"Compliqué d’être en débardeur dans la rue" : avec #SoisUneFemmeLibre, les Marocaines répondent aux hommes qui veulent les rhabiller

par Sibylle LAURENT
Publié le 8 août 2018 à 18h51, mis à jour le 9 août 2018 à 9h36
"Compliqué d’être en débardeur dans la rue" : avec #SoisUneFemmeLibre, les Marocaines répondent aux hommes qui veulent les rhabiller

Source : Twitter Betty Lachgar

INTERVIEW - Il y a un mois, une campagne intitulée "Sois un homme" était lancée sur les réseaux sociaux, pour inciter les hommes à ne pas "laisser leur femme dans des tenues indécentes". En réponse, des femmes s’élèvent et défendent leur liberté individuelles. L'une d'elle raconte à LCI.

Leur riposte tient en une phrase, une injonction, presque une incantation : "Sois une femme libre !" Et un dessin : un bikini. Au Maroc, un mouvement LGBT mixte qui lutte pour les libertés individuelles, le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (M.A.L.I) vient de lancer une campagne sur les réseaux sociaux, pour réaffirmer la liberté de la femme à s’habiller comme elle le veut, à agir en toute liberté.

Si ces femmes partent ainsi à l’attaque, c’est pour répondre à une autre campagne, devenue virale, qui incite les hommes à couvrir le corps de "leurs" femmes. "C’est venu d’un post sur une page Facebook qui réclame la création d'une banque islamique au Maroc. C'est une page qui publie régulièrement des posts contre les droits des femmes, ou pour le port de la burka", explique Ibtissame Betty Lachgar, co-fondatrice et porte-parole du M.A.L.I. Sur cette page donc, un post, le 9 juillet, avec une photo, d’un texte écrit en arabe. Quelques lignes, qui disent : "Campagne #Soisunhomme lancée au Maroc. Sois un homme et ne laisse pas tes femmes et tes filles sortir avec un string moulant !!". Toujours sur cette page, d'autres posts disent la même chose : "Sois un homme et ne laisse pas tes (sic) femmes sortir dans des tenues indécentes". Un hashatg, #SoisUnHomme, commence à tourner. 

Capture écran Facebook
Capture écran

La page Facebook, suivie par des milliers de personnes, est visiblement rompue à ce genre de publications traditionnalistes et ultra-conservatrices, remettant en cause les droits des femmes. "Ce n’est pas nouveau sous le soleil", explique Ibtissame Betty Lachgar. "C’est pour ça qu’au début, on a hésité à répliquer, pour ne pas donner plus de visibilité au post." Sauf que, magie aléatoire de l’Internet, cette fois-ci, les réseaux commencent à s’enflammer. Le buzz part. Le post est partagé plus de 13.000 fois en quelques jours. 

En un mois, d’après le magazine Afriques Connectées qui a autopsié le phénomène d’indignation sur les réseaux sociaux, en un mois, plus de 10 000 commentaires évoquant le sujet sont publiés sur près de 150 pages Facebook publiques, des pages elles aussi suivies par parfois des millions de personnes. Et les commentaires sont peu ou prou du même acabit : "Ne laisse pas tes femmes sortir dans des tenues indécentes  la religion est avec nous, la loi du pays avec nous, les traditions avec nous et le naturel avec nous", écrit ainsi un étudiant marocain. 

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Très vite aussi, le sujet est repris par des médias nationaux, puis internationaux (HuffPost Maghreb, Marianne, El Pais ou encore Marianne), contribuant à accroître le buzz.  

Mais cette forte visibilité amorce aussi une vraie riposte sur les réseaux sociaux. Des pages des droits des femmes relaient l’info, pour lutter contre ce message "sexiste, paternaliste et rétrograde", des internautes s'indignent.

