Coup d'État au Burkina Faso : on vous explique la crise à Ouagadougou

Sébastie MASTRANDREAS avec AFP
Publié le 2 octobre 2022 à 19h09, mis à jour le 2 octobre 2022 à 20h04

Source : JT 13h WE

Depuis le putsch du vendredi 30 septembre, la tension et le flou règnent à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso.
Les manifestants ont réclamé le départ de l'ex-chef militaire, en place depuis le dernier coup d'État de janvier, prenant pour cible notamment l'ambassade de France.
Ils réclament la fin de la présence militaire française au Sahel et une coopération militaire avec la Russie.

La confusion est grande à Ouagadougou. Ces trois derniers jours, le Burkina Faso a été le théâtre de vives tensions, après le putsch, vendredi 30 septembre, d'un groupe militaire, mené par le capitaine Ibrahim Traoré. Ce dernier, auto-proclamé chef du pays, a annoncé la destitution du lieutenant-colonel Damiba, au pouvoir depuis un précédent coup d'État militaire, en janvier dernier. Celui-ci a, dans un premier temps, fait savoir qu'il refusait d'abdiquer, avant d'indiquer, ce dimanche 2 octobre, sa démission.

Traoré a été soutenu par des centaines de manifestants tout le weekend, réclamant le départ de Damiba mais aussi la fin de la présence militaire française au Sahel et une coopération militaire avec la Russie. Des institutions françaises de la capitale burkinabè ont été attaquées. Ce dimanche, alors que la tension était encore vive à Ouagadougou, Traoré a appelé à cesser les violences, assurant que "les choses sont en train de rentrer progressivement dans l'ordre". Voici ce qu'il faut savoir pour comprendre la crise en cours. 

Qui sont les putschistes ?

Le nouveau chef autoproclamé de la junte, était, jusqu'à vendredi dernier, commandant du régiment d'artillerie de Kaya, dans le nord du pays, selon les médias locaux. En janvier dernier, il faisait partie des jeunes officiers, emmenés par le lieutenant-colonel Damiba, qui ont renversé Roch Marc Christian Kaboré. Ce dernier avait été discrédité par la hausse des violences djihadistes dans la région.

Mais depuis cette transition, une crise couvait entre cette jeune garde et leur nouveau chef. Certains de ses membres, mobilisés dans l'unité d'élite antidjihadiste des "Cobras", reprochaient à Damiba de ne pas mobiliser toutes les forces sur le terrain, face à une recrudescence des attaques djihadistes, causant la mort de dizaines de civils et de soldats.

Quelles sont leurs revendications ?

Vendredi soir, lors d'une allocution télévisée, le capitaine Traoré entouré d'une dizaine de militaires a annoncé la fermeture des frontières, la suspension de la Constitution et la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition. Un couvre-feu a également été mis en place. Dimanche, ce couvre-feu a été levé, et les frontières aériennes rouvertes.

En plus de réclamer le départ de Damiba, les putschistes souhaitent la fin de la présence militaire française au Sahel, la France étant présente au Burkina Faso avec la force Sabre, un contingent de forces spéciales qui forme des forces burkinabé, basé à Kamboinsin, à une trentaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou. 

Les hommes de Traoré revendiquent en outre la "ferme volonté d'aller vers d'autres partenaires prêts à aider dans la lutte contre le terrorisme", une allusion implicite à la Russie, dont des drapeaux ont été aperçus au Burkina depuis deux jours. 

Pourquoi ces mouvements d'hostilité envers la France ?

Samedi, les militaires désormais au pouvoir ont accusé la France d’aider le lieutenant-colonel Damiba dans la préparation d’une contre-offensive, assurant que l'ex-chef militaire "se serait réfugié au sein de la base française à Kamboinsin, afin de planifier une contre-offensive". Une information aussitôt démentie par le Quai d'Orsay, et Damiba lui-même. 

