Dans les rangs russes, on présente Stepan Bandera comme un héros national en Ukraine.Ce personnage, figure nationaliste controversée, incarne en effet pour de nombreux Ukrainiens un symbole de la résistance à la Russie.Bandera a, un temps, considéré le IIIe Reich comme un potentiel allié, avant de s'y opposer.
Dans les médias russes ainsi qu'à travers nombre de messages visant à décrédibiliser les Ukrainiens dans le cadre du conflit actuel, il est souvent fait mention d'un certain Stepan Bandera. Si l'on présente généralement cet homme comme un symbole du nationalisme ukrainien, il fait aussi l'objet de nombreuses critiques et d'accusations graves.
"Chaque année depuis 2006, les Ukrainiens de l'Ouest célèbrent Stepan Bandera, leur héros nazi massacreur de juifs", peut-on par exemple lire sur les réseaux sociaux. Ce sont "ces Ukrainiens-là, anti-russes, majoritairement nazis, qui nous insultent à la télé et que Macron défend", décrivent certains. De Bandera, on met en avant, côté russe, l'image d'un homme présenté comme "nazi", ou a minima collaborateur du IIIe Reich. Une lecture qui nécessite d'être recontextualisée.
Qui est Bandera ?
Né en 1909, Stepan Bandera a grandi dans une région qui appartient aujourd'hui à l'ouest de l'Ukraine, la Galicie. Il est issu d'une famille imprégnée d'un fort sentiment nationaliste. Son père était membre du "clergé gréco-catholique, qui représente le vivier d'intellectuels patriotes de la Galicie", explique à L'Express l'historien Iarolsav Lebedynsky, enseignant à l'Inalco.
À 20 ans à peine, Stepan Bandera intègre une organisation qui vient de se constituer, l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN). Un mouvement "clandestin, radical, violent", dixit Iarolsav Lebedynsky, qui milite pour la "création d'un état indépendant ukrainien". L'OUN est opposé à l'URSS, qui a englobé une grande partie du territoire, mais aussi à la Pologne, son voisin de l'Ouest à la tête de sa région natale de Bandera (la Galicie) suite à la Première Guerre mondiale. Durant toute sa vie, Bandera s'est battu pour défendre le territoire et l'identité ukrainienne, luttant en particulier contre le régime soviétique. Un combat qui s'est achevé en 1959, le militant étant assassiné par le KGB.
Un homme aujourd'hui vénéré en Ukraine ?
La figure de Bandera est aujourd'hui très clivante, y compris en Ukraine. Si dans la partie est du pays, on lui reproche toujours ses accointances avec le IIIe Reich durant la guerre de 39-45 (nous y reviendrons), sa popularité est indéniable dans la partie la plus occidentale du pays. Depuis les affrontements de 2014 et le renversement de l’ancien président pro-russe Viktor Ianoukovitch, "Bandera est devenu un symbole de résistance face aux corrompus, au régime soutenu par la Russie", a souligné au Monde diplomatique l’historien Serhiy Iekelchyk. "Il exprime désormais la loyauté envers l’État ukrainien." On note que des rues et avenues sont renommées depuis plusieurs années à travers l'Ukraine, en hommage à Bandera.
Des portraits de lui sont également brandis lors de manifestations. Chaque 1er janvier, des commémorations sont par exemple organisées pour célébrer l'anniversaire de sa naissance. Ce fut encore le cas début 2022, comme en témoignent des clichés pris par l'Agence France Presse.
Une figure nazie durant la Seconde Guerre mondiale ?
Si, depuis sa création, l'OUN "professe un nationalisme extrême, influencé par les modèles autoritaires fascistoïdes alors populaires dans différents pays d'Europe", note Iarolsav Lebedynsky, Bandera n'est pas considéré comme l'un de ses théoriciens. Il n'est pas non plus militaire, mais prend durant les années 1930 la tête d'une section régionale de l'organisation, qui va diligenter plusieurs dizaines d'assassinats. Sont visés des individus, Ukrainiens ou non, considérés comme des soutiens et/ou collaborateurs actifs de la Pologne ou de la Russie. Arrêté puis jugé, Stepan Bandera est emprisonné jusqu'à l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale.
L'OUN, au début du conflit, se scinde en deux parties. Bandera prend la tête de l'une d'elles, suivi par ceux que l'on qualifie aujourd'hui de banderites. Il estime que l'Allemagne d'Adolf Hitler peut constituer un allié potentiel. Plus qu'une volonté de prêter allégeance au IIIe Reich ou d'adhérer à son idéologie, ce rapprochement constitue surtout l'opportunité de restaurer l'intégrité territoriale de l'Ukraine et de servir ses desseins d'indépendance. Il en résulte toutefois qu'une forme de collaboration se met en place avec le régime nazi, celle-là même qui continue de faire de Bandera un personnage controversé. "L'OUN a rejoint la police ukrainienne en 1941 et a aidé les Allemands à assassiner des Juifs dans l'ouest de l'Ukraine", a rappelé à la Deutsche Welle l'historien Grzegorz Rossolinski-Liebe.
Le 30 juin 1941 à Lviv, les banderites annoncent la création d'un État ukrainien. Une initiative qui prend de court les Allemands, opposés à ce projet. L'arrestation de Bandera suivra, conduisant à son enfermement dans le camp de Sachsenhausen en janvier 1942. Les deux frères du leader nationaliste sont quant à eux assassinés à Auschwitz.
Libéré en septembre 1944, Stepan Bandera a poursuivi, après la guerre, son combat contre les Soviétiques, s'exilant en Allemagne. C'est d'ailleurs à Munich qu'il fut assassiné, en 1959, par le KGB.
Une lecture sélective du passé
Aujourd'hui, c'est bien de la figure nationaliste de Stepan Bandera que se réclame une partie des Ukrainiens. L'image d'un farouche résistant à l'envahisseur soviétique est entretenue, au prix parfois d'une édulcoration de l'histoire. Si l'antisémitisme ne figurait pas parmi les fondements idéologiques des banderites, il ne fait aujourd'hui aucun doute que ce mouvement a baigné dans une haine croissante à l'égard des Juifs qui se développait durant la première partie du XXe siècle. De la même manière, si Bandera et ses soutiens se sont opposés à l'Allemagne nazie (lorsqu'ils ont compris que le IIIe Reich ne soutiendrait d'aucune manière une indépendance de l'Ukraine), il est établi que les nationalistes ukrainiens ont accompagné ou diligenté des pogroms au cours de la guerre.
Depuis le déclenchement en 2014 du conflit au Donbass, la figure de Bandera a pris une importance croissante dans les discours nationalistes ukrainiens. Du militant Bandera, n'est souvent conservé dans l'imaginaire collectif que la résistance aux forces russes, sans que ne s'observe aujourd'hui de manière marquante une adhésion à ses idées politiques ou à son fanatisme. Il en résulte une forme de flou, de zone grise qu'exploite à sa guise Moscou dans le cadre du conflit actuel.
Pour Vladimir Poutine et les propagandistes russes, il est en effet aisé de laisser entendre que les Ukrainiens hostiles à l'influence russe soutiennent ce personnage en assumant son passé. Un homme dont le soutien quelques années durant à l'Allemagne hitlérienne fait l'objet d'instrumentalisations afin de dresser le portrait d'une Ukraine toujours plombée par l'influence des "nazis", de la base jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir à Kiev.
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