CONFLIT - Le populaire ministre de la Santé du Brésil, Luiz Henrique Mandetta, a annoncé jeudi qu'il avait été limogé par Jair Bolsonaro, avec qui il était en désaccord total sur la lutte contre le Covid-19. Le président brésilien continue de minimiser la "petite grippe" du coronavirus, alors même que les hôpitaux du pays arrivent à saturation.
Le président brésilien Jair Bolsonaro l’avait prévenu qu’il n’était pas irremplaçable : en pleine crise du coronavirus, le ministre de la Santé Luis Henrique Mandetta a fini par être limogé jeudi 16 avril, sur fond de désaccord total entre les deux hommes sur les moyens de faire face à la pandémie. Le couperet est tombé après des semaines d'affrontements et de provocations par déclarations interposées, à un moment critique pour le Brésil, dont les hôpitaux sont déjà au bord de la saturation à l'approche du pic de contaminations.
Luiz Henrique Mandetta, médecin de 55 ans à la compétence reconnue, a toujours préconisé le confinement et la distanciation sociale, suivant à la lettre les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), au nom de "la science". Mais difficile de travailler avec un président qualifiant le virus de "petite grippe" et remettant en cause les mesures de confinement prises par les gouverneurs de presque tous les Etats brésiliens – en accord d’ailleurs avec la majorité de la population, les trois quarts des Brésiliens étant eux aussi en faveur du confinement. "On doit tous mourir un jour", a par exemple lâché Bolsonaro, dénonçant la supposée ineptie des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
"La science est la lumière", a insisté le ministre déchu jeudi, peu après avoir été accueilli par une ovation debout des fonctionnaires du ministère au moment de sa dernière conférence de presse. "Le remède ne peut pas avoir d'effets collatéraux plus nocifs que la maladie", a rétorqué Bolsonaro quelques minutes plus tard lors d'une autre conférence de presse, réitérant que la préservation des emplois était pour lui une priorité.
Le chef de l'Etat a évoqué un "divorce par consentement mutuel" au sujet du limogeage du ministre, qui était attendu depuis plusieurs jours, leurs vues étant totalement incompatibles.
Acabo de ouvir do presidente Jair Bolsonaro o aviso da minha demissão do Ministério da Saúde. Quero agradecer a oportunidade que me foi dada, de ser gerente do nosso SUS, de pôr de pé o projeto de melhoria da saúde dos brasileiros e — Henrique Mandetta (@lhmandetta) April 16, 2020
Cacophonie
Luiz Henrique Mandetta semble avoir franchi la ligne rouge dimanche soir, lors d'un entretien à la chaîne TV Globo, lors duquel il a affirmé que "les Brésiliens ne savent plus s'ils doivent écouter le ministre ou le président". Une déclaration jetant une lumière crue sur la cacophonie du gouvernement, qui lui a coûté l'appui des militaires, qui avaient pesé de tout leur poids la semaine précédente pour sauver son poste.
De nombreux commentateurs politiques estiment également que Jair Bolsonaro ne supportait plus ce ministre très populaire, qui avait deux fois plus d'opinions favorables que lui dans les sondages. "Il faudrait qu'il écoute plus son président, il manque un peu d'humilité", avait averti Jair Bolsonaro lors d'un entretien à la radio Jovem Pan.
Avant le pic, Bolsonaro favorable à une "reprise progressive"
L’oncologue Nelson Teich a été désigné comme nouveau ministre de la Santé. A l'instar de son prédécesseur, celui-ci considère que le confinement est le meilleur moyen d'endiguer la pandémie. En conférence de presse, il a ainsi indiqué qu'il ne prendrait pas de "décision brusque" en ce qui concerne une éventuelle levée des mesures de confinement réclamée par le président Bolsonaro, favorable à une "reprise progressive" des activités économiques.
Des déclarations qui laissent présager des divergences avec le nouveau ministre, alors que le pic de la pandémie n'est pas attendu avant mai ou juin au Brésil. "Les intentions du nouveau ministre ne sont pas claires, mais Bolsonaro ne l'aurait pas choisi s'ils n'étaient pas sur la même longueur d'onde", a toutefois estimé Vinicius Vieira, politologue de l'Université de Sao Paulo (USP). "Même si on ne doit pas s'attendre à ce que le nouveau ministre critique la distanciation sociale, il ne va sûrement pas la défendre non plus. Cela peut pousser la population à abandonner le confinement", a-t-il ajouté.
Plus de 300.000 cas ?
Mercredi soir, la Cour suprême a décidé que les décisions des maires ou des gouverneurs régionaux sur les mesures de confinement devaient prévaloir sur toute directive du gouvernement fédéral. Mais la quarantaine décrétée par les gouverneurs est moins restrictive que dans la plupart des pays européens, sans mesure coercitive pour contraindre la population à rester chez elle, même si la plupart des commerces ont été fermés.
Le dernier bilan officiel au Brésil, un pays de 210 millions d'habitants, fait état de 30.425 cas de Covid-19, dont 1.924 mortels. Mais de nombreux spécialistes considèrent que le nombre de cas est largement sous-estimé, certains estimant même que la barre des 300.000 a été franchie depuis plusieurs jours. Les chercheurs redoutent une hécatombe dans les prochaines semaines.