Largement relayée sur les réseaux sociaux, cette accusation a participé à exciter la colère des manifestants pro-Traoré. Samedi en fin d'après-midi, deux institutions françaises ont été prises pour cible : un incendie s'était déclaré devant l'ambassade de France à Ouagadougou et un autre devant l'Institut français à Bobo-Dioulasso qui a subi des "dommages importants", selon le ministère des Affaires étrangères. Dimanche, il a fallu des tirs de grenades de gaz lacrymogène effectués de l'intérieur de l'ambassade de France à Ouagadougou pour disperser des manifestants soutenant le putschiste.

Pourquoi voit-on des drapeaux russes dans les manifestations ?

De nombreux drapeaux russes ont été brandis au cours des manifestations à Ouagadougou, marqueur de l’influence de Moscou qui ne cesse de croître dans plusieurs pays d’Afrique francophone ces dernières années. Au Mali voisin, cette influence russe s'est d'ailleurs d'autant plus renforcée, depuis le départ de l'opération antijihadiste Barkhane, laissant le champ libre aux soldats de la société de mercenaires privées russes Wagner, venus former l'armée locale.  

Une influence, qui se traduit aussi par une prolifération d'une désinformation en ligne, "destinée à dénigrer la présence française et justifier celle de la Russie", selon un rapport de l'Institut de Recherche stratégique de l'École militaire (Irsem), publié en septembre, qui circule également au Burkina. Ce pays "fait aujourd’hui partie des pays africains dans le viseur" de Wagner, selon cette étude, qui note de très fortes progressions de l'audience des sites en français des médias russes RT et Sputnik depuis un an. Le coup d’État de janvier 2022 amenant au pouvoir le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba avait d'ailleurs été salué par Prigojine, l’oligarque proche du Kremlin, fondateur de la société de mercenaires Wagner. Il en aurait fait de même avec le putsch initié par Traoré. 

"Les putschistes inscrivent très explicitement leurs actions dans un clivage Russie versus France", a confirmé samedi à l'AFP Yvan Guichaoua, expert de la région à l'université de Kent, à Bruxelles. L'expert pose deux hypothèses : "soit bosser avec les Russes était le projet depuis le début et on a affaire à un plan de déstabilisation mûrement réfléchi, soit on invoque de manière opportuniste le clivage France/Russie pour galvaniser les soutiens parce que le projet tangue".

Comment réagit la communauté internationale ?

Plusieurs pays, à l'instar de la France et des États-Unis, ont prévenu leurs ressortissants (4.000 pour les Français), leur conseillant de ne plus sortir et de réduire leurs déplacements au strict nécessaire. Ce nouveau coup de force, dans cette région instable d'Afrique de l'Ouest, a fait réagir la communauté internationale. Dès vendredi soir, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a "condamné avec la plus grande fermeté" un coup de force jugé "inopportun au moment où des progrès ont été réalisés pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024".

Samedi, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, a "fermement" condamné dans un communiqué "toute tentative de prise de pouvoir par la force des armes". L’Union africaine (UA) a, elle, dénoncé un "changement anticonstitutionnel de gouvernement" et l’Union européenne (UE) a estimé que le putsch mettait "en danger les efforts engagés depuis plusieurs mois" pour la transition. 

Selon les informations du journal JeuneAfrique, les discussions entre les militaires au pouvoir se concentrent actuellement sur la question de qui sera à la tête du pays. Alors que certains jeunes officiers affirment en effet que le capitaine Ibrahim n’est "pas intéressé par le pouvoir" et "veut repartir au combat", une désignation par les militaires d’un président civil serait envisagée.  Un communiqué séparé publié dimanche par les militaires pro-Traoré indique que le capitaine "est chargé de l'expédition des affaires courantes jusqu'à la prestation de serment du président du Faso désigné par les forces vives de la nation", à une date non précisée.


Sébastie MASTRANDREAS avec AFP

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