OMBRES CHINOISES - Sommée de se vendre à un américain, Tik-Tok a finalement conclu avec Oracle, géant du logiciel proche de la Maison Blanche. Pas vraiment une vente, mais un "partenariat de confiance" qui permet à l'administration Trump de sauver les apparences, même si sur le fond, la Chine n'a pas cédé d'un pouce.
C'est bien l'une des plus curieuses histoires de business de la période moderne qui vient - espérons-le - de trouver sa conclusion aux États-Unis. Après huit semaines d'allers et retours, d'annonces tonitruantes et de diplomatie à trois bandes, Tik-Tok pourrait échapper à l'ultimatum de l'administration Trump, et ne pas avoir à fermer ses portes aux utilisateurs américains ce 20 septembre.
L'affaire Tik-Tok était pourtant bien mal engagée. Le 31 juillet dernier, Donald Trump annonce qu'il va interdire l'application du réseau social aux États-Unis, pour des raisons de sécurité nationale un peu brumeuses. Après Huawei, l'appli semble être devenue le nouvel otage de la guerre commerciale qui oppose la Chine aux États-Unis. Quelques jours plus tard, revirement, Tik-Tok ne sera pas interdit, mais aura six semaines pour se vendre à une entreprise américaine. Et en ce début août, c'est Microsoft qui semble tenir la corde.
"Drôle de guerre" commerciale
Pour ce dernier, l'opération semble logique. Microsoft fait déjà du logiciel d'entreprise, du jeu vidéo, des applis et des appareils mobiles, des services cloud... en fait, il lui manque juste un réseau social. Surtout, Microsoft est l'un des rares qui puisse se payer un Tik-Tok évalué autour de 40 milliards de dollars. Seul bémol, l'exigence de Donald Trump, qui se prend soudain comme un intermédiaire, lui qui a décrété cette vente forcée, et demande qu'une commission sur la vente soit versée au Trésor américain. Du jamais vu de mémoire de fusion-acquisition aux États-Unis.
Surtout, le montage oublie un détail d'importance : ByteDance, l'entreprise chinoise qui détient Tik-Tok, n'a pas franchement envie de se vendre, soutenue en cela par l'administration chinoise, qui a fort mal pris le diktat de la Maison Blanche. Et c'est ainsi que Pékin va venir à la rescousse de son champion, en vidant la vente de l'essentiel de sa substance. Il y a quelques jours, la Chine a annoncé avoir rajouté les algorithmes d'intelligence artificielle à la liste des technologies dont l'exportation et la vente sont réglementées. Sous cette appellation, c'est en fait l'algorithme de recommandation de contenu de Tik-Tok qui est visé, celui qui décide des vidéos qui sont présentées à l'utilisateur. En clair toute l'intelligence du système, ce qui fait de Tik-Tok une merveille de viralité.
Dans ces conditions, c'est presque une coquille vide que l'administration Trump veut voir se vendre. De quoi décourager un Microsoft déjà dubitatif devant les conditions d'un deal pas comme les autres. L'éditeur a bien soumis une offre, que ByteDance a refusé, sans que Microsoft n'en prenne ombrage. Car sur le fond, vendeur et acheteurs potentiels ont bien ici voulu laisser le temps au temps, et faire traîner tout marché potentiel, avec en ligne de mire l'élection américaine du 3 novembre prochain, où une défaite de Donald Trump aurait permis de lever l'ultimatum.
En attendant, ce dernier n'avait pas envie de se voir désavoué. D'où l'arrivée dans l'histoire d'Oracle, un acheteur plus surprenant que Microsoft. Oracle, c'est du cloud et du logiciel d'entreprise, et rien d'autre, à mille lieues des applications grand public. Une entreprise connue pour sa proximité avec l'administration Trump : son PDG faisait partie de l'équipe du candidat en 2016, et son fondateur Larry Ellison a hébergé des dîners de donateurs à la campagne du président. Fans de Trump, donc, mais pas au point d'acheter un Tik-Tok en mode coquille vide. Les deux s'éloignent donc d'une vente, Tik-Tok parlant d'Oracle comme d'un nouveau "partenaire de confiance", chez qui il hébergera les données de l'application. L'honneur est sauf, Trump a forcé Tik-Tok à un deal, mais la Chine n'a pas lâché sur le fond.
La plus américaine des entreprises chinoises
En fait, pour Tik-Tok, la rodomontade de Donald Trump n'est qu'un obstacle sur une route qui était déjà tracée, et de plus déjà compatible avec les exigences américaines. Depuis le début de l'année, l'entreprise s'était installée sur le sol américain, avait débauché comme nouveau patron un ancien de Disney, et affichait nombre de partenariats locaux. Et si ByteDance n'avait pas pour projet de se vendre, on murmurait déjà que Tik-Tok pourrait à terme s'introduire en bourse. Une opération massive, qui aurait de plus demandé à l'entreprise de respecter des standards de gouvernance et de transparence à même d'en faire un géant plus américain que chinois. Une guerre que Trump aurait pu déclarer avoir gagné, sans même combattre.
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