À Wuhan, les "archéologues" du virus tentent de revenir aux origines du Covid-19

Publié le 29 janvier 2021 à 13h38
Cette photo prise le 30 janvier 2020 montre les autorités chinoise en tenue de protection, observant le corps d'un homme qui s'est effondré et est décédé dans une rue près d'un hôpital de Wuhan.
Cette photo prise le 30 janvier 2020 montre les autorités chinoise en tenue de protection, observant le corps d'un homme qui s'est effondré et est décédé dans une rue près d'un hôpital de Wuhan. - Source : Hector RETAMAL / AFP

INVESTIGATION - Après deux semaines de quarantaine, les 14 experts de l’OMS commencent à enquêter en Chine sur l’origine de la pandémie vendredi 29 janvier. Sur le terrain, ils vont être confrontés à de nombreuses difficultés.

"Revenons en arrière, suivons les preuves, suivons la science." Pour tenter de percer le mystère autour de l’apparition du SRAS-CoV-2, Michael Ryan, responsable des situations d’urgence sanitaire à l’OMS, ne voit qu’une solution : revenir à la source, là où tout a commencé. Alors que la pandémie a causé plus de 2 millions de morts dans le monde en un an, l’expert et 13 de ses collègues ont entamé vendredi 29 janvier leur enquête à Wuhan, après deux semaines passées en quarantaine. 

Accueillie dans un nouvel hôtel de la ville, l’équipe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) composée de spécialistes en santé publique, virologues ou zoologues doit passer plusieurs semaines sur place, rythmées par des visites dans des hôpitaux, des laboratoires et des marchés, mais aussi des rencontres avec des scientifiques et des médecins. 

Revenir aux premiers malades de Wuhan

Le but de leur mission consiste à remonter aux premiers malades du Covid-19 apparus à Wuhan, dont la majorité provient du marché de Huanan, et de comprendre comment ces derniers ont été infectés. "L’enquête de l’OMS vise à déterminer si le virus provient d’un laboratoire ou non", souligne Jean-François Saluzzo sollicité par LCI. Ce virologue à la retraite et ancien consultant pour l’OMS ne croit pas à un virus créé de toutes pièces : "On peut exclure que ce virus ait été synthétisé par des chercheurs. Personne ne s'amuse à créer un virus. Par contre, on ne peut pas exclure que suite à une contamination d'un technicien, le virus se soit répandu au sein du laboratoire".

Le virologue connait bien les enjeux attenants à la mission des experts puisque lui-même a été envoyé à Pékin par l’OMS en 2003, au moment où l’épidémie liée au SRAS-COV sévit en Asie. Ce coronavirus, apparu dans la province chinoise du Guangdong, provoque alors 774 décès dans une trentaine de pays entre 2002 et 2004. À l’époque, cinq experts sont diligentés par l’OMS pour une enquête de six jours sur le terrain, où ils sont reçus par le Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies (CDC) et l’équipe d’un laboratoire de recherche. "Les Chinois ont fait une vraie autocritique, se souvient Jean-François Saluzzo. Ils ont reconnu qu’ils n’avaient pas su se coordonner, qu’ils n’avaient pas assez investi dans la recherche de ces virus. Ils ont été extrêmement coopératifs." Avant d’ajouter, revenant en 2021 : "Peut-être que c’est différent avec Xi Jinping…  Mais à moins qu’ils n’aient quelque chose à cacher, je ne vois pas pourquoi ils ne collaboreraient pas." 

Or, 17 ans plus tard, la situation est autre. À l’époque, Pékin avait déjà été accusé de manquer de transparence mais aujourd’hui, des documents dévoilés par CNN et renommés les "Wuhan files" concluent que le Parti a sciemment minimisé l’ampleur de l’épidémie à ses débuts, faussant par exemple les chiffres des contaminations dans la région du Hubei. Et puis en 2020, la pandémie ne s’est pas arrêtée aux portes de l’Asie. 

Sur le terrain, les experts onusiens sont confrontés à l’impossible : expliquer l’apparition d’un virus qui a paralysé le monde. Et les obstacles sont de taille. L'équipe de l'OMS est d’abord surveillée étroitement par Pékin, qui cherche à se défausser de sa responsabilité dans l’émergence de l’épidémie. Début janvier, le ministre des Affaires étrangères déclarait encore ceci : "Il est infiniment probable que le virus du Covid-19 se soit déclaré en de nombreux endroits simultanés de la planète". 

Des experts de l'OMS choisis par Pékin

Cette surveillance doit se traduire par des déplacements restreints des experts entre leur hôtel et leurs visites quotidiennes, indique Arnaud Miguet, correspondant en Chine pour France TV, sur son compte Twitter. Ces derniers jours, des habitants de Wuhan ont par ailleurs dénoncé une censure des autorités de leurs discussions sur WeChat (l’application de messagerie autorisée en Chine), qui coïncide avec l’arrivée des membres de l’OMS. Les responsables chinois redouteraient tout échange entre les experts et les proches de victimes du Covid-19, explique à l’AFP Zhang Hai, Wuhanais de 51 ans qui a perdu son père au début de l’épidémie, sans que son décès soit officiellement lié à la maladie.

Mais avant leur venue, ce sont les pourparlers entre la Chine et l’OMS qui peuvent interroger. Comme l’a révélé le New-York Times, les experts ont pu partir à deux conditions : être triés sur le volet et laisser la main aux scientifiques chinois en se fondant sur leurs travaux déjà menés. "La difficulté de cette mission, c’est qu’ils veulent se focaliser sur le laboratoire P4 (laboratoire hautement sécurisé de l'Institut de virologie de Wuhan, ndlr), précise Jean-François Saluzzo. Le problème, c’est qu’ils ne pourront pas rentrer dans le laboratoire P4, ni en sortir de documents car tout ce qui sort doit être détruit. Ils seront évidemment à la merci des autorités chinoises qui donneront ce qu’elles veulent leur donner".

Un autre élément pourrait freiner considérablement les avancées de l’enquête. En se rendant sur les lieux un an après, les experts ne sont pas certains de trouver des preuves liées à l’origine du virus. "Arriver sur place presque un an après le départ de l’épidémie réduit considérablement les chances de trouver des réponses", avançait ainsi un ancien cadre de l’OMS dans les colonnes du Monde. De toute façon, peu importe le délai : un virus ne livre pas toujours tous ses secrets. Parfois, son passage de l’animal à l’homme ne peut être tracé. Le coronavirus de 2003, lui, a trouvé son responsable en la civette palmiste, désignée comme animal intermédiaire entre la chauve-souris et l’humain. Il est apparu à l’époque que cet animal sauvage se vendait fréquemment sur les marchés en Chine. 


Caroline QUEVRAIN

Tout
TF1 Info