Syrie : cette fresque en soutien à la France et l'Italie a-t-elle bien été réalisée dans les ruines d'Idleb ?

Publié le 13 avril 2020 à 19h33
Cette fresque a bien été réalisée en Syrie il y a quelques jours.
Cette fresque a bien été réalisée en Syrie il y a quelques jours. - Source : Capture écran Twitter

À LA LOUPE – Montrant une fresque symbole de solidarité avec l'Italie et la France, une photo partagée par le député européen Raphaël Glucksmann laisse plus que perplexes certains internautes. Elle est pourtant bien réelle, et fut réalisée il y quelques jours en périphérie d'Idleb. LCI a remonté sa trace.

Élu député européen en mai dernier sous l'étiquette Place publique, l'essayiste Raphaël Glucksmann a souvent affiché son soutien au peuple syrien, qu'il estime victime de crimes contre l'Humanité. Il y a quelques jours, il a partagé sur sa page Twitter une photo étonnante, prise "dans les ruines d’Idleb", en Syrie. 

On découvre sur cliché une fresque, réalisée "en solidarité avec la France et l’Italie" et sur laquelle figure aux côtés d'une musicienne et de la Tour Eiffel un message en Français : "Restez à la maison". Il s'agit, pour Raphaël Glucksmann, d'une "leçon d’humanité dont nous devrons nous souvenir quand nous aurons vaincu la pandémie", tandis que les habitants de ces régions dévastées "continueront, eux, à crever sous les bombes".

En commentaire, certain(e)s ont fait part de leur incrédulité : "Vraiment ? Pas de trucage ? Pardon hein, mais je trouve ça extraordinaire au regard de leur situation", a ainsi réagi une internaute. "Mort de rire, ils ont que ça à faire d'aller peindre une fresque pour l'Italie et la France c'est un fake", affirme une autre, jugeant "juste pas possible […] ce genre de choses".

Une fresque authentique

En apparence, aucun indice ne laisse à penser à un montage ou à toute autre forme de manipulation. Et pour cause, il s'agit bel et bien d'une fresque authentique. Des recherches permettent d'en remonter la trace : son auteur, Aziz al-Asmar a notamment mis en avant par la déclinaison saoudienne du média britannique The Independent.

"Je voulais dire aux autres pays du monde que nous, à Idleb, nous ne sommes ni des terroristes ni un point noir sur la carte. Nous avons des ressources en matière d'art, de sport, de poésie, de peinture et de littérature, et nous les faisons interagir avec les causes des autres peuples humains", a ainsi confié l'artiste pour expliquer sa démarche. On ne doit pas moins d'une de fresques autour du coronavirus à Aziz al-Asmar, explique le site saoudien, sans pour autant présenter celle mise en avant par Raphaël Glucksmann.

Pour s'assurer que le Syrien en est bien l'auteur, il faut remonter sa trace sur les réseaux sociaux, où il communique notamment via une page Facebook. On y retrouve des photos et vidéos de lui, entouré d'enfants et de proches, devant la fresque. On constate alors que l'œuvre a été achevée le 7 avril, deux jours avant que Raphaël Glucksmann n'en diffuse une représentation. 

Une opposition au régime d'Al-Assad

Aux internautes qui doutaient de l'authenticité de la fresque, le député européen a répondu avec une séquence d'environ une minute, où des images de l'œuvre tournées avec un drone sont montées avec soin. Il n'a toutefois pas précisé leur origine, si tant est qu'il en ait eu la connaissance. 

Des recherches un peu plus approfondies permettent de remonter jusqu'à leur auteur, un jeune homme de 20 ans qui se nomme Mohamed Jamalo. Étudiant à Idleb, il suit un cursus dans les médias et décrit son appareil photo comme son "troisième œil". Si le tournage a bien eu lieu dans les ruines du Nord-Est syrien, la fresque n'a toutefois pas été réalisée à Idleb même, mais à Binnish, quelque dix kilomètres plus à l'Ouest. 

Un portrait d'Aziz al-Asmar, dressé en mars dernier (et en français) par le média libanais L'Orient-Le Jour, nous apprend que l'artiste a vécu 20 ans au Liban avant de revenir en Syrie en 2015. Il est alors devenu une "figure populaire de la région", où il "habille de couleur les murs de sa ville et des alentours". Une manière de soutenir la Révolution, dans cette enclave qui demeure aujourd'hui encore l'un des derniers bastions de la rébellion contre le pouvoir d'Al-Assad.

Cette opposition au régime, on la retrouve également dissimulée dans la vidéo qui présente sa fresque. Dans le coin droit de l'image figure en effet un logo peu lisible, dans des tons verts et qui semble évoquer des brins de céréales. Difficile à authentifier au premier coup d'œil, on peut néanmoins parvenir en retrouver l'origine. En ligne, il est lié aux comptes d'un groupe nommé "Binnish Revo", qui se présente comme celui des coordinateurs de la révolution dans la ville de Binnish. Une dissidence qui fait écho à la résistance artistique portée par Aziz al-Asmar.

En résumé, on peut donc affirmer que la fresque partagée par Raphaël Glucksmann est tout à fait authentique, et qu'elle a été réalisée au début du mois d'avril par un artiste syrien, dans la ville de Binnish, non loin d'Idleb. Par cette œuvre, Aziz al-Asmar a tenu à apporter son soutien à la France et à l'Italie, deux pays qui font face à des crises sanitaires d'envergure dans le cadre de l'épidémie de coronavirus. 

ARCHIVE - "Nulle part où aller": les déplacés d'Idleb abandonnés à leur sortSource : Sujet JT LCI

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Thomas DESZPOT

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