En fin de journée, dimanche, des milliers de manifestants pro-Bolsonaro ont envahi les institutions brésiliennes.Après plusieurs heures de tension, la situation a finalement pu être maîtrisée.Selon de nombreux experts, la catastrophe a été évitée de justesse car l'armée ne s'est pas ralliée au mouvement.
La démocratie a tremblé. Une semaine après l'investiture de Lula, des milliers de personnes ont envahi trois lieux de pouvoir au Brésil. Les images, qui rappellent celles du Capitole deux ans plus tôt, font froid dans le dos. Vitres et portes brisées, pillage, dégradation d'œuvres d'art et de mobilier... les partisans de Bolsonaro ont causé d'importants dégâts en l'espace de quelques minutes. "La démocratie garantit la liberté d’expression, mais elle exige aussi que les institutions soient respectées. Ce qu’ont fait ces vandales, ces fascistes fanatiques […] est sans précédent dans l’histoire de notre pays", a fustigé le président du pays.
Heureusement, une poignée d'heures plus tard, tout est rentré dans l'ordre après l'intervention de la police. Les institutions ont été sécurisées au moyen de gaz lacrymogènes, canons à eau et autres grenades assourdissantes. Plus de 300 fauteurs de troubles présumés ont été arrêtés, rapporte l'AFP. "Nous allons tous les retrouver et ils seront tous punis", a prévenu Lula.
L'armée, très partagée, est restée constitutionnelle et n’a pas bougé
Jean de Gliniasty
Ce coup de force aurait pu faire basculer la pièce du mauvais côté, au Brésil. Si certains experts pointent une passivité des forces de l'ordre au moment des faits, le pire a tout de même pu être évité. L'armée ne s'est, en effet, pas mêlée aux contestataires comme d'aucuns le craignaient. "Ce n’est pas un putsch militaire parce que les militaires ne sont pas intervenus. Mais, en revanche, dans les images des manifestants, on voit que, tout de suite, ils appellent à ce que l’armée les soutienne", note Virginie Jacoberger-Lavoué, auteure de "Brésil, voyage au pays de Bolsonaro".
"L'armée, très partagée, est restée constitutionnelle et n’a pas bougé", abonde Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France au Brésil. "Ça fait déjà pas mal de semaines que les bolsonaristes campent devant les casernes pour demander aux militaires d’intervenir [...] Tant que l’armée ne bouge pas, cette tentative de déstabilisation de Lula est vouée à l’échec", ajoute-t-il. Le destin du Brésil aurait pu être tout autre. "Les anciens commandants de la marine et de l’armée de l’air étaient très proches de Bolsonaro (lui-même un ancien militaire de carrière, ndlr). Dans une autre configuration, on aurait pu s’attendre à un autre résultat", rappelle Gaspar Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine. "Aujourd’hui, Lula est investi et a un ministre de la Défense. Donc le rapport de force a évolué", souligne-t-il.
Une menace toujours présente
Toutefois, l'instabilité et la fracture dans le pays sont loin de s'être résorbées et la menace est toujours à l'horizon. "Nous ne reconnaissons pas ce gouvernement parce qu'il est illégitime", a déclaré à l'AFP Victor Rodrigues, l'un des protestataires. "Nous ne reculons pas, nous allons partir d'ici mais nous reviendrons", menace-t-il.
"C’est un coup d’éclat qui peut devenir un coup d’État. Cela peut devenir un coup d’État si jamais l’armée prend le parti de ces manifestants", prévient sur LCI Andrei Netto, journaliste pour le journal brésilien Headlines. "L’armée, pour l’instant, garde son côté constitutionnel, obéit à l’ordre établi. Mais il y a des factions, dans l’armée brésilienne, qui pourraient très bien adhérer à ce mouvement dans quelques heures ou jours", continue-t-il. "C’est un moment très délicat de la vie politique au Brésil. Il y a six-sept ans, on me posait la question de si jamais le Brésil se dirigeait vers une guerre civile. Je répondais : 'non, pas du tout. C’est absurde'. Aujourd’hui, on n’en sait rien", lâche l'expert.
J'ai eu peur et on a toujours peur
Silvia Capanema
Même son de cloche du côté de Silvia Capanema, historienne spécialiste du Brésil, maîtresse de conférence à la Sorbonne. "J’ai eu peur et on a toujours un peu peur. Là, il y a une réaction du pouvoir qui est bienvenue parce qu’il faut réagir fermement", indique-t-elle. Mais "nous avons toujours peur que cela puisse déborder et devenir un coup d’État", souffle-t-elle. "C’est un mouvement qui va demander la destitution du gouvernement. Ils font appel à l’armée pour un coup d’État et créer une situation de chaos", précise-t-elle encore.
De son côté, Juliette Dumont, de l'Institut des hautes études de l’Amérique latine, retient la "quasi-inaction de la police militaire, qui dépend du gouverneur de l’état de Brasilia" dans les premières minutes de l’invasion de la place des Trois pouvoirs. "Il y a donc la question de la complaisance, voire de la connivence de la police militaire, du gouverneur de l’état de Brasilia et de son chef de la sécurité, ancien ministre de Bolsonaro", met-elle en avant. Ledit chef de la sécurité, Anderson Torres, a été limogé dans la foulée de ces événements. Le gouverneur du district fédéral de Brasilia, Ibaneis Rocha, a, lui, été suspendu dans ses fonctions pour 90 jours par un juge de la Cour suprême brésilienne, Alexandre de Moraes. De premières mesures qui doivent, sans doute, en appeler de nouvelles dans les jours et semaines à venir.
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