Cessez-le-feu à Gaza : "La fin d'un épisode militaire", mais pas la fin du conflit

Publié le 21 mai 2021 à 15h44, mis à jour le 21 mai 2021 à 15h55

Source : TF1 Info

INTERVIEW - Un cessez-le-feu est entré en vigueur vendredi, mettant fin à 11 jours d'hostilités sanglantes entre Israël et le Hamas. Que faut-il en retenir ? Éléments d'explications avec Amélie Ferey, chercheuse au CERI.

Les armes se taisent dans la bande de Gaza et en Israël. Après d'intenses tractations diplomatiques, un cessez-le-feu est entré en vigueur vendredi matin. La fin de plus de 10 jours d'affrontements, qui resteront comme la confrontation la plus meurtrière depuis des années entre les deux camps. Une confrontation complexe, comme nous l'explique Amélie Ferey, chercheuse au Centre de Recherches Internationales de Sciences Po (CERI).

Après onze jours d'hostilités, y a-t-il selon vous un gagnant et un perdant ?

Tout dépend sur quel plan on se place. Concernant la légitimité de la bataille politique, il me semble que le Hamas est dans une position de force. Idem si on se place du point de vue militaire, même si Israël a atteint un certain nombre d'objectifs stratégiques. Notamment la destruction du "métro de Gaza", ce réseau de tunnels, ou la réduction de l'arsenal dont disposent les groupes armés palestiniens (qui ont tiré plus de 4.000 roquettes), sans oublier l'assassinat ciblé d'ingénieurs. En revanche, ils ne sont pas parvenus à tuer l'un des leaders militaires, Mohammed Deif. Son assassinat aurait été perçu comme une victoire auprès de l'opinion publique.

Il faut comprendre qu'il y a deux conflits : celui, militaire, avec le Hamas, lequel poursuit une forme de "routine" tragique. Mais il y a aussi un conflit politique, latent, qui a trait à la question de la colonisation et du sort des Palestiniens, que ce soit en Cisjordanie ou en Israël. Et là, il n'y a pas de cessez-le-feu possible. Il n'y a eu aucune avancée. Cette trêve marque la fin d'un épisode militaire du conflit. Mais il s'agit d'une parenthèse, qui ne doit pas divertir l'attention face au "vrai" conflit et ses nouveautés, ces scènes de lynchages qu'on a vu entre Israéliens et Palestiniens.

"Le résultat de la présidence Trump"

Benjamin Netanyahu sort-il renforcé ou non de cette offensive armée ?

Il y a une forme d'opportunisme, sur laquelle Netanyahu a construit sa carrière : il arrive à tirer un maximum d'avantages d'une situation. Mais ce n'est pas lui qui provoque cette dernière. Cela dit, il ne ressort pas forcément avantagé de ce conflit. Cette situation est, à mon sens, le résultat de la présidence Trump et du blanc-seing qui a été donné à la droite ultranationaliste religieuse. Il y a actuellement un niveau de violence dans le discours politique qui n'avait jamais été atteint. Par ailleurs, des gens auparavant infréquentables ont désormais droit de cité dans la parole publique, et les colonies - dans lesquelles Mike Pompeo s'est d'ailleurs rendu – se normalisent. En outre, on constate que des organisations israéliennes juives qui refusaient, jusqu'à présent, de parler d'apartheid, se mettent à le faire.

Quelle est la conséquence de ce soutien américain ? Chez les Palestiniens, il y a l'idée que le frein à cette droite décomplexée qui prône leur éradication ne viendra que de leurs rangs, et non plus de la communauté internationale. La politique de Trump a mis un coup à un système de normes traditionnellement acceptées. 

"L'aile gauche du parti démocrate a fait pression sur Joe Biden"

Quel rôle a joué Joe Biden selon vous dans cette trêve ?

Il a certainement joué un rôle, lui qui a d'ailleurs eu six fois Netanyahu au téléphone en dix jours Le cessez-le-feu n'aurait pas eu lieu aussi tôt s'il n'y avait pas eu une pression de sa part. Mais ne sous-estimons pas les voix au sein de l'état-major israélien, plaidant pour un arrêt de l'intervention de peur de commettre une erreur qui pourrait leur coûter cher. 

Ce conflit israélo-palestinien vient mettre en tension la rhétorique de campagne de Joe Biden, cette restauration du leadership moral des États-Unis, mais aussi sa dureté affichée, par exemple quand il traite Poutine de "killer". Si Biden n'a pas affiché ces derniers jours un soutien inconditionnel à Israël – même s'il a affirmé son droit à se défendre -, c'est que l'aile gauche du parti démocrate a fait pression sur lui. Il y a en effet chez Joe Biden une sympathie vis-à-vis de cette jeunesse américaine qui se reconnait au sein de cette aile progressiste incarnée par Alexandria Ocasio-Cortez. Mais aussi une écoute envers les Palestiniens, puisqu'il y a des ponts entre "Black Lives Matter" et la requalification de la lutte palestinienne en termes d'identité. Au fond, cette crise a mis en lumière la capacité de Joe Biden à entendre ces voix qui, jusqu'à présent, étaient persona non grata, tout antisionisme étant considéré comme une forme d'antisémitisme. 

On peut même se demander quelles seront les conséquences de cet épisode sur la politique étrangère d'Israël. Y aura-t-il une volonté de réduire l'influence de l'allié américain ? 

"La France a été dans son rôle traditionnel"

Autre acteur majeur dans l'obtention de cette trêve : l'Égypte.

L'Égypte a traditionnellement un rôle majeur. Israël refusant de parler au Hamas, même s'il existe des discussions souterraines, cela passe par l'Égypte. Néanmoins, l'Égypte et le Hamas ont des relations compliquées : la branche armée a été très heureuse quand Morsi a été élu en 2012, le Hamas étant une émanation des Frères musulmans. Mais quand Morsi a été déposé, des doutes ont émergé. Le Hamas est assez méfiant vis-à-vis de l'Égypte, même si c'est un allié incontournable. D'autant que la cause palestinienne n'a pas non plus de nombreux alliés. 

La diplomatie française a-t-elle été mise à mal durant cette crise ?

La France est un des poids lourds de l'Europe. Elle a un rôle à jouer, sa voix compte. Si on a la France qui s'allie aux États-Unis dans une condamnation de l'État hébreu, cela va peser. Si la France condamne en solitaire, cela sera moins le cas. Certes, la résolution française à l'ONU n'a pas abouti. Mais n'oublions pas qu'il y a eu énormément de résolutions relatives au conflit israélo-palestinien, et qu'elles n'ont pas eu de traduction sur le terrain. La France a été dans son rôle traditionnel, avec un rappel des obligations internationales et des appels à la paix. Cela a pu peser, Israël ayant peur de se mettre à dos l'opinion internationale, sans pour autant être déterminant.

Découvrez le podcast de l'émission "Brunet Direct" qui est consacré au conflit entre Israël et le Hamas

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Thomas GUIEN

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