Explosion à Beyrouth : le Liban toujours meurtri

Conférence des donateurs : "Les Libanais redoutent que l’aide humanitaire soit gangrenée par la corruption"

Propos recueillis par Cédric STANGHELLINI
Publié le 9 août 2020 à 21h52
Le président français a été le premier chef d'Etat étranger à se rendre à Beyrouth après l'explosion

Le président français a été le premier chef d'Etat étranger à se rendre à Beyrouth après l'explosion

Source : T. Camus / AFP

SOUTIEN - Depuis l'explosion qui a ravagé Beyrouth, de nombreux pays du monde sont venus apporter leur soutien immédiat au peuple libanais. L'historienne du monde arabe, Jihane Sfeir, nous explique ce que peut impliquer cette aide.

Dimanche à l'issue de la réunion des donateurs, les pays participants à la visioconférence pour fournir une assistance d'urgence au Liban après l'explosion qui a ravagé Beyrouth ont annoncé que cette aide serait versée "directement" à la population et dans "la transparence". Le montant total de "l'aide d'urgence engagée ou mobilisable à brève échéance" est de 252,7 millions d'euros, dont 30 millions d'euros de la part de la France. Via cette aide humanitaire, les grandes puissances semblent entrer en compétition pour apporter leur soutien au Liban, s'assurant au passage une zone d’influence dans le pays. 

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Pour comprendre les enjeux diplomatiques qu'entraîne le soutien au Liban, LCI a sollicité l’éclairage de Jihane Sfeir, franco-libanaise, professeur à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste de l'histoire du monde arabe contemporain. 

LCI : Quel accueil font les Libanais aux nombreuses promesses d'aide internationale ?

Jihane Sfeir : Les Libanais n’ont plus confiance en leur gouvernement et ne lui accordent aucune légitimité pour relever le pays de la catastrophe. Le soutien des pays étrangers est donc le bienvenu. Le peuple libanais réclame également une enquête internationale afin de faire toute la lumière sur les responsabilités dans l'explosion. 

Mais cette présence internationale ne risque-t-elle de s'assimiler à de l’ingérence ?

 Cela dépend de chaque pays et de ses vues sur le Liban. Le vice-Pprésident turc s'est rendu sur place et a promis la remise sur pied des hôpitaux de Beyrouth. Cette intervention s’inscrit dans le projet 'ottomaniste' du président Erdogan en Méditerranée. La Russie a aussi proposé son aide, un pays dont le rôle est déterminant dans le maintien du président Bashar Al Assad en Syrie. En aidant le Liban, les Russes espèrent renforcer davantage leur poids dans la région. De son côté, la Ligue arabe souhaite coordonner l’aide provenant des pays arabes. Le Qatar, l’Arabie-Saoudite, les Emirats Arabes Unis ont aussi répondu présent. 

Comment peut s'exercer cette influence sur place ?

Je vais prendre un exemple concret. En 2006, suite aux bombardements d’Israël du pays, l’Iran a soutenu la reconstruction de la banlieue sud de Beyrouth à travers le financement de l’ONG Waad qui dépend du Hezbollah.  En finançant la reconstruction sans passer par le gouvernement, les autorités iraniennes assoient leur influence en soutenant le Hezbollah. 

L'aide internationale risque-t-elle de ne pas arriver jusqu'à la population ?

C'est déjà le cas ! Moins d’une semaine après la catastrophe, le Koweït a envoyé des denrées alimentaires d’urgence pour qu’elles soient distribuées. Mais ces produits se sont retrouvés en vente dans les supermarchés. Les Libanais redoutent que l’aide humanitaire soit gangrenée par la corruption.

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Le président Emmanuel Macron a pris le leadership en lançant la conférence des donateurs ce dimanche. Rappelons que la France occupe une place à part dans l’histoire du Liban. En 1860, une expédition humanitaire française est venue au secours des chrétiens suite au conflit qui les a opposé aux Druzes dans le Mont-Liban. La présence française a ensuite été renforcée par l’établissement du mandat après la Première Guerre mondiale et les relations amicales entre les deux pays ont perduré au-delà de l’indépendance du Liban en 1943. L’intervention de Paris n’est pas vue comme une ingérence par les Libanais qui ont accueilli le président Macron à Beyrouth, il s’agit pour eux d’une continuité historique.  


Propos recueillis par Cédric STANGHELLINI

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