Son frère, lui, faisait partie de l’armée afghane et a été emporté par les talibans. "On n’a plus de nouvelles, on ne sait pas s’il est mort ou vivant", s’inquiète le jeune homme, qui s’alarme d’"un besoin d’évacuation immédiat".
"J’ai envoyé un mail au ministère, je les appelle, mais je n’ai pas de réponse, comment je dois faire ?", interpelle dans la foule un autre réfugié, l’air perdu. Sur son téléphone, il fait dérouler un message détaillé destiné aux services du ministère des Affaires étrangères, assorti de copies des cartes d’identité afghanes de son fils, sa sœur, son frère et sa femme, ses seuls proches encore en vie. "Ma mère et trois de mes cousins, qui étaient des généraux afghans, ont été abattus par les talibans il y a une semaine", à Laghmân, dans l’est du pays, raconte cet Afghan arrivé en France en 2017. "Quatre morts en un jour", répète-t-il, tandis que son frère, interprète américain, avait déjà été tué par les insurgés deux ans auparavant.
Des demandes de rapatriement restées sans réponse
Il s’inquiète aussi pour la condition des femmes afghanes : sa cousine, journaliste, s’est vue interdire d’entrer dans sa rédaction par des insurgés. "Les talibans font des promesses devant les caméras, mais une fois qu’on les coupe, ce n’est plus la même réalité", assène-t-il. "Sur Facebook, on voit plein de vidéos passer qui montrent les insurgés frapper les gens et tirer", ajoute un de ses amis, dont la famille vit aussi cloitrée. "À Jalalabad, ils ont tué une femme et ont laissé son corps dans la rue."
Une manifestante française déplore aussi de nombreux "bugs" de la plateforme téléphonique et la messagerie électronique de la cellule spéciale mise en place par le ministère des Affaires étrangères, alors qu’elle tente d’obtenir le rapatriement de la famille de son compagnon afghan, en particulier son petit frère, qui a collaboré avec l’armée afghane. "Il peut être perçu comme un traître par les talibans, sa vie est en danger", déplore Carolane Brugne, qui raconte que les talibans ont pénétré chez lui pour déchirer son diplôme d’école de commerce.
Pour l’heure, ses demandes restent sans réponse. "Nous ne demandons même pas les aides financières réservées aux réfugiés, tout ce que nous voulons, c’est de le ramener auprès de nous", supplie-t-elle. "On a tout fait, on ne sait pas trop quelle sera la suite, on aimerait juste savoir s’il est éligible ou non au départ. Il risque de partir seul à pied vers l’Iran, mais la Turquie est déjà en train de construire un mur pour fermer ses frontières." Seule solution à présent : se rendre sur place au quai d’Orsay, mais la jeune femme craint que l’accueil y soit saturé dès le matin.
La France "aurait dû anticiper davantage"
De nombreux proches demandent à la France d’accélérer ses procédures d’évacuation. "Il y a une forte présence militaire américaine, anglaise et française à l’aéroport de Kaboul, mais ce n’est pas suffisant", épingle Reza Jafari, président de l’association Enfants d’Afghanistan et d'ailleurs. D’après les messages qu’il reçoit d’habitants sur place, il n’y a pas de collaboration entre les différentes forces sur le site, déplore-t-il : "Les soldats français n’arrivent pas à faire rentrer des réfugiés parce que les soldats anglais et américains bloquent les entrées pour faire partir leur personnel en premier. Il faut pourtant continuer à évacuer les gens tant que possible."
Le responsable associatif a d’ailleurs fait parvenir aux autorités une liste de 20 Afghans ayant travaillé avec des associations françaises, dont la sienne, mais seules quatre d’entre elles ont déjà été rapatriées. "La France savait très bien ce qu’il se passait là-bas et aurait dû anticiper davantage la chute du gouvernement afghan", ajoute-t-il.
Au-delà du manque de places dans les vols d’évacuations et des difficultés d’accès à l’aéroport, où se groupent des milliers d'Afghans dans l'espoir de partir, certains réfugiés craignent aussi de ne plus pouvoir envoyer d'argent à leurs proches sur place ni d’obtenir de leurs nouvelles. Plusieurs d’entre eux indiquent que des transferts via des services comme Western Union leur ont été refusés. "Le pays a été désigné comme non sécurisé", déplorent l'un d'eux. "J'essaie d'envoyer de l'argent à ma famille, mais les banques là-bas sont fermées", regrette un autre. "Mes proches n’ont plus de crédit, plus d'internet et plus de ressources. Ils ne sortent plus et les enfants ne vont plus à l'école."
Plus de 600 personnes évacuées en une semaine
Selon l’Élysée, 625 personnes ayant travaillé pour l’ambassade de France à Kaboul ont été accueillies en France entre mai et juillet 2021, employés et familles compris, tandis que près de 800 collaborateurs afghans auraient également rejoint le territoire français entre 2001 et 2014. Depuis la chute de Kaboul dimanche 15 août, le pont aérien mobilisé par l'armée française a rapatrié à Paris plus de 600 personnes sur cinq vols, dont une large majorité d'Afghans. Un sixième avion est attendu ce dimanche 22 août au soir.
Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a déclaré que "tous les cas [d'Afghans voulant être exfiltrés] qui se sont manifestés - et leur nombre s'allonge de jour en jour avec des centaines de noms - sont instruits". "Nous n'avons pas de problèmes pour évacuer par avion ces Afghanes et ces Afghans menacés qui veulent se mettre sous la protection de la France", a-t-il affirmé, en précisant toutefois que "notre seul problème, c'est l'accès jusqu'à l'aéroport, avec les checkpoints talibans, puis l'entrée dans l'aéroport où c'est le chaos".
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