FAKE NEWS - Bill Gates est accusé par certains d'avoir, à travers sa fondation, voulu décrédibiliser l'ivermectine en faisant "pression" sur l'un de ses défenseurs. Il s'agit d'une rumeur infondée, portée par un habitué de la désinformation.
Le premier est une cible récurrente des sphères complotistes. L'autre est, au contraire, l'un des sujets ardemment défendus. Bill Gates et l'ivermectine ressurgissent dans l'actualité après la publication d'un article de blog, le 9 décembre dernier. On y lit, en anglais, que la Fondation de Bill Gates aurait versé une "subvention de 40 millions de dollars (...) contre un demi-million de vies humaines".
Un titre traduit puis repris en France par de nombreuses figures de la sphère anti-vaccin et anti-restriction. "La Fondation Gates et Unitaid ont fait pression sur le chercheur Andrew Hill pour qu'il inverse ses conclusions sur l'ivermectine", assure ainsi un internaute ce 13 décembre. Une autre regrette quant à elle que ce "scandale" soit passé "sous silence" par les médias. Mais s'agit-il d'une information avérée ?
Une rumeur qui ne tient pas debout
Pour tout comprendre à ce sujet, il faut remonter au début d'année. On est alors le 19 janvier 2021 quand Andrew Hill, chercheur à l'Université de Liverpool, publie une méta-analyse "préliminaire" sur l'ivermectine, cet antiparasitaire que certains voyaient comme un remède miracle au virus. Pour rappel, une "méta-analyse" est une pratique scientifique qui consiste à combiner les résultats de plusieurs études afin de tirer des conclusions globales. En s'appuyant sur cette méthode, le microbiologiste observe que ce médicament est extrêmement efficace contre le Covid-19.
Cependant, en juillet 2021, ce fervent défenseur de la molécule change radicalement de ton. Or, selon le blog cité plus haut, ce revirement serait lié à la "situation délicate" dans laquelle le chercheur se serait retrouvé. Citant un seul témoignage, le blog assure qu'Andrew Hill a été mis sous pression par ses financiers, dont "la fondation Gates", via l'organisation Unitaid. Un aveu qui repose sur une réunion sur Zoom retranscrite par une seule participante, dans un livre publié par un certain Robert Kennedy Jr. Le neveu de Kennedy est tristement connu pour être considéré comme l'une des 12 personnes ayant propagé plus de 65% des fausses informations à propos de la vaccination et du Covid-19.
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Cette source n'est donc pas fiable. Et ses conclusions laissent à désirer. Tout d'abord, à cause de la chronologie des faits. L'article affirme que l'Unitaid, une organisation internationale d'achats de médicaments à destination des pays en voie de développement, aurait fait pression sur le chercheur Andrew Hill pour qu'il modifie ses conclusions en lui reversant "40 millions de dollars (...) quatre jours avant la publication de son étude" qui allait déconseiller le médicament. C'est entièrement faux. Comme s'en félicitait l'organisation elle-même sur ses réseaux sociaux, elle a reversé 32 millions de dollars à l'Université de Liverpool, dans laquelle travaille le chercheur, le 12 janvier 2021. Soit une semaine avant qu'Andrew Hill publie son étude qui recommandait l'ivermectine.
D'autre part, les raisons pour lesquelles ce chercheur a changé d'avis sur l'ivermectine sont loin d'être aussi obscures. Et se justifient par un argument purement scientifique. Comme il l'a lui-même expliqué à de multiples reprises, il a dû revenir sur les conclusions de sa méta-analyse à cause de critiques portant sur l'une des études qu'il citait. Accusée de fraude, l'étude d'Elgazzar, retirée le 15 juillet, représentait en effet 20% du total de ses données. Ainsi que le résumait Andrew Hill sur Twitter, le problème avec les méta-analyses, c'est "qu'elles dépendent des données sous-jacentes".
One problem with meta-analyses is that it is dependent on the underlying data. In this case, the largest IVM study included (n=400) conducted by Dr Ahmed Elgazzar from Benha University in Egypt appears to be fake and the pre-print has been withdrawn. https://t.co/kgmynddjI7 https://t.co/S40mtOPhxv — David Boulware, MD MPH (@boulware_dr) July 16, 2021
Un argument porté par la science, plus rationnel que celui d'une organisation qui chercherait à faire pression sur un chercheur. Et quid du rapport avec Bill Gates ? Là encore, le lien que fait le blog avec le multimilliardaire est étonnant. Selon lui, la main de ce défenseur de la vaccination se cacherait derrière cette "pression" de l'Unitaid. Seulement, un rapide examen des finances de cette organisation qui lutte pour l'accès aux médicaments montre qu'avec "seulement" dix millions de dollars par an, la Fondation Gates ne contribue qu'à une infime partie du budget, de l'ordre de 4%. En fait, le principal donateur de l'Unadif est ... La France ! Avec 1,7 milliard de dollars engagés depuis 2007, l’Hexagone est non seulement le plus gros contributeur, mais aussi le fondateur de cette institution.
En résumé, sur le fond, cette rumeur multiplie les inexactitudes, s'appuyant sur un financement public, pour évoquer un conflit d'intérêt difficile à prouver et en oubliant les explications rationnelles du chercheur. Et sur la forme, elle provient d'un seul témoignage, non corroboré, et cité par celui qui est considéré comme l'un des plus grands responsables de la désinformation en ligne.
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