Mais la riposte sur les réseaux sociaux a surtout été menée par le M.A.L.I. "Quand on a vu que cette campagne soutenue faisait le buzz, on s’est dit que c’était important de ne pas les laisser sans rien faire." C’est donc via ce hashtag #SoisUneFemmeLibre, et un visuel, celui de ce maillot de bain, que la riposte s’enclenche, sur Twitter. Une lutte globale contre "les injonctions patriarcales et l'obscurantisme", précise Betty Lachgar. "Nous avons mis un maillot de bain, en clin d’œil car c’est l’été. Mais c’est un ensemble : l’idée n’est pas de dire que tout le monde doit se mettre en maillot. Mais que les femmes doivent être libres de porter un bikini ou pas, libre d'aller à la plage ou pas, libre de leurs décisions, et plus généralement de lutter contre la domination masculine, la sexualisation du corps de la femme, et tout ce que cela engendre, le harcèlement, voire le viol conjugal." Si Betty Lachgar prend grand soin de préciser son message, c’est par crainte de la simplification, et de la caricature qui peut en surgir. "Car derrière, nos détracteurs jouent là-dessus, en disant qu’on veut obliger les femmes à se mettre en maillot. Ce qui est important, c'est que les femmes et les femmes sont libres de se déshabiller et de choisir."

Le succès de #SoisUneFemmeLibre

La contre-attaque de ce mouvement féministe LGBT, qui milite pour la défense des libertés individuelles, a plutôt bien fonctionné, sur les réseaux sociaux. Reprise aussi par de nombreux médias, espagnols, français, britanniques, néerlandais, italiens, même colombiens. Un peu moins, remarque avec regret Betty, par les médias arabophones. 

Mais cette publication Facebook est surtout symptomatique, estime la militante, des libertés des femmes dans une société marocaine qu’elle trouve de plus en plus conservatrice. "C’est de plus en plus sexiste, misogyne et religieux", dénonce-t-elle.  Derrière tout ça, selon la militante, un "milkshake" de causes, allant du parti des islamistes au pouvoir, le PJD, Parti de la justice et du développement, au satellite qui permet aux Marocains de capter les chaines wahhabites qui répandent leur influence religieuse, ou encore Internet qui permet aux groupes religieux conservateurs de pulluler et répandre leurs idées, ou encore aux Musulmans émigrés dans certains pays d’occident, "parfois très communautaristes, tenant d’un Islam rigoriste qui importent leurs idées en revenant au pays". 

C’est très compliqué pour beaucoup de femmes de se balader en débardeur

Ibtissame Betty Lachgar, co-fondatrice du M.A.L.I

Et pour les femmes marocaines, si la parole se libère sur les réseaux sociaux, il faut, dans la rue, dans l’espace public, mener le combat tous les jours. "Beaucoup de femmes s’obligent à ne pas s’habiller ou faire ce qu’elles veulent, car on est confronté à des regards, des réflexions insupportables", raconte Betty Lashgar. "Par exemple, c’est très compliqué pour beaucoup de femmes de se balader en débardeur dans la rue. Une femme ne peut pas s’asseoir dans un coin de parc pour lire." 

Elle, le fait, car elle a choisit d’être militante. "C’est presque mon travail !", rigole Betty Lashgar. "Mais ce sont des remarques continuelles, du harcèlement sexiste et sexuel, toutes les deux minutes. C’est insupportable. Il y a clairement des endroits où les femmes n’ont pas leur place, en 2018. Des bars, des cafés où l’on ne peut pas rentrer. Des gamins, mineurs qui viennent te voir dans la rue en te disant ‘couvre-toi’." En début d’été, elle s’est mise en deux pièces pour aller à la plage, à Rabat. "C’est une plage populaire. On était deux à être en maillot. Les autres sont habillées, ou en burka. Les hommes sont en maillot, torse nu." Selon elle, ce n’était pas comme ça il y a quelques années. 

Il y a quelques jours, elle est sortie en short. "C’est marrant, parce que les gens me prennent souvent pour une touriste. Du coup j’entendais beaucoup de commentaires autour de moi, ils pensent que je ne comprends pas l'arabe." Alors parfois, petit plaisir, Betty Lashgar leur répond. D’autres fois elle est fatiguée, elle laisse aller. Mais elle sourit, forte : "C’est sûr, notre combat est compliqué. On est assez isolées. Mais on est fières de ce qu’on fait. Que les femmes soient libres de décider pour elles. Et c’est bon signe si l’on dérange."


Sibylle LAURENT

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