Anne-Claire Coudray et le 20H de TF1 avec les forces françaises au Mali : "Leurs conditions de vie sont épouvantables"

Publié le 20 décembre 2020 à 11h00, mis à jour le 20 décembre 2020 à 16h44
Anne-Claire Coudray et le 20H de TF1 avec les forces françaises au Mali : "Leurs conditions de vie sont épouvantables"

Source : JT TF1

INTERVIEW - A quelques jours de Noël et du 8e anniversaire du début de l'opération Barkhane au Sahel, le JT de TF1 est parti à la rencontre des forces françaises sur la grande base de Gao au Mali. Anne-Claire Coudray, qui s'est rendue sur place avec ses équipes, répond à nos questions sur cette page spéciale diffusée ce dimanche soir dans son 20H.

Après de nombreuses années d’accrochages au Mali, les pickups des djihadistes ne déboulent plus sur Bamako, mais la situation sécuritaire régionale est plus que jamais instable. Un risque pour la France qui réfléchit de plus en plus sérieusement à amorcer une sortie pour ses 5 100 militaires engagés depuis huit ans au Sahel. À quelques jours de l'anniversaire du sommet de Pau, le 13 janvier prochain, date à laquelle pourrait justement être annoncée une évolution du format de l'intervention française, Anne-Claire Coudray et le 20H de TF1 se sont rendus sur la base de Gao, la principale base française au Mali où sont stationnés près de 2000 hommes. 

Le 20H est également allé, plus au nord, sur la base opérationnelle avancée (BOA) de Menaka dans la région dite des "trois frontières", entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso où se trouvent 450 hommes. Là où les groupes affiliés à l'État islamique sont présents en ce moment, et où les Français et leurs alliés mettent tous leurs efforts. L'occasion de faire le bilan des opérations militaires sur place, lors d'une édition spéciale ce dimanche à la fin du journal, avec plusieurs reportages. Anne-Claire Coudray a auparavant répondu à nos questions.

Les soldats sont sur le qui-vive en permanence parce que l'ennemi n'est pas classique. Il est quasi invisible.

Anne-Claire Coudray

Qu'avez-vous voulu montrer en vous rendant sur cette immense base de Gao, au Mali ?

L'idée, c'était d'aller voir dans quelles conditions les soldats français interviennent dans ce pays où on est depuis si longtemps. Voir leurs conditions de vie, de combat, qui sont épouvantables. Il faut savoir qu'on est dans un désert où la poussière s'immisce partout et use les matériels et les hommes. À titre d'exemple, lorsqu'un hélicoptère revient en France, il fait 150 kilos de plus à cause du sable qui s'est introduit dans les moindres interstices. Évidemment, il fait aussi une chaleur terrible. Résultat, quand on doit partir en mission dans des véhicules blindés, il y fait jusqu'à 60°C. Par ailleurs, les soldats sont sur le qui-vive en permanence parce que l'ennemi n'est pas classique. Il est quasi invisible. En fait, on ne sait jamais, quand on croise quelqu'un dans cet immense désert, s'il vient de cacher sa kalachnikov ou si c'est juste un habitant. C'est donc une guerre qui use nerveusement parlant. 

Quels sont les dangers principaux rencontrés par les forces françaises ?

L'autre problématique terrible pour les forces armées, ce sont les Engins Explosifs Improvisés (IED), C'est-à-dire les mines artisanales. Ainsi, les routes qui étaient parmi les plus commerciales d'Afrique de l'Ouest sont devenues extrêmement dangereuses. Du coup, quand les soldats partent en mission, ils sont escortés avec plusieurs dizaines de véhicules parce qu'il y a des mines partout. Des militaires sont aussi chargés de sécuriser l'itinéraire et de voir s'il n'y a pas des IED sur le bord de la route. Ce sont en général de jeunes soldats qui ont une responsabilité énorme. D'ailleurs, une grande partie des morts français ont été victimes de ces mines. Donc c'est vraiment un stress important. En fait, le combat n'est pas permanent et quotidien mais le stress, lui, l'est.

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A quelques jours de Noël, comment est l'état d'esprit de ces militaires ? 

On a discuté avec les militaires sur ce risque de mort qui est réel. Comment on l'apprivoise pour soi ? Comment on en parle à sa famille ? Et évidemment, à quelques jours de Noël, comment ceux qui ont des enfants leur expliquent-ils que papa ou maman n'est pas là ? Il faut dire que ces soldats partent pour quatre mois, c'est très long. Il y a aussi beaucoup de femmes. En général, elles s'occupent de l'aéroport et de la piste, ou sont dans la communication. Il y a aussi beaucoup de conductrices d'engin. Il n'y a pas de femmes dans les unités purement combattantes, mais encore une fois, le combat n'est pas le seul moment où on est confronté au danger. Ce stress permanent touche finalement tous les corps de métier. Ce n'est pas parce qu'on ne voit jamais l'ennemi, qu'on ne va pas en être victime, et ça c'est important de le souligner. 

Vous avez voulu montrer dans un des reportages diffusé ce dimanche l'énorme logistique mise en place. Comment cela se passe-t-il  ?

 C'est un défi au quotidien. Pour un soldat qui va combattre, il y en a je ne sais combien derrière qui s'occupent du soutien. Et avec 5000 hommes positionnés dans un désert comme le Sahel, il faut tout prévoir en terme d'eau, de gestion de l'approvisionnement de la nourriture, de traitement des aux usées, de préparation des matériels... Ce sont devenus de petites villes. A Gao, par exemple, l'aéroport connaît un trafic aérien équivalent à celui de Nantes, avec 30.000 mouvements aériens par an, 80 par jour et sans cesse des décollages et des atterrissages d'avions de transport américains et français, comme le fameux Airbus A400M, ou d'hélicoptères. Il faut dire qu'au vu du danger de la route, ce sont des moyens de transport privilégiés. 

Vous vous êtes aussi intéressés à la population. Que lui apporte cette opération Barkhane ?

Le constat, c'est que la France est sans doute encore là pour des années. Car la victoire militaire n'est pas un but, c'est un commencement pour cette population qui est parmi la plus pauvre du monde. L'idée, c'est de créer des bulles de sécurité, et de faire revenir les services publics, les écoles et une vie économique. Afin de les aider aussi à résister à la pression des groupes terroristes qui viennent faire du racket et du trafic, et qui recrutent également parmi les jeunes. Le but, c'est d'empêcher les groupes terroristes de se réinstaller dans les villes et d'y faire un nouveau califat. 

À la fin de notre émission spéciale, on montre d'ailleurs quelque chose de très sympa. À Gao, les militaires ont financé par exemple toute une zone de maraîchage qui est passée de 250 m² à 5 hectares. Ils ont financé les pompes pour extirper l'eau du Niger. C'est une sorte de jardin d'Éden où 400 familles cultivent des légumes pour ensuite les vendre au marché. C'est une goutte d'eau mais aussi un exemple très révélateur de ce que l'on peut faire quand une certaine stabilité revient. 

Le coup d'État militaire d'il y a quatre mois a-t-il changé la donne sur place ?

Par définition, l'armée française ne fait pas de politique. Mais les militaires à l'origine de ce coup d'État n'ont pas mis un coup d'arrêt aux opérations sous mandat de l'ONU. La coopération avec le nouveau régime en place n'a absolument pas changé et au contraire l'armée française va accompagner cette nouvelle direction vers de prochaines élections prévues en 2022. 


Virginie FAUROUX